La rivalité Chine-Japon pourrait-elle déclencher le même genre de catastrophes que celle entre les Royaume-Uni et l’Allemagne au 20e siècle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Soldats chinois spécialisés en défense de la frontière du pays.
Soldats chinois spécialisés en défense de la frontière du pays.
©Reuters

Une vraie histoire de mer...

Les querelles sino-japonaises autour d’îlots inhabités font planer le spectre d'une guerre maritime, qui n'est pas sans rappeler la rivalité germano-britannique à l'aube de la Première Guerre mondiale.

François Lafargue

François Lafargue

François Lafargue est docteur en Géopolitique et en Science Politique. Il enseigne à Paris School of Business.

Auteur d’une thèse portant sur l’Afrique du Sud, il est également docteur en Science politique avec comme thème de recherche la stratégie des Etats-Unis devant la vulnérabilité énergétique de la Chine. Ses travaux portent principalement sur les enjeux énergétiques en Asie et en Afrique et les relations sino-africaines.

Son dernier ouvrage : La Guerre Mondiale du pétrole (Ellipses, 2008)

 

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Atlantico : Le Japon, fort de son alliance avec les États-Unis depuis 1945, est aujourd'hui confronté à la montée en puissance de la Chine qui dispose de nombreux atouts pour devenir une superpuissance. La région d'Asie du Sud-Est est donc devenue un moteur de la croissance mondiale. Pourtant, les deux Etats s'affrontent sur un ensemble d'îlots inhabités, comme on a pu le constater avec le conflit des îles Senkaku. Ces tensions sont-elles vouées à s'aggraver ? 

François Lafargue : La réponse doit être nuancée. Les intérêts économiques, financiers et commerciaux de ces deux Etats sont tellement imbriqués que toute action armée ou tout crise politique aurait des effets préjudiciables pour les deux parties. On l’a vu l’année dernière lors du conflit des îles Senkaku : les ventes de voitures Toyota ont fortement chuté en chine. Aggraver les tensions maritimes qui existent entre la Chine et le Japon ne va donc pas dans l’intérêt des deux Etats. Certes, la force est importante, il est fondamental de ne pas céder et de montrer qu’on a des revendications qu’on veut atteindre. Mais le poids du passé est très lourd et les acteurs publics sont conscients qu’il y a un seuil à ne pas franchir.

Il faut tout de même prendre en compte le fait que plus la chine se développe - et c'est inconstatable - plus elle a des exigences à l’égard du Japon. C'est pour cela que les Japonais ont indemnisés, à plusieurs reprises, des victimes chinoises ou encore ont présenté des excuses pour les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, le Japon est davantage dans une posture consistant à plaire aux opinions publiques chinoises, de flatter le nationalisme en Chine. Ainsi, malgré les conflits tels les îles Senkaku ou d’autres dossiers comme la Corée du Nord, il y a une forme d'accord implicite entre les deux pays, qui savent qu’il y a un seuil à ne pas franchir. C’est un peu comme les Etats-Unis et feu l’URSS.

Quelle comparaison peut-on établir avec les rivalités navales entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne qui ont ouvert la voie à un conflit global il y a exactement un siècle ? La rivalité Chine-Japon pourrait-elle déclencher le même genre de catastrophe ?

Tout parallèle historique doit être pris avec grande prudence. La situation n’est pas comparable en termes militaires. 

En 1914, les britanniques avaient le contrôle des mers du globe en termes de capacité militaire et en termes de maîtrise des points stratégiques. Tous les coins de passage clés étaient sous contrôle britannique, soit directement (comme l'Afrique du Sud), soit indirectement (comme pour Malacca grâce à des accords préférentiels). Les Allemands avaient un empire colonial très limité mais ont fait un réel effort pour tenter de rattraper - en termes de tonnage - la marine britannique. Comme ils n'y sont jamais arrivés, cela a contribué à aboutir à la Première guerre mondiale. 

La Chine mène un réel effort en termes de flotte. Les budgets militaires de la Chine sont aujourd’hui autour de 150 milliards de dollar. Il s'agit du deuxième budget militaire au monde après les Etats-Unis. Mais en termes de capacité opérationnelle, la Chine est loin du Japon. Certes la Chine a aujourd’hui la troisième marine du monde en termes de tonnage (après la Russie, bien qu'elle la dépassera probablement la dans quelques années, voire quelques mois). Mais d’une, la Chine a une marine côtière, c’est à dire qu’elle n’a pas la capacité à se projeter au-delà de l’Océan indien, et de deux elle n’a quasiment aucune base relais. Quand bien même la elle pourrait se projeter, il faut pouvoir faire escale, se ravitailler et  disposer de pays d’accueil en cas d'incident, ce que la Chine n'est pas, aujourd'hui, en mesure de faire. Les Japonais, quant à eux, ont une force navale importante certes, mais ont une force de défense côtière. Ils n’ont pas de porte-avions et dépendent du système de communication américain.

Ainsi, nous ne sommes pas du tout dans la logique de 1914, où les Britanniques avaient une puissante marine et des bases relais un peu partout.

A-t-on tort de penser que deux pays dont les économies sont si complémentaires comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne, ou encore la Chine et le Japon, ne peuvent se faire la guerre ? 

Malheureusement, oui. C’est une question récurrente. Le Japon a comme premier client la Chine, c’est incontestable. Et la Chine a comme premier client le Japon. Mais attention, dans ces flux commerciaux qui paraissent importants et qui semblent dire que les deux Etats sont imbriqués, il s'agit la plupart du temps de flux de réexportation. Le commerce est donc en fait moins important qu’il n’y paraît.

Mais l’économie n’empêche pas la guerre. Il suffit de regarder 1914 et l'Europe : non seulement on avait des intérêts économiques importants, mais les grandes familles royales avaient des liens de parenté ! L'imbrication économique, les intérêts mutuels, n’empêchent pas les conflits.

Ceci étant dit, dans le cadre Japon-Chine, une guerre n’est pas envisageable car elle ne pourrait avoir lieu sans l’intervention des Etats-Unis. Pour la chine, ça n’a aucun sens. Le pays vit en grande partie du fait qu'elle attire des investisseurs étrangers. Si, de par sa politique étrangère, elle ne garantit pas la pérennité des investissements, les investisseurs iront ailleurs, dans d’autres pays émergents comme l’Inde ou le Bangladesh. Ce n’est pas l'intérêt de la Chine que de se montrer agressive.

Propos recueillis par Marianne Murat

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