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Les nouveaux bien-pensants : quand le rationnel cède le pas à l’émotionnel chez le politique
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Bonnes feuilles

Et si la cause de la séparation toujours plus accentuée entre les élites et le peuple était à chercher ailleurs que dans les racines économiques et sociales de la crise ? Car ceux qui ont le pouvoir de dire et de décider ne veulent pas voir le monde, leur monde , changer. Il faut, pourtant, trouver de nouveaux mots pour éviter les maux qui frappent notre société et construire de nouvelles règles du vivre-ensemble. Extrait de "Les nouveaux bien-pensants" (2/2).

En s’appuyant sur des pensées courtes, celles fondées sur l’urgence et le prurit de servir, le politique n’agit pas avec discernement. Ce qu’il paye, rapidement, au prix fort. La déconsidération de la parole publique ; le fait qu’elle n’intéresse que quelques « accrocs » ; plus grave encore, le phénomène de l’abstention prenant de plus en plus d’ampleur ; voilà autant d’expressions de la saturation de l’idéal démocratique sur lequel a reposé la modernité. Nous l’avons déjà dit, derrière Alexandre le Grand, il y avait Aristote. Tout est symbole ; mais celui-ci est, particulièrement, parlant en ce qu’il souligne l’impérieuse nécessité pour l’action publique de s’abreuver à une pensée authentique. Et pour ce faire de cultiver la réflexion et la sagesse qu’engendre la solitude, afin de repérer l’importance de l’inapparent, c’est-à-dire apprécier la permanence des choses qui va se réfugier dans ce qui semble insignifiant. Georg Simmel a proposé pour cela la belle image du « roi clandestin ». Celui qui a une puissance bien plus forte et autrement plus durable que le pouvoir on ne peut plus fragile et de courte durée.

La réalité (économique, politique, sociale) est sans consistance si on oublie le Réel, gros des possibles sur lequel elle repose. Les grands politiques ne s’y sont pas trompés qui étaient, avant tout, des rêveurs ou des mystiques. C’est souché sur l’arbre de la connaissance que le politique trouve sa dignité. À défaut il va s’achever en eau de boudin : la fameuse politique politicienne, objet de la risée ou du mépris général. C’est ainsi, également, qu’il saura saisir « l’esprit-principe », « l’idée-force » propre à chaque époque historique, et qui est l’agent souterrain donnant vie et mouvement. Chateaubriand, à ce propos, rappelle que l’on ne peut étouffer cette « électricité sociale » qui meut le peuple. Ajoutant : « Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle, comme vous vivez avec la machine à vapeur. Il faut apprendre à vous en servir. »

Il suffit de changer quelques mots, ajouter : Twitter, blogs, réseaux sociaux, Internet, etc. pour souligner l’actualité de cette « électricité » qui, tout en étant immatérielle, n’en est pas moins terriblement efficace. Car qu’est-ce que le politique sinon le fait, tout simplement, d’habiter avec d’autres en un lieu donné. Un lieu faisant lien. Le lien, c’est une terre natale ou d’accueil, ayant un style spécifique, une odeur, un ciel où elle se reflète, en bref une biosphère à partir de laquelle peut croître un être-ensemble. En son temps, j’avais nommé cela l’enracinement dynamique. Oxymore soulignant l’entrecroisement du temps et de l’espace. Ce à partir de quoi se constitue la communauté de destin. Encore faut-il, avec justesse, repérer les caractéristiques de cette communauté en un moment donné : c’est cela l’art du politique. C’est en cela qu’il est en phase avec son époque et, donc, peut la représenter d’une manière tout à la fois pertinente et prospective.

Le problème est qu’un cycle est en train de s’achever. La crise dont on nous rebat les oreilles en est la manifestation achevée. Ce sur quoi reposait l’idéal démocratique moderne peut se résumer on ne peut plus simplement. C’est à partir d’une représentation philosophique que se légitimait une représentation politique. Ainsi tel homme politique exposait un programme rationnel, et c’est sur la validité de ce programme qu’il obtenait, après avoir convaincu l’électeur, son suffrage. Seule la raison était, ainsi, sollicitée. Le fameux contrat social élaboré dans la foulée de la philosophie des Lumières, ou encore l’idéal démocratique se constituant tout au long du XIXe siècle étaient la cause et la conséquence de la représentation philosophico-politique de la modernité.

Voilà ce qui est en train de changer. Une transfiguration du politique s’opère, à grande vitesse, sous nos yeux. Le rationnel cède le pas à l’émotionnel. Le contrat de longue durée se mue en pacte éphémère. Dès lors, à l’encontre de ce à quoi il est habitué, à l’encontre de ce qui lui fut instillé dans les écoles dont c’était le fond de commerce (Sciences Po, l’ENA, l’ENS de la rue d’Ulm et autres grandes écoles d’obédience jacobine), le politique doit moins démontrer, ou expliquer, un projet lointain que faire participer à une vision commune.

Extrait de "Les nouveaux bien-pensants", Michel Maffesoli et Hélène Strohl (Editions du moment), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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