Dangers et vertus du cannabis : ce qui est prouvé, ce qui ne l'est pas<!-- --> | Atlantico.fr
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La France vient d'autoriser la vente du Sativex, un médicament dérivé du cannabis.
La France vient d'autoriser la vente du Sativex, un médicament dérivé du cannabis.
©Reuters

L'herbe magique

En autorisant sur le marché français un spray à base de chanvre, la France fait un premier pas vers l'utilisation médicale du cannabis. L'occasion de faire le point sur ce que l'on sait vraiment des bienfaits ou des conséquences négatives de la plante qui fait tant débat.

Jean Costentin

Jean Costentin

Jean Costentin est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, il dirige une unité de recherche de neuropsychopharmacologie associée au CNRS. Président du Centre National de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie, il a publié en 2006 Halte au cannabis !, destiné au grand public.

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Atlantico : La France vient d'autoriser la vente du Sativex, un médicament dérivé du cannabis. Que sait-on vraiment des vertus thérapeutiques prouvées du cannabis ? Que penser de ce médicament et plus généralement de ce qu'est supposé apporter le cannabis thérapeutique ?

Jean Costentin : Cette autorisation de vente survient, d’une façon troublante, après diverses déclarations ministérielles (ministre de l’Education nationale, ministre du Logement), après le feu vert donné à l’instauration des salles de shoots pour toxicomanes, après le dépôt synchronisé dans les préfectures de France des statuts d’association (loi 1901 de cannabis social clubs), après la médiatisation extrême de la légalisation du cannabis « récréatif » par l’Uruguay, par le Colorado, ou encore l’Etat de Washington. Les marches arrière opérées par la Hollande et l’Espagne sont traitées par contre avec une discrétion de violette sans parfum. On est surpris par la rapidité avec laquelle la commission ad hoc, de l’Agence nationale de sécurité du médicament, a bouclé son expertise. Elle vient pourtant  d’être totalement renouvelée, nommant des membres qui, dans leur très grande majorité, sont inconnus du monde scientifique des pharmacologues et des toxicologues ; en tous cas ils ne sont pas choisis pour leur notoriété scientifique (si l’on en juge leur activité publicatoire en relation avec la fonction qui leur est impartie). 

Le décret paru au J.O. (journal officiel, ndlr) autorisant la présentation de ce dossier est un modèle de texte bâclé. Il autorisait les « dérivés du cannabis » comme si une plante, le chanvre indien, pouvait avoir des dérivés. Le décret en autorisait d’un bloc tous les constituants, soit plus de cent molécules différentes, dont on ignore à peu près tout de la plupart d’entre elles, excepté le tétrahydrocannabinol (THC), dont on connaît les multiples et parfois très graves méfaits. On est manifestement dans l’idéologie, dans la satisfaction sans coût immédiat donné à des lobbies à l’œuvre de longue date, qui militent pour la légalisation du cannabis.

De nombreux arguments plaident contre le concept du cannabis médicament. Son principe actif principal, le THC, développe une multitude d’effets liés à la stimulation de récepteurs cérébraux : les récepteurs CB1 (cannabinoïdes de type 1) qui sont de tous les récepteurs (guichets en quelque sorte auxquels viennent frapper des substances endogènes/médiateurs pour communiquer une information aux cellules /neurones qui les portent.) Parmi les quelques centaines de types de récepteurs, ces récepteurs CB1 sont les plus nombreux, très diffus dans le cerveau (ubiquistes). C'est-à-dire qu’ils affectent une très large variété de fonction. C’est une sorte de panacée dont la thérapeutique se défie depuis plus d’un demi siècle. Si j’ai besoin de soulager (modestement avec le THC) une douleur, je n’ai pas forcément besoin que la molécule utilisée accroisse mon appétit, ni crée une ébriété/ivresse. On avait déjà l’alcool pour cela, mais c’était dans les westerns. Nous n’avons pas besoin que cette molécule crée une pharmacodépendance, le besoin d’en consommer sans cesse pour ne pas éprouver la frustration, le désagrément, le déplaisir, des troubles de la série dépressive, qui accompagnent sa privation. Cette drogue, car c’en est une n’est pas douce du tout. Elle crée une sensation de plaisir qui est à l’origine des appréciations indument laudatives de ses utilisateurs réguliers, interdisant toute étude objective contre placébo. 

Le Sativex est un bricolage en ce qu’il associe au THC, dont on redoute un certain nombre de méfaits, que pour relativiser on associe à un autre constituant du cannabis, le cannabidiol, dont on ne connaît  pas le mécanisme d’action - si ce n’est qu’il ne bloque pas les récepteurs CB1. Quant aux taux respectifs de ces deux constituants, ils procèdent d’un arbitraire à peu près complet ; ce type d’association est une première en pharmacologie.

Le devenir du THC dans l’organisme, du fait de son exceptionnelle solubilité dans les graisses/lipides de l’organisme, est de toute les drogues le seul à se stocker pour des semaines et même des mois dans l’organisme, entretenant une imprégnation permanente chez l’usager régulier, compliquant le choix des doses. Un seul autre médicament est connu pour avoir une telle rémanence dans l’organisme, un anti-angoreux, antiarythmique (l’amiodarone) dont on déplore cette particularité pharmacocinétique, avec l’accumulation (thésaurismose) à laquelle elle donne lieu. Toujours au plan de sa pharmacocinétique, le THC interagit avec la glycoprotéine P, qui joue un rôle important dans la résorption et l’excrétion de divers médicaments. Ce qui donne lieu à des interactions encore mal appréhendées.

Pour chacune des activités revendiquées, on dispose déjà, et souvent de longue date, de vrais médicaments, ayant un effet spécifique, et plus actif que le THC à cet égard. L’effet analgésique est au mieux celui de l’aspirine ou du paracétamol, l’effet orexigène (ouvrant l’appétit) est voisin de celui des antihistaminiques H1 ayant une action cérébrale, ou de la périactine ; l’effet myorelaxant est moindre que celui du baclofène, du tétrazépan (ce dernier vient d’être retiré du marché pour de très rares cas de lésions cutanées graves) ; l’effet immunodépresseur est des plus modestes comparé à celui des molécules utilisées dans ce dessein ; la baisse de la pression oculaire sollicitée en cas de glaucome est significative, mais modeste comparée aux sept classes actuellement disponibles de médicaments antiglaucomateux ; comme anti émétique (contre les vomissements) les sétrons (Navoban, Kytril, Zophren font beaucoup mieux)… 

Le plus important à dire pour conclure sur cette première question, c’est que ce qui qualifie un médicament, c’est le rapport bénéfices/risques. Quels bénéfices peut-on espérer qu’en retirera le patient, ce qu’il convient de mettre en perspective avec les risques auxquels on l’expose, en lui prescrivant ce médicament. La modestie des effets résume les bénéfices ; sachant, il faut le redire, que l’on dispose, pour chacun des effets revendiqués de médicaments plus efficaces aux effet spécifiques.

Et que sait-on des dangers qu'il fait courir, y compris dans le cadre d'un usage thérapeutique ? Comment le cannabis agit-il sur l'organisme et le cerveau ?

S’agissant des risques, effets latéraux et adverses du THC, ils sont multiples et parfois graves. Je ne pourrais ici que les énumérer, mais chacun d’eux justifierait de longs développements.

Effets sédatifs, défocalisateur de l’attention, incompatibles avec la conduite des engins à moteurs, effets ébriants (ivresse), émergence de troubles délirants (état de rêve éveillé) ; survenue d’hallucinations (perceptions erronées, fallacieuses, sans réalité) ; perturbation de la mémoire de travail, de la mémoire opérationnelle, perturbant une réflexion suivie, un raisonnement, anxiolytique en aigu, cet effet donnant lieu à une tolérance se mue en une anxiété ; effet de type antidépresseur en aigu, qui au fil de l’usage, toujours par le jeu d’une tolérance peut évoluer vers une dépression intense (avec en embuscade le risque de suicide). Incitation à la consommation d’autres drogues, dont l’alcool, or la rencontre cannabis-alcool est particulièrement détériorante (sur la route, elle multiplie par 14 le risque d’avoir un accident mortel). Effet immunodépresseur qui peut faciliter diverses infections, faire flamber leur évolution (pneumonies), et aggraver le cours du SIDA. Au long course diminution de la sécrétion testiculaire de l’hormone mâle, la testostérone, diminuant la libido dans des affections où elle est déjà déficitaire ; troisième cause de déclenchement d’infarctus du myocarde, accroit les risques d’artérite des membres inférieurs, ou encore d’accidents vasculaires cérébraux. Il y aussi des risques d’émergence ou d’aggravation de troubles psychotiques, de psychose cannabique aiguë. Et puis, potentiellement, une aggravation d’une schizophrénie déclarée. 

L'encadrement de la prescription et du suivi du Sativex semble-t-il à cet égard suffisant ? A quelles complications peut-on s'attendre ?

Dès que l’on a mis le pied dans la porte, c’est comme si elle était déjà grande ouverte. L’image répulsive du cannabis se trouve singulièrement écornée au pays qui parmi les 28 états membres de l’Union Européenne est le plus gros consommateur de cette drogue (1.500.000 usagers réguliers, dont 600.000 usagers quotidiens et multiquotidiens).

Les patients victimes de Sclérose en plaques se mettent à espérer, c’est ainsi que cela leur est présenté, qu’ils disposent là d’un traitement miracle. Or, certains effets secondaires vont leur être particulièrement délétères. L’interdiction de la conduite automobile va les priver d’une dernière possibilité d’autonomie, dont certains disposent encore. Leurs perturbations cognitives vont troubler le transfert qu’ils font souvent, à un haut niveau, vers des activités intellectuelles, lectures, réflexions, ou plus prosaïquement mots croisés. Les perturbations thymiques vont majorer leurs risques de dépression de l’humeur, leur appétit redoublé joint à leur diminution de mobilité va accroître leur poids, ce qui rendra leur mobilisation plus difficile - tant par eux même que pour leurs assistants de vie ; leur libido souvent déjà déprimée risque de l’être davantage… L’encadrement de la prescription, dans la seule indication de la SEP, va bientôt s’élargir. Aujourd’hui, un psychiatre addictologue très médiatisé (W. Lovenstein) revendiquait déjà l’extension de ces indications ; la prescription hospitalière s’étendra bientôt à la médecine générale, profession qui n’est pas exempte, hélas, de quelques praticiens consommateurs. On connaitra bientôt à cet égard une situation aussi scandaleuse que celle qui prévaut actuellement pour la prescription par de trop nombreux médecins, des médicaments de substitution à l’héroïne, dont le trop fameux subutex (le « Subu »).

Propos recueillis par Ilana Ferhadian

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