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Baisse du taux d'épargne des Français : confiance en l'avenir ou épuisement des matelas anti-crise ?
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Bas de laine

Passé de 15,9% à 15,7% au second semestre 2013, le taux d'épargne des Français inquiète certains prévisionnistes. Une baisse qui est en partie due à la stagnation des revenus professionnels et à la hausse des prélèvements.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atantico : Alors que les indicateurs économiques laissent envisager une croissance atone pour 2014, la baisse de l'épargne des ménages en inquiète certains. Passé de 15,9 à 15,7 % au second semestre 2013, le taux d'épargne des Français laisse penser que l'un des derniers matelas financiers de l'Hexagone tombe en désuétude. Qu'en est-il concrètement ?

Philippe Crevel : Avec les Belges et les Allemands, les Français figurent parmi les fourmis de l’Union européenne. La baisse enregistrée au cours de l’année 2013 n’est en rien catastrophique. Sur ces vingt dernières années, le taux d’épargne a varié de 15 à 16,4 % du revenu disponible brut. Il avait atteint un maximum de 16,4 % en 2009 en pleine crise financière. Après une légère décrue, il était reparti à la hausse en 2011 et 2012 avec le problème des dettes souveraines. Sa baisse depuis quelques mois est liée à la politique du gouvernement qui joue du bâton fiscal et de l’arme des taux. L’assujettissement au barème de l’impôt sur le revenu d’un grand nombre de produits financiers et le relèvement des prélèvements sociaux à 15,5 % ont conduit certains ménages à réduire leur effort d’épargne.
Par ailleurs, le gouvernement a réduit le taux de rendement du Livret A qui est passé de 1,75 à 1,25 %. Même si cette baisse est imputable à la diminution de l’inflation, les épargnants sont assez sensibles à la valeur faciale du rendement de leur épargne et se détournent depuis l’automne du Livret A. Un rendement à 1,25 % a, en effet, conduit de nombreux Français à laisser une partie de leur argent sur leurs comptes courants.

Le recul du pouvoir d’achat constitue l’autre grande raison du recul de l’épargne. Mais dans les faits, il n’y a pas de réel divorce entre les Français et leur épargne. 95 % des Français ont un Livret A. 62 % des ménages ont un contrat d’assurance-vie. L’encours du premier s’élève à 260 milliards d’euros et celui du second s’élève à plus de 1 450 milliards d’euros. Depuis le début de l’année, la collecte du Livret A et du Livret Développement Durable reste positive pour plus de 18 milliards d’euros et celle de l’assurance-vie atteint 12 milliards d’euros.

Peut-on paradoxalement voir dans cette annonce un fait plutôt positif, puisque cela sous-entendrait que la consommation résiste en dépit de la baisse du pouvoir d'achat   ?

Le gouvernement attend beaucoup de la baisse du taux d’épargne pour maintenir la consommation qui représente près de 60 % du PIB. En effet, cette baisse permet de compenser la diminution du pouvoir d’achat qui a atteint 0,9 % en 2012 et qui a été de 0,1 % au troisième trimestre de 2013. Du fait de la stagnation des revenus professionnels, du fait de l’augmentation des prélèvements, les Français n’ont pas d’autre solution que de puiser dans leur bas de laine pour maintenir autant que possible leur niveau de vie.
Cette baisse de l’épargne obère l’avenir car aujourd’hui, la France souffre d’un problème d’offre. Au troisième trimestre 2013, le taux de marge des entreprises est de 27,7 %, soit le niveau le plus bas depuis 1985. Elles ne peuvent pas investir et donc bâtir la croissance de demain. Or, elles manquent de fonds propres et elles éprouvent de plus en plus de difficultés pour accéder aux crédits bancaires. La diminution de l’épargne restreint donc la capacité de financement des entreprises. La politique du gouvernement est schizophrène, car d’un côté il dissuade les Français d’épargner en pesant sur les taux et en augmentant les impôts ; de l’autre il demande à ces mêmes Français de placer leur argent sur un contrat d’assurance-vie, sur un PEA voire sur un Livret A en relevant le plafond à 22 950 euros.
Il est certain que le dopage artificiel de la consommation contribue à perpétuer le déficit commercial de la France ; le consommateur primant sur le producteur.

Existe t-il malgré tout un seuil que le taux d'épargne français ne devrait pas dépasser ? (10 % ou moins ?)

Le taux d’épargne des ménages comporte deux composantes, le remboursement du capital des emprunts immobiliers qui pèse environ 9 % du revenu disponible brut et l’épargne financière qui tourne autour de 6 %. La première composante n’est pas flexible car les Français ne peuvent pas arrêter de rembourser leurs emprunts immobiliers.

En outre, avec le renchérissement du coût du logement, les montants à rembourser ont tendance à augmenter. L’ajustement s’effectue donc sur l’épargne financière qui varie assez fortement en fonction de la conjoncture. Depuis 1993, le taux d’épargne financière a fluctué du simple au double. Il est peu probable que les Français se dégarnissent trop fortement. En période de fort taux de chômage, les ménages tentent de conserver un niveau minimum d’épargne de précaution. Le taux plancher se trouve, actuellement, entre 14 et 15 %. Il faut signaler que l’INSEE ne prévoit pas pour 2014 une forte baisse du taux d’épargne, qui devrait se stabiliser à 15,6 %.

Si l'on prend un large recul, on réalise que le taux d'épargne a fortement progressé en France pendant les Trente Glorieuses avant de décroître progressivement à partir de 1974, époque où il dépassait les 20 %. Faut-il voir finalement cette baisse de l'épargne comme un mécanisme profond de transformation de l'économie française ?

Le taux d’épargne atteignait 21 % du revenu disponible brut en 1978. Ce taux a progressivement décliné au cours des années 80 pour atteindre un minima de 11,1 % en 1987. Dans les années 60 et 70, les Français ont bénéficié de forts gains de pouvoir d’achat et se sont fortement endettés pour acquérir leur résidence principale. De ce fait, le taux d’épargne financière et les remboursements des emprunts immobiliers étaient au plus haut. Les banques prêtaient assez facilement car le taux de chômage était faible et que les augmentations de salaire augmentaient les capacités de remboursement des ménages ; en outre, l’inflation rongeait le montant des emprunts année après année.

Cette situation s’est complètement inversée avec la désinflation, avec la stagnation de la masse salariale et l’augmentation du taux de chômage. En revanche, les Français ne sont pas devenus des Américains, qui se caractérisent par un très faible taux d’épargne et un recours important au crédit à la consommation. Les Français restent très prudents en matière de crédits et conservent un fort volant d’épargne qui reste liquide et investi sur des produits sans risque. Il y a, en la matière, une grande continuité.


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