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Abenomics, point d’étape : ce qui est acquis, ce qui reste à faire dans la tentative du sauvetage de l’économie japonaise
©Reuters

Bilan nippon

Perçue comme salvatrice par certains et vigoureusement critiquée par d'autres, la politique économique japonaise, surnommée "Abenomics" du nom de son initiateur, est un engagement puissant. Pourtant, la route est encore longue...

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Le Japon s'est assigné une tâche très ambitieuse en souhaitant redynamiser sa croissance et sortir définitivement de la déflation qui caractérise son économie depuis le milieu des années 1990. La stratégie de Shinzo Abe, le Premier ministre élu à la fin de l'année 2012, est de mettre en œuvre une série de stratégies visant à changer durablement la dynamique de cette économie. Sa stratégie repose sur trois composantes appelées les trois flèches. La première, associée à la politique monétaire, doit permettre de sortir de la déflation, la seconde reflétant la politique budgétaire doit permettre de retrouver un rythme de croissance plus fort et la troisième flèche est celle des réformes structurelles qui doivent permettre de pérenniser cette dynamique dans la durée.

Pour l'instant, les deux premières flèches sont à l'œuvre. Le taux d'inflation tend vers 1% et le taux d'inflation sous-jacent est repassé en territoire positif. L'économie japonaise change même si cette évolution des prix est encore éloignée de l'objectif de 2% que s'est fixé la Banque du Japon.

Les ménages sont interrogés et considèrent effectivement que l'inflation va continuer de progresser. Ce changement dans les anticipations est important car il reflète le changement de perception par les ménages de leur environnement. En France, au milieu des années 1980, la campagne pour la désinflation en France s'était appuyée avec succès sur le changement des anticipations. A l'époque, il fallait réduire l'inflation, aujourd'hui au Japon il faut faire en sorte qu'elle s'accélère. Les ménages semblent l'avoir intégré même si les salariés se trouvent un peu pris en défaut car leur salaire ne suit pas cette accélération des prix. De fait, ils subissent une perte de pouvoir d'achat. Cela ne crée pas cependant encore de défiance vis-à-vis de la politique menée.

Du côté de l'activité, la croissance est positive et forte même si elle est un peu moins vive au 3ème trimestre qu'en début d'année. Cela ne remet pas en cause la stratégie adoptée mais doit néanmoins être une alerte car le ralentissement vient d'un moindre investissement productif et d'exportations qui s'exportent mal. La moindre accumulation de capital peut n'être que passagère car les anticipations d'investissement contenues dans l'enquête trimestrielle Tankan de la Banque du Japon restaient positives. D'une manière générale la dynamique d'activité est bonne mais n'est pas "explosive". On reviendra sur les exportations plus loin.

La véritable question est l'inscription dans la durée de l'ensemble de ces éléments tout en prenant en compte le fait que la population active tend à se réduire.

Il y a ici plusieurs points à observer.

Le premier en relation avec la population suggère qu'une croissance de 2% qui est l'objectif d'Abe se traduira par une croissance de l'activité par emploi plus rapide au fur et à mesure de la réduction de la population. En effet, le taux de croissance de l'économie est la somme de la hausse de la productivité et de la hausse de l'emploi. Si ce dernier se réduit du fait du vieillissement de la population alors pour avoir une croissance du PIB de 2% il faut une progression très rapide de la productivité dans la durée, probablement de l'ordre de 2.5%. C'est un chiffre considérable qui semble difficilement atteignable dans une économie vieillissante.

L'autre point est finalement la dépendance plus marquée qu'imaginée de la dynamique externe du Japon à la Chine. Le Japon avait profité de la croissance très forte de l'économie chinoise, cela la pénalise désormais alors que le pays de l'Empire du Milieu remet en cause son mode de croissance hérité de Deng Xiaoping. L'affaiblissement de la devise nippone n'est pas suffisant pour l'instant pour provoquer une impulsion externe en raison de cette dépendance de demande vis-à-vis de la Chine.

Le troisième point est l'arbitrage qu'il faudra faire entre une épargne forte des entreprises et une épargne plus réduite des ménages. Ces derniers sont pénalisés par une réduction tendancielle de la part des revenus salariaux dans le PIB. Il faudra probablement faire des transferts de pouvoir d'achats pour qu'effectivement il y ait une demande solvable dans la durée. Cela prend du temps.

En d'autres termes, les instruments conjoncturels permettent à l'économie de retrouver une allure de croissance plus robuste. Cela se voit notamment dans les enquêtes menées auprès des chefs d'entreprise. Les indices des enquêtes Tankan ou Markit sont à un niveau élevé traduisant l'anticipation par les chefs d'entreprise d'une situation immédiate plus soutenue.

Simplement, on observe que tenir un rythme de croissance de 2% dans la durée ne sera pas chose simple si la population continue de vieillir. L'ouverture des frontières a ici une illustration simple et directe. Mais sur cet aspect, véritable réforme structurelle au Japon, pas de changement ni de calendrier annoncé. Il faudra aussi redynamiser le revenu des salariés. Cela peut passer par des transferts via l’État, par des augmentations de salaires, c'est d'ailleurs ce qu'ont proposé plusieurs entreprises japonaises récemment. Cela peut passer aussi par une revalorisation du travail féminin, autre réforme structurelle déjà discutée mais qui ne dispose pas non plus de calendrier. L'objectif est de disposer d'une demande interne plus robuste et plus soutenue afin de donner davantage d'autonomie à la dynamique productive et que celle-ci ne soit plus aussi dépendante des impulsions provenant de son voisin chinois.

La situation continuera de n'être pas simple à court terme. Le gouvernement a acté l'augmentation de la TVA au premier avril afin de commencer à rééquilibrer les comptes publics. Cela va affecter des ménages qui s'interrogent aujourd'hui davantage sur l'ensemble des réformes mises en œuvre. Cet objectif de rééquilibrage des finances publiques n'aura par ailleurs de sens que si effectivement la croissance tend vers 2% dans la durée. Les réformes de structure sont vraiment indispensables. Mais elles se font attendre.

Tout cela est surement un peu rapide et ne pourra pas s'inscrire dans la durée sans de véritables réformes qui modifient en profondeur la façon dont l'économie japonaise fonctionne. Car et c'est là l'interrogation : si l'économie nippone a connu cette longue période de faible croissance c'est que son modèle était épuisé ou mal adapté à l'environnement économique global. Vouloir remettre à flot cette économie avec juste des recettes conjoncturelles et sans faire de réformes structurelles est certainement illusoire.

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