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Comment les agences de renseignement sont en train de se préparer à hacker un jour notre cerveau
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Super Big Brother

Les méthodes de surveillance de la NSA sont peut-être sans commune mesure avec ce qui pourrait être fait dans plusieurs années, si les technologies de la communication et les neurosciences parviennent à faire communiquer les cerveaux directement entre eux.

Jean-Michel Cornu

Jean-Michel Cornu

Jean-Michel Cornu intervient depuis plus de vingt cinq ans comme consultant international et expert européen dans le domaine de la stratégie des Technologies émergentes et dans celui de la coopération. Il anime son propre blog.

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Atlantico : Des expériences ont été menés pour connecter des cerveaux humains entre eux, notamment à l’université de Washington pendant l’été 2013 (voir ici). La convergence des technologies de la communication et des neurosciences pourrait-elle permettre un jour de communiquer part télépathie ? Quelles seraient les modalités concrètes ?

Jean-Michel Cornu : Un certain nombre de travaux sont menés dans ce domaine. IBM notamment, a mené des recherches pour que le téléphone capte le nom de la personne que l’on veut appeler, sans qu’il soit besoin de faire usage de ses mains. C’est ce qu’on a su faire de mieux pour l’instant, on est donc encore très loin de la télépathie, qui suppose de comprendre des concepts. Impossible, donc, de dire si on y parviendra un jour.

Pour l’instant on parvient à faire deux choses sur trois :

- Faire bouger par la pensée la souris de l’ordinateur sur l’écran ;

- Identifier des personnes sur des catalogues fixes. Beaucoup de progrès restent à faire, mais beaucoup d’argent a été investi, ce qui laisse penser que des résultats probants seront obtenus ;

- La troisième consiste  à deviner les pensées, mais là on est dans le domaine de la science fiction. On n’est pas du tout à même de faire voyager des concepts, de les comprendre ni de les pirater.

Si on parvenait néanmoins à communiquer par télépathie, à quels services aurait-on accès ?

La grande question est la suivante : s’agit-il de pensées communiquées de façon volontaire, ou involontaire ? Dès lors les usages ne sont pas les mêmes. Sur le plan de l’émission, on peut imaginer que, sur une base involontaire, un message d’alerte soit envoyé si on se sent mal. Ce serait pratique, pour les personnes âgées. Sur le plan volontaire, l’affaire est beaucoup plus compliquée, car autant on contrôle sa parole (quoique…), autant on a beaucoup plus de mal à contrôler sa pensée. Pour preuve, il suffit que l’on dise "ne pensez pas à une échelle" pour qu’une échelle apparaisse immédiatement dans votre esprit…

A l’inverse, c’est autre chose lorsque l’on parle "d’interface entrante", c'est-à-dire lorsqu’on réceptionne des informations, avec toutes les questions que cela pose en termes de manipulation du cerveau.

Un ancien conseiller de la NSA, Joel F. Brenner, a récemment écrit (voir ici) que "si la NSA veut aujourd’hui capter les communications d’un générale étranger ou d’un chef terroriste, elle doit pirater les mêmes clés de cryptage que pour vous et moi : tous ont un blackberry ou un iPhone". Si les communications devenaient télépathiques, celles-ci pourraient-elles également être piratées ?

Outre les clés classiques, beaucoup de travaux sont menés sur le cryptage cantique, qui fait appel à la physique des particules, et permet de détruire une donnée si elle n’est pas ouverte par la bonne personne. Il est possible que les mécanismes de la pensée soient assez proches. Si la communication télépathique est simplement codée, alors on pourra la pirater, mais il n’est pas exclu que la communication soit davantage de l’ordre du cantique. Mais on ne sait pas encore tout à fait comment on pense, et s’il est possible de penser à deux. Car il ne s’agit pas seulement de communiquer d’une personne à une autre ou à une machine, mais que les deux pensent ensemble, à l’unisson. Quoi qu’il en soit on reste très spéculatif sur le sujet, puisque pour l’instant on considère qu’il est impossible de pirater un algorithme cantique. Mais qui sait ce qu’il en sera demain ?

Qu’est-ce qui retiendrait une organisation, comme la NSA, qui en aurait la capacité de pénétrer dans nos cerveaux ? Le dilemme est-il strictement le même qu’aujourd’hui, entre d’une part la recherche de sécurité vis-à-vis d’un potentiel agresseur, et d’autre part le respect de la vie privé ?

Le problème de la vie privée se pose d’autant plus que cela consisterait à ouvrir le "dernier coffre-fort". On voit bien que même si une dictature peut influer sur la liberté de parole, elle ne peut pas empêcher de penser. Régler la question prendrait des années et des années de travail au comité d’éthique qui en serait chargé, ainsi qu'au législateur. Il n’aura jamais été aussi compliqué de marier deux besoins antagonistes : intérêt commun et intérêt de la personne. Tout dépend de la société que l’on veut.

Si une organisation avait accès à nos pensées, quel usage en ferait-elle ?

Si on était un jour capable de faire cela, la véritable question serait autre : chacun a un certain nombre d’intérêts qui lui est propre, le groupe a des intérêts également, qui sont différents de ceux des autres groupes. Lorsque les intérêts sont divergents, une situation de conflit éclot. Ces nouvelles technologies, qui permettraient d’espionner, de voler des données ou même de manipuler, poseront encore plus fortement la question du conflit d’intérêts.

Au fur et à mesure que l’on avance dans le renforcement des capacités de l’être humain, j’estime que ce dernier ne fera pas l’économie de repenser la manière de faire converger ses intérêts. Cette question est éminemment moderne, car jusqu’ici, avec Machiavel ou Sun Tzu, on ne s’était jamais interrogé que sur le rapport de force. Si les technologies arrivent au niveau que nous venons de décrire, et si l’espèce humaine veut survivre, celle-ci n’aura d’autre choix que d’aller dans le sens de la convergence. Nous en sommes encore à ce que Michel Serre appelle l’hominescence : si nous étions sages, nous ne fabriquerions pas la bombe atomique, et si nous étions véritablement hommes, nous ne les utiliserions pas. L’évolution des technologies, y compris dans le domaine cognitif, peut-être comparée à l’atome : de ce dernier on peut tirer la meilleure comme la pire des choses. Nous touchons à la dernière barrière qui protège l’homme, c'est-à-dire l’identité.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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