Mince alors, "mon ennemie la finance" a créé (beaucoup) d'emplois cette année<!-- --> | Atlantico.fr
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Les fonds d’investissement français ont créé 80 000 emplois en 2012.
Les fonds d’investissement français ont créé 80 000 emplois en 2012.
©Reuters

Je te tiens, tu me tiens

Les fonds d’investissement français ont créé 80 000 emplois en 2012, un record selon l’Association française des investisseurs pour la croissance (Afic). La finance est-elle en passe de devenir le meilleur allié du gouvernement dans sa lutte contre le chômage ?

Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est Docteur en Sciences de Gestion et professeur émérite en finance à HEC ainsi que Président du Club Finance HEC qui réunit plus de 300 professionnels de la finance.

Il est  également consultant auprès de grandes banques et d'organismes internationaux et travaille dans le domaine du "private equity" à travers un fonds d'amorçage dédié aux "start-ups".

Il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Les meilleurs pratiques de l'entreprise et de la finance durables, à l'automne 2010.

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Atlantico : L’Afic évalue à 80 000, le nombre net d’emplois créés par les quelques 2 800 entreprises soutenues par le capital-investissement français. Comment l’intervention d’actionnaires extérieurs permet-elle concrètement de créer de l’emploi à chacunes des étapes du capital investissement (capital-innovation, capital-développement, capital-transmission, LBO) ?

Bernard Marois : Il faut d’abord rappeler que les fonds d’investissement sont des entités très hétérogènes, dont les horizons d’investissement peuvent s’étendre de 3 à 10 ans et dont les stratégies sont très variées. Ces entités ne se limitent pas seulement à des approches court-termistes comme on a souvent tendance à le caricaturer : certains fonds privilégient des durées d’investissement courtes certes, mais d’autres choisissent d’accompagner l’entreprise dans un développement industriel de long-terme. Ensuite, contrairement à ce que l’on pense souvent, les capital-investisseurs ne jouent pas uniquement un rôle financier mais aussi d’accompagnement, en apportant leurs conseils, leur expérience de tel ou tel secteur, ou leur carnet d’adresse. Enfin, il faut garder en tête que la création d’emploi concerne beaucoup plus les entreprises nouvelles ou en phase de développement que les structures matures. Il n’est donc pas étonnant que les emplois nouveaux touchent ce type d’entreprises.

Il faut ensuite distinguer les phases de transmission, lorsque le fondateur passe la main, ou de LBO (Leverage Buy out, ndlr) qui concerne des entreprises de taille déjà importante, qui ne créent pas ou peu d’emploi. En revanche le capital développement est la phase de création d’emploi la plus importante. En France, les entreprises passent assez facilement du capital risque au capital développement mais souvent leur développement plafonne ensuite pour des raisons fiscales et de réglementation et ces entreprises peinent à atteindre le stade d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) contrairement à l’Allemagne par exemple.

Quels types d'emploi sont concernés et où interviennent-ils le plus souvent ?

J’ai en tête l’exemple d’une société de 15 salariés dans l’informatique qui a monté grâce au capital investissement des filiales en Angleterre et aux USA après avoir obtenu des contrats dans ces pays. Cette entreprise a donc créé des postes nouveaux dans ces pays mais également des emplois de support en France pour accompagner son développement. La localisation des emplois créés dépend donc des secteurs d’activité. Dans les secteurs fortement internationalisés, l’entreprise aura des besoins de personnels spécialisés liés à l’exportation. C’est le cas dans le paramédical, les nouvelles technologies notamment mais moins dans le domaine de l’aide à la personne dont les emplois resteront plus localisés sur le territoire.

Autre distinction, dans les secteurs haut de gamme, les emplois créés présentent des profils de catégorie supérieur, contrairement aux sociétés qui se créent dans des services traditionnels où la qualité des postes de travail est moins élevée. Donc dépend tous les secteurs.

En France, on observe globalement une tendance à des emplois à forte valeur ajouté qui s’adressent culturellement  plutôt à des jeunes assez diplômés. Par ailleurs, ces créations d’entreprises interviennent surtout dans des technopoles en régions parisienne, PACA ou en Rhône-Alpes, car elles nécessitent un environnement économique favorable.

Paradoxalement, c’est dans les secteurs dits traditionnels des services et des transports que les créations d’emploi ont été les plus nombreuses (+33 000) comment l’expliquer ? Au contraire, l’innovation ne compte "que" 18 000 créations d’emploi. Cela traduit-il un ralentissement de ce secteur habituellement privilégié par les investisseurs ?

La différenciation entre secteur de l’innovation et traditionnel ne me parait pas adaptée. Même dans les services il peut y avoir des développements nouveaux qui créent de l’emploi. La robotique, par nature très innovante, peut ainsi être intégrée dans certains types de services par exemple.

Cependant, il faut effectivement noter que dans le secteur médical, des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), ou des biotechnologies, la création d’emploi apparait moins importante qu’on ne le pense car ces entreprises interviennent dans des créneaux très pointus et se développent plus lentement avant d’être rachetées. On y observe ainsi plutôt des acteurs de taille importante qui se développent par croissance externe par l’intermédiaire de mécanismes de fusion-acquisition ou de restructuration qui peuvent au contraire venir diminuer momentanément l’emploi.

L’industrie française en crise (30 000 emplois détruits en 2012 en global) peut-elle être sauvée par le capital investissement (+15 000 emplois dans le secteur) ? Si oui comment ?

Dans un contexte où le chômage augmente, l’espoir que constituent la création d’entreprise et le capital investissement ne doit pas être pénalisé par le gouvernement. Ces chiffres confirment que ce serait une très grosse erreur.

Par définition, les entreprises tournées vers la recherche et l’innovation trouvent des créneaux sur des marchés en croissance. Le capital investissement joue un rôle d’accélérateur de croissance pour ces entreprises dont les besoins d’investissement financier augmentent. Or dans l’industrie, le succès dépend particulièrement d’une croissance rapide.

Ces résultats permettent-ils de tordre le cou aux idées reçues répandues selon lesquelles les fonds d’investissement seraient destructeurs d’emploi au profit d’une rentabilité à court terme ?

Certes dans toute profession, il peut y avoir des moutons noirs, c’est-à-dire des entités avec des comportements aberrants. Mais globalement l’ensemble des fonds d’investissement sont responsables et tentent d’apporter leur expérience et non pas seulement leurs financement.

D’ailleurs les taux de rentabilités du secteur sont en réalité assez loin des 20 ou 25% souvent avancés dans les medias. D’autant que ces structures prennent des risques importants : le ratio de décès d’entreprises reste non négligeable, autour de 50% au bout de 3 ans d’après mon expérience personnelle. Il est donc normal que ce risque soit rémunéré par une prime supérieure à celle d’une action ou d’une obligation classique d’entreprise.

Propos recueillis par Pierre Havez

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