Contrôle des flux et enjeux de l'intégration : quelles sont les vraies questions qui se posent encore sur l'immigration ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
L'UMP souhaite répondre aux nouveaux enjeux qui se pose à la France en termes de flux migratoires.
L'UMP souhaite répondre aux nouveaux enjeux qui se pose à la France en termes de flux migratoires.
©Capture d'écran

Les flux migratoires pour les Nuls

Une convention sur la gestion de l'immigration organisée par l'UMP se tient aujourd'hui afin de réactiver la ligne de l'ancien parti présidentiel sur un sujet déterminant à droite. Si le débat ne date pas d'hier, sa politisation a parfois pu faire oublier les interrogations les plus essentielles.

Atlantico : En tenant une convention sur l'immigration, l'UMP souhaite répondre aux nouveaux enjeux qui se pose à la France en termes de flux migratoires. Droit d'asile, regroupement familial, les thèmes abordés évoquent un débat qui ne date pas d'hier, même si les réalités du phénomène ont largement évoluées. Comment les enjeux sur ces question se définissent-ils aujourd'hui ? Ces thèmes restent-ils centraux ?

Michèle Tribalat : Pendant les Trente Glorieuses, la question du droit d’asile se posait peu car l’immigration étrangère n’était guère soumise à restriction. On pouvait s’installer en France pour échapper aux sévices de son propre pays sans forcément avoir à demander l’asile politique. Alors que le regroupement familial a toujours existé, la thématique a pris de l’importance après la crise pétrolière lorsqu’il a été question de réduire drastiquement les flux (flux familiaux compris). Certaines velléités gouvernementales ont buté très tôt sur des questions touchant aux droits. Dès 1978 le Conseil d‘État a défini une conception du droit à vivre en famille plus contraignante que celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Si la migration pour motif  économique est encore du ressort des États, l’essentiel des entrées en France correspond à l’exercice de droits inscrits dans la loi, bordée par les directives européennes. L’UMP va donc, semble-t-il, passer en revue l’état de la législation actuelle pour proposer, lorsque c’est possible, de modifier les conditions d’exercice de ces droits. C’est une démarche plus responsable que celle qui consiste à "claironner" que l’on va diviser par deux, voire par vingt, le flux d’entrées d’étrangers sans expliquer comment on compte  s’y prendre.

Maxime Tandonnet : Le fond du problème reste toujours le même : un pays ne peut pas recevoir un nombre de migrants qui excède ses capacités d’accueil sans s’exposer à de graves problèmes sociaux. Aujourd’hui, la France reçoit environ 200 000 migrants selon les chiffres officiels, en incluant les étudiants dont une partie repart toutefois. Il doit en plus faire face à un afflux annuel de 70 000 demandeurs d’asile. 

Qu'est-ce qui aujourd'hui pose encore concrètement problème en matière d'immigration en France ?

Michèle Tribalat :La difficulté des politiques est d’avoir à afficher une maîtrise alors qu’ils ne disposent pas des leviers nécessaires. Une politique migratoire qui ne peut envisager que le statu quo ou l’augmentation du niveau des flux a quitté le cercle des décisions démocratiques. Le peuple français n’a plus la possibilité de mandater un gouvernement pour réduire dans telle ou telle proportion les entrées d’étrangers en France. C’est comme si vous aviez une voiture sans pédale de frein. C’est pourquoi il est plus facile, en plus de s’assurer un confort moral, de plaider pour la nécessité d’une immigration étrangère importante ou pour l’ouverture totale des frontières. Le problème n’est pas particulier à la France. Il y prend seulement une dimension particulière en raison de l’ancienneté plus grande des flux migratoires et des potentialités migratoires que représente une importante population d’origine étrangère d ‘âge adulte. 

Maxime Tandonnet : Dans le contexte d’un pays qui compte 3 à 5 millions de chômeurs, il est évident que cette arrivée de population soulève des difficultés qui se traduisent par les phénomènes d’exclusion et de ghettoïsation d’une partie des populations immigrées dans les quartiers sensibles et les situations chaotiques qui en découlent et que personne ne veut voir.  Franchement ce n’est pas une affaire idéologique de droite ou de gauche, mais une question de responsabilité et de sens des réalités. 

Comment l'intégration européenne à changé la donne ? S'il est légitime de réfléchir aux moyens d'une meilleure régulation des flux migratoires, ne serait-il pas prioritaire de se demander quelles sont les marges de manœuvre de l'État français en la matière alors que les directives émanant de Bruxelles deviennent de plus en plus contraignantes ?

Michèle Tribalat : Je crois que c’est ce qu’est en train d’explorer l’UMP dans sa convention : qu’est-ce qui reste comme marge de manœuvre pour réduire les flux à travers le durcissement, autant que faire se peut, des conditions d’exercice des droits d’entrée posées par les directives européennes? D’ailleurs, en 2003, la rédaction de la directive Regroupement familial a offert des marges de manœuvre à certains États européens, dont le droit était plus généreux. Les droits des migrants sont une compétence européenne auxquels la Cour de justice européenne veille scrupuleusement, sans parler de la Cour européenne des droits de l’homme  et des juridictions nationales. Récemment l’Allemagne s’est vue contrainte par la Cour de Westphalie Rhénanie du Nord de verser l’allocation chômage de base de 345 euros à une famille roumaine, au motif de la liberté de circulation et de séjour des citoyens européens garantie pour la Charte européenne des droits fondamentaux.  

Maxime Tandonnet : Le fond du problème, c’est que l’Union européenne a interdit tout contrôle aux frontières entre les États de l’espace Schengen pour créer un espace européen de libre circulation dont les immenses frontières extérieures sont extrêmement difficiles à maîtriser. En outre, sous prétexte d’harmoniser les législations nationales, les autorités de Bruxelles ont empilé au fil des années des normes de droit européen, en matière d’asile, d’immigration familiale, de reconduites à la frontière, qui n’ont fait qu’aggraver l’impuissance des États. L’Europe n’est cependant qu’un aspect du problème, elle n’a jamais obligé par exemple les États à régulariser les migrants entrés ou séjournant en situation illégale, c’est-à-dire en infraction avec la loi, cette pratique étant au fil des décennies, l’une des causes de la difficulté à maîtriser l’immigration.

La question de la gestion des flux reste-t-elle aujourd'hui centrale comparée aux périodes passées ?

Michèle Tribalat : Entre les deux guerres, la grande vague migratoire des années 1920 a été suivie, avec la crise, de rapatriements forcés d’étrangers (des Polonais par wagons entiers) qui n’avaient pratiquement aucun droit, inversant ainsi le sens de la balance migratoire. Après guerre, on a souhaité une immigration importante contribuant au peuplement de la France. Celle-ci n’a guère été organisée, l’Office national d’immigration se contentant bien souvent de régulariser la situation des étrangers. Après les Trente Glorieuses, on a connu une faible croissance de la population immigrée. Ce qui n’a pas empêché les débats sur l’immigration. Rappelez-vous les discours sur l’immigration zéro. Nous connaissons un nouveau cycle migratoire, comparable en intensité relative à celui des Trente Glorieuses, sur  lequel nos gouvernants n’ont guère de prise. Résultant de l’activation de liens personnels ou familiaux noués avec des immigrés ou enfants d’immigrés déjà en France, ces migrations se fondent sur l’exercice de droits reconnus. En 1997, la loi a même intégré un article permettant la régularisation de la situation d’étrangers dont la situation n’était pas prévue par les autres dispositions de la loi, au motif de leur vie privée et familiale. Le côté lancinant de la maîtrise des flux migratoires vient du fait que, bien que souvent répétée, elle pâtit d’un manque de crédibilité en raison, précisément, de l’absence de moyens politiques. Nos gouvernants ne peuvent qu’apparaître velléitaires.

Maxime Tandonnet : Bien sûr, elle est décisive pour la préservation du pacte républicain. Nier la nécessité de la maîtrise du flux migratoire, c’est-à-dire d’adapter le flux migratoire aux capacités d’accueil de la Nation,  favorise à terme l’exclusion, les extrémismes, le repli identitaire, les haines et le chaos social.  

Le débat et les réponses à lui apporter n'a-t-il pas été amené, de fait, à dévier du terrain de la gestion des flux vers celui de la gestion de l'intégration ?

Michèle Tribalat : La question de l’intégration ne date pas d’aujourd’hui. Elle a suivi de peu la suspension du recrutement de travailleurs, avec la prise de conscience de l’existence d’un regroupement familial et de l’installation définitive des familles. Je vous rappelle que le Haut Conseil à l’intégration a été créé par Michel Rocard en 1989, pour mettre un peu d’ordre dans la connaissance et dans le débat. Mais, c’est vrai, et je l’ai entendu de la bouche de politiques eux-mêmes, puisque nous ne pouvons rien sur l’immigration, rattrapons-nous avec une politique d’intégration. Quelquefois, cela va jusqu’au déni des problèmes de gestion migratoire : le problème n’est pas l’immigration, c’est l’intégration. C’est aussi une manière de légitimer l’état des choses en matière migratoire. Si cela ne tourne pas bien, c’est que nous aurons raté notre politique d’intégration. C’est que la société française s’y sera mal pris. 

Maxime Tandonnet : La maîtrise de l’immigration et l’intégration sont inséparables. Quand on n’a pas suffisamment de logement ni de travail à proposer aux nouveaux arrivants, et que la situation financière de l’État impose des limites à ses budgets sociaux, on favorise l’exclusion, on rend impossible l’intégration et on menace à l’avenir la cohésion sociale. Ce constat de bon sens, tous les élus, responsables et acteurs de terrain, y compris quand ils se disent de gauche, le connaissent et l’expriment en privé, avant de tenir un tout autre discours, axé sur l’ouverture et l’accueil quand ils s’expriment publiquement afin de cultiver leur image. C’est toute l’ambigüité d’une partie de la classe politique face à cet enjeu. 

Quels enjeux en découlent et le positionnement du politique est-il adapté ?

Michèle Tribalat :Les dirigeants européens sont acquis à l’idée d’une immigration aussi bénéfique qu’inéluctable. D’où la promotion de la diversité elle aussi si bénéfique pourvu que nous sachions nous y adapter. D’où le retournement de la conception de l’intégration, qui de toute façon si l’on en croit les travaux commandés par le Premier ministre ne portera plus ce nom, en son contraire. Je citerai ici ce qu’en disent deux chercheurs danois. "Sournoisement, le terme "intégration" a été phagocyté : son sens est devenu le contraire de ce qu’il était. Aujourd’hui, il désigne le maintien en l’état de la religion et de la culture de la communauté d’immigrés, et donc la protection contre l’influence de la société qui l’entoure et des individus rebelles au sein de la communauté d’immigrants elle-même"

Maxime Tandonnet :Le politique est écartelé entre la tentation de nier le problème, de l’ignorer, de l’enfouir en le rendant tabou, et celle de l’exploiter à des fins électoralistes et démagogiques. C’est ainsi que depuis 40 ans, tiraillé entre ces deux tentations, le politique a laissé s’accumuler des difficultés qui se retrouvent aujourd’hui dans les quartiers difficiles d’où la classe moyenne fuit massivement. Ce n’est que dans les années  2003-2012, me semble-t-il, qu’un travail courageux mais mal compris, a été accompli pour tenter de redresser la barre après des décennies de renoncement. Le programme de Nicolas Sarkozy lors de la campagne de 2012 n’avait rien d’excessif contrairement à l’image qu’on a voulu en donner : réforme de la libre circulation Schengen pour permettre aux États de rétablir temporairement les contrôles aux frontières en cas d’immigration clandestine, réduction du flux migratoire pour l’adapter aux capacités d’accueil du pays, réforme par référendum de la procédure de lutte contre l’immigration irrégulière pour la rendre plus efficace. Il me paraît judicieux que les responsables de l’opposition les reprennent aujourd’hui à leur compte en vue de les mettre en œuvre quand les circonstances le permettront.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !