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Réécriture de l'ordonnance de 1945 : pourquoi le projet de Christiane Taubira ne repose pas sur le bon diagnostic des dysfonctionnements de la justice des mineurs
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Selon les informations du Parisien, Christiane Taubira entend refonder complètement l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Parmi les premières pistes évoquées : mettre fin aux tribunaux correctionnels pour mineurs et définir un âge limité au-dessous duquel celui-ci n'est pas considérer comme responsable de ses actes et échappera à toutes poursuites judiciaires.

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Atlantico : Selon les informations du Parisien, Christiane Taubira entend refonder complètement l'ordonnance de 1945. Quel est le bilan de cette ordonnance très symbolique ? Réformer la justice des mineurs est-il une urgence ?

Alexandre Gugliaris :  Méfions-nous des effets d’annonce. La Garde des Sceaux a initié à plusieurs reprises des réformes dangereuses qui n’ont jamais été mises en œuvre pour le moment et c’est heureux. Néanmoins, cela permet de réfléchir une nouvelle fois à la délinquance des mineurs et à l’ordonnance de 1945. Le bilan est pourtant clair. Les violences commises par les mineurs délinquants ont augmenté de 575% depuis 1990. Les mineurs délinquants sont aujourd’hui auteurs d’un viol sur quatre, d’un cambriolage sur trois et d’un vol avec violence sur deux. La société a changé. Qui peut croire que « la remise aux parents » constitue une sanction, et qui plus est une peine crédible, aujourd’hui ? La responsabilité des parents doit être davantage engagée. Il faut aujourd’hui supprimer l’ordonnance de 1945 qui ne correspond plus à rien et qui a tant de fois été réformée.

Ce texte a déjà été revu plus de trente fois depuis sa mise en vigueur, n'a-t-il pas déjà été vidé de sa substance ?

Il n’a plus la cohérence initiée par ses fondateurs. Le primat de l’éducatif que portait ce texte sera dans tous les cas maintenu car c’est un engagement international aujourd’hui.

Le problème avec le projet annoncé, c’est que l’on nie la valeur éducative de la sanction. Lorsque l’on punit son enfant, c’est pour son bien et pour son éducation. Pourquoi refuser à des mineurs délinquants, qui pour certains sont en perte de repères et d’encadrement familial, les mêmes principes qu’à ses propres enfants ? C’est une incohérence totale. Il faut supprimer l’ordonnance de 1945 et revenir à plusieurs principes simples : la systématisation de la réponse judiciaire non symbolique aux actes de délinquance commis par des mineurs et la séparation entre le juge qui protège l’enfance en danger et le juge qui sanctionne le mineur délinquant.

Christiane Taubira devrait mettre fin aux tribunaux correctionnels pour mineurs et définir un âge limité au-dessous duquel celui-ci n'est pas considéré comme responsable de ses actes et échappera à toutes poursuites judiciaires. Ces premières pistes vont-elle dans le bon sens ?

Ces deux mesures sont mauvaises. Fixer à 13 ans un âge d’irresponsabilité pénale est dangereux car les mineurs ont changé depuis 1945. Et surtout, c’est prendre le risque de les voir instrumentalisés par des réseaux mafieux français ou étrangers qui sont toujours très informés des changements législatifs. Par ailleurs, l’Institut pour la Justice milite pour le maintien des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes âgés de 16 à 18 ans risquant plusieurs années de prison. Il s’agit d’individus dangereux, récidivistes, qui ont donc déjà eu droit à la clémence de la justice, et qui ont commis des actes graves. L’idée est donc de les faire juger par un tribunal correctionnel semblable à celui des adultes. Ce n’est tout de même pas une révolution.

Par ailleurs, je constate que c’est le même gouvernement qui annonce son souhait de porter l’âge de vote à 16 ans aux élections locales pour responsabiliser les mineurs. Je ne comprends pas que l’on puisse soutenir une majorité civile à 16 ans, c’est-à-dire une responsabilité de vote, mais pas une responsabilité pénale. A 16 ans, on est assez responsable pour voter mais pas pour rendre compte d’un vol, d’une agression ou d’un crime ? C’est absurde.

Quelles autres pistes le ministère de la Justice pourrait-il explorer ? De quels exemples européens pourrait-il s'inspirer ?

Je vous en ai cités plusieurs comme la séparation du juge qui sanctionne et du juge qui protège, car aujourd’hui c’est le même magistrat qui peut recevoir dans son bureau le même mineur mis en cause par la police et qui serait par ailleurs accompagné par les services sociaux. C’est incohérent pour la valeur éducative de la sanction. Abaisser l’âge de la responsabilité pénale est une piste qui nécessite d’être approfondie. Il faut réformer les centres éducatifs fermés, en particulier les personnels encadrants qui ne sont pas formés à gérer des profils souvent violents. Peut-être faut-il aussi envisager d’augmenter le nombre de mineurs placés en détention en mettant le paquet pour éduquer, lutter contre les addictions et certains comportements violents afin de réinsérer ces mineurs grâce au temps de l’incarcération ? Ce volet est aujourd’hui totalement oublié de la réforme pénale. C’est une erreur majeure.

700 à 800 mineurs sont en détention en moyenne chaque année. Il faut rapporter ce chiffre aux 200 000 mineurs mis en cause en 2011 par exemple. Il faut agir sur les comportements grâce à une mise à l’écart des mineurs de leurs réseaux, de leurs habitudes. Enfin, des initiatives ont été mises en place concernant l’encadrement militaire de certains jeunes délinquants. Les premiers résultats semblent en partie positifs. Approfondissons cette piste.

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