Pas le même cerveau… Et s'il fallait complètement revoir notre conception de l'égalité homme-femme au regard des dernières avancées de la biologie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les hommes et les femmes ont des différences dans la connectivité structurelle du cerveau.
Les hommes et les femmes ont des différences dans la connectivité structurelle du cerveau.
©Reuters

Guerre des sexes

Une étude de l'université de Pennsylvanie publiée début décembre montre que le cerveau d'un homme a plus de connexions à l'intérieur des hémisphères, alors que le cerveau d'une femme a plus de connexions entre les hémisphères.

Atlantico : C'est la première fois qu'une étude montre des différences dans la connectivité structurelle du cerveau. De ce point de vue, peut-on considérer qu'il existe-t-il des tâches prédestinées à l'homme et des tâches prédestinées à la femme ? A-t-on raison de vouloir malgré tout imposer une politique paritaire dans les cadres de notre société ?

Jean-Paul Mialet : Le risque en répondant à cette question est de se prononcer en faveur d’une société qui compartimenterait les tâches en fonction des sexes et de réserver alors aux femmes les tâches considérées comme inférieures. Certains faits prêtent à réflexion. On sait qu’en Norvège, pays d’avant-garde pour l’égalité des sexes, des millions de couronnes ont été dépensées dans la parité. Au final 90% des infirmiers sont des femmes et 90% des ingénieurs sont des hommes. L’inégalité paraît criante !

Mais regardons-y de plus près : cette inégalité n’est choquante que parce qu’on valorise davantage la profession d’ingénieur que celle d’infirmière. Le problème est bien celui d’une culture qui n’accorde de crédit qu’à la performance et témoigne peu d’intérêt pour ce qui ne rentre pas dans les circuits de production. Ainsi, les soins comptent peu alors qu’ils sont pourtant essentiels - essentiels même à l’efficacité productive. Dans ces conditions, les femmes qui, de l’avis même de certaines féministes, ont une disposition particulière pour les soins, grâce à leur empathie et leur souci de l’humain, se retrouvent cantonnées dans des tâches considérées comme subalternes. N’est-ce pas finalement les valeurs fondatrices de notre société qu’il faut revoir tout autant que l’influence néfaste de ses stéréotypes qui seraient présumés inférioriser les femmes et les empêcher d’être ingénieurs ?

Catherine Monnot : La parité est un travail de longue haleine qui prendra plus d'une ou deux générations pour donner tous ses résultats. A mesure que les femmes pourront accéder à des postes à très haute responsabilité dans le monde politique, celui des entreprises ou de la culture, le reste suivra progressivement. A mesure que l'éducation à la parité et des mesures sociales permettront aux femmes de s'échapper réellement de la sphère domestique, elles oseront plus facilement s'échapper des sentiers battus et investir des corps de métiers plus ambitieux et chronophages.

Mais quand bien même nous n'atteindrions jamais une égalité parfaite dans tous les corps de métier, la société doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour offrir un champs des possibles équivalent pour les petites filles et les petits garçons dont elle a la charge. Mais les mentalités, les imaginaires mettront du temps à évoluer, surtout si l'on ne légifère pas sur le sujet de façon plus précise : si le principe des quotas est moralement discutable, il a montré une réelle efficacité aux Etats-Unis concernant la population noire. L'élection de Barack Obama en est l'exemple évidemment le plus frappant.

Est-ce que cette différence prouve que néanmoins que l'homme et la femme ne sont pas, biologiquement parlant, des êtres "égaux" ?

Jean-Paul Mialet : Nous savons depuis longtemps que l’homme et la femme sont différents : il suffit de regarder leur anatomie. Ces données étaient néanmoins négligées au profit d’autres données, les données culturalistes, qui montrent que le regard que l’on porte sur l’homme et la femme et le rôle qu’on leur attribue dépend de la culture dans laquelle ils baignent. Se sont alors introduits des questions telles que : ont-ils ils des rôles, des pouvoirs "égaux" ? Qui est supérieur, qui est inférieur ?

Les recherches sur les différences cérébrales entre les sexes sont plus que toutes les autres soumises à la pression idéologique de la guerre des genres, le cerveau étant, comme a pu le dire Woody Allen, "un organe très survalorisé". Cette fois, nous sommes en présence d’une étude qui montre des différences flagrantes et peu contestables. Elle porte sur une large population (949 sujets de 8 à 22 ans) et elle emploie une méthode qui permet d’observer les réseaux de connexion en évaluant les mouvements de liquide dans les gaines nerveuses (la résonnance magnétique de diffusion). Après moyennage des données, les faisceaux de connexion du cerveau masculin apparaissent longitudinaux, s’étendant d’avant en arrière dans chaque hémisphère, alors que dans le cerveau féminin, les faisceaux apparaissent transversaux, interconnectant les deux hémisphères. Notons toutefois que cette différence de câblage ne se marque vraiment qu’à partir de l’adolescence : les images sont moins nettes pour le groupe des 8-12 ans.

Catherine Monnot : Qu'il existe des différences neurologiques avérées entre les cerveaux masculins et féminins ne change rien à la question de l'égalité hommes-femmes. Tout dépend de l'utilisation que l'on fait de ces découvertes scientifiques. Au XIXe siècle on pensait par exemple avoir prouvé la supériorité intellectuelle des hommes par la taille de leur boite crânienne. Au XXe siècle, les droits politiques, économiques et sociaux accordés aux femmes ont démontré que leurs limites étaient d'ordre environnemental.Que dire aussi des théories racistes sur le peuple africain ou le peuple juif liées à l'étude de leur crane ou de leur cerveau post-mortem ? Qu'il existe des différences biologiques entre êtres humains, cela parait évident : nous naissons tous avec un ADN différent, nous sommes tous ''naturellement'' différents. Mais la démocratie a basé son organisation sur l'acceptation des différences, qui ne doivent pas être le terreau d'inégalités sociales.

Une étude britannique a démontré il y a quelques années que les taxis londoniens développaient avec le temps des parties de leur cerveau spécifiques, nécessaires à leur travail: mémoire des noms, des lieux, organisation dans l'espace, etc... Après plusieurs années de travail dans les rues de Londres leur cerveau ne fonctionnait plus comme celui du commun des mortels, parce qu'ils l'avaient modelé, fait travailler pour répondre à leurs besoins. Il est de même envisageable que le cerveau des femmes et celui des hommes se développe, s'adapte différemment avec le temps, en fonction des tâches et des rôles que la société leur a assignés.

Est-ce que ces différences, ainsi que les dernières avancées en la matière en biologie, doivent nous amener à revoir notre conception de l'égalité homme-femme ?

Jean-Paul Mialet : Certainement pas. Il est heureux que notre société attribue des droits égaux aux hommes et aux femmes. On pourrait citer d’innombrables déclarations de penseurs et de philosophes qui, depuis Platon, expliquent que la femme est inférieure à l’homme. Par exemple, puisqu’on parle du cerveau, le célèbre neurologue Broca (auquel on doit la découverte de la spécialisation de certaines zones cérébrales pour le langage), soutenait que la femme était intellectuellement inférieure à l’homme  parce qu’elle a un cerveau plus petit. Trente ans plus tard, reprenant la question à un autre niveau, Sigmund Freud n’a pas arrangé les choses en comparant la femme à un homme castré. Non, la femme est bien l’égale de l’homme.

L’égalité est avant tout un terme adaptée à des quantités mesurables ; elle confronte des scores. Malheureusement, dans notre culture obsédée par la performance, les comparaisons hommes-femmes se situent toujours sur ce terrain. Il n’est plus question d’affirmer qu’hommes et femmes sont différents car ce serait poser une inégalité et dès lors, lequel a plus, lequel moins ? Cette vision des sexes imprégnée de rivalité compétitive ne permet pas d’observer les faits de façon neutre.

Catherine Monnot : Si nous devions être prédestinés entant qu'homme ou femme à certaines tâches à cause de la structure ou du fonctionnement de notre cerveau, pourquoi ne pas proposer aussi de tester génétiquement tous les bébés à leur naissance pour leur assigner une tâche, une existence, en fonction de leurs supposées ''aptitudes'' ou ''inaptitudes'' particulières...? Leur poids, leur taille, leur masse musculaire, leur ''beauté'', leur QI, leur espérance de vie, les maladies pour lesquelles ils seraient ou non prédisposées...?

Enfin, comment penser qu'il faille une structure cérébrale spécifique pour parvenir à endosser les tâches dont les femmes sont habituellement chargées : Cuisine, ménage, repassage...? Les hommes célibataires du monde entier, mais d'autres aussi, notamment dans les pays scandinaves, y parviennent très bien chaque jour. Non pas parce que leur cerveau est structuré d'une façon particulière, mais parce que leur parcours de vie, leur environnement, les a conduits à une organisation domestique différente du schéma traditionnel. Or, c'est l'enfermement dans cet univers des tâches domestiques (80% sont encore réalisées par les femmes) qui conduit encore bien souvent les femmes à sacrifier leur parcours professionnel (temps partiel, congé parental, responsabilités réduites au sein de l'entreprise). Et là on parle bien de contraintes culturelles, pas naturelles...

En matière d'éducation par exemple, si les cerveaux ne fonctionnent pas de la même manière entre un homme et une femme, le système mixte est-il inéquitable ?

Jean-Paul Mialet : La dernière étude PISA de l’OCDE sur les performances d’élèves de 15 ans dans 65 pays constate encore une fois que les mathématiques sont plutôt le domaine des garçons alors que les filles brillent davantage dans le littéraire. Simple effet de la culture ? C’est ce que disent certains. On peut néanmoins s’interroger. Tout le problème est que les mathématiques sont considérées comme une activité intellectuelle de plus haut niveau que le littéraire. Si l’on sortait de ces inégalités-là, celles qui placent certaines performances au-dessus des autres – à quel titre ? –, peut-être pourrait-on s’interroger sans arrière-pensée sur l’influence du sexe sur certaines aptitudes et encourager leur développement. Mais sur ce thème, on doit néanmoins rester prudent pour ne pas glisser vers une formation selon le sexe en ouvrant la porte à tous les abus.

Le plus inéquitable dans l’éducation mixte ne me paraît d’ailleurs pas concerner le traitement égalitaire d’aptitudes qui ne sont peut-être pas semblables,  mais plutôt l’ignorance de certaines différences qui rendent la mixité plus difficile pour les garçons que pour les filles. A l’adolescence, Les garçons sont plus distraits par les filles que ne le sont les filles par les garçons. Et ils aiment se faire remarquer par les filles par d’autres performances  - prises de risques en tous genres - que les performances scolaires. Je ne suis pas certain que cela leur soit profitable. Toutefois, l’éducation mixte permet une aisance dans les rapports hommes-femmes qu’il serait regrettable de perdre.

Catherine Monnot : N'oublions pas aussi que les filles sont meilleures que les garçons à tous les niveaux scolaires, du primaire à l'université. Au final, pourtant, ce sont les garçons qui occupent les grandes écoles et les postes à responsabilité : c'est l'éducation familiale, l'orientation scolaire et les messages véhiculés dans les médias qui entrent là en jeu. Les filles se dirigent vers des filières courtes, à faibles débouchés et rémunération, alors même qu'elles ont démontré leur supériorité scolaire durant toute leur jeunesse. Elles ne sont pas éduquées à la compétition, au leadership, et développent à l'adolescence des problème d'estime de soi que ne rencontrent pas les garçons à qui on a appris à viser haut et loin  et à ne pas réduire leur horizon aux objectifs sentimentaux et matrimoniaux... Ces contraintes-là sont bien éducatives et sociales, et pas biologiques, comme le montre l'analyse du cas norvégien sur les différences de sexes entre ingénieurs et infirmières.  

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