Classement des villes racistes, ce qui est grave, ce qui l'est moins : éclairage sur la nature exacte des actes dont parle le Cran<!-- --> | Atlantico.fr
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Marseille arrive dernière dans le classement établi par "le Cran" dans la lutte contre le racisme.
Marseille arrive dernière dans le classement établi par "le Cran" dans la lutte contre le racisme.
©Reuters

Pour sortir des fantasmes

"Le Cran" et "République et diversité" ont publié mercredi leur classement des villes impliquées contre le racisme. Une analyse qui se revendique statistique mais de quelles statistiques parle-t-on justement ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico.fr : Le Cran et République et diversité ont publié le palmarès des villes impliquées contre le racisme. Quels sont les actes racistes visés par cette étude ? Quelle est sa grille de lecture ? 

Guylain Chevrier : Tout d’abord, avant de répondre, il faut regarder les intentions de ce rapport qui se présente comme scientifique et indépendant, c’est-à-dire objectif. Notons en préalable, qu’il est réalisée par le think-tank République et diversité et le CRAN, institutions toutes deux présidées par le même Louis-Georges Tin. On ne peut pas être plus juge et partie. Le CRAN entend distribuer médailles et bonnets d’âne, à travers ce prétendu « baromètre des villes contre le racisme. »

On entend évaluer les villes « à la pointe du progrès » au regard des discriminations, dit-on. Le mot progrès est-il ici au fait de son usage, car de quoi parle-t-on ? On parle d’un progrès qui lie la lutte contre les discriminations à la promotion des minorités visibles. Voir un progrès dans ce domaine n’est-il pas le préalable à l’introduction du multiculturalisme en France ? C’est un fait, que ceux qui présentent ce rapport le reconnaisse ou non.

La lecture que fait le CRAN ici de la lutte contre les discriminations est à prendre avec tout le recul nécessaire. Car cette association se revendique de représenter une population, selon la couleur, censée se discriminer pour faire valoir ses intérêts propres par rapport aux autres, mise en concurrence avec les autres.

Lorsqu’on juge, comme c’est le cas de ce rapport, les discriminations et le racisme à l’aune du nombre de personnes représentatives d’une diversité des origines dans les exécutifs municipaux, on réclame une catégorisation de la population sur une base qui est totalement contraire aux principes républicains. Plus particulièrement encore du principe d’égalité au regard d’une République qui ne distingue précisément pas selon l’origine, la couleur, la religion. C’est une logique qui rejoint les statistiques ethniques et la logique des quotas. C’est une invitation à une représentation clientéliste qui convient très bien à cette association qui poursuit le but de développer son influence par référence à la défense d’intérêts particuliers qui seraient ceux uniquement d’une communauté noire. On peut tout de même s’étonner que les grands médias se soient empressés de reprendre les conclusions de ce rapport du CRAN et de son officine République et Diversité sans la moindre précaution.

Rappelons tout de même, que selon la Halde elle-même (2004-2011) et ses rapports annuels, que la discrimination selon l’origine n’a cessé de reculer en France, jusqu’au défenseur des droits cette année qui annonce qu’elle n’est plus la première source de discrimination, passant derrière le handicap.

Cette analyse présente les personnes dites, issues de la diversité, tendancieusement comme victimes principales des injustices sociales. C’est ainsi que l’on entend justifier cette grille de lecture qui confond lutte contre les discriminations, promotion de la diversité et justice sociale. C’est en réalité militer pour le remplacement du principe d’égalité par celui d’équité qui correspond à la promotion des minorités visibles. On en connait le résultat, des dérogations multiples au principe d’égalité que l’on nomme « accommodements raisonnables » ou « discrimination positive ». On voit où conduit déjà l’analyse de ce rapport.

Étonnement, il omet totalement de son analyse les manifestations de groupes qui se réclament de minorités de droits en revendiquant des aménagements à la loi commune, par auto-discrimination, qui font fracture avec le vivre-ensemble et posent des problèmes graves de vie sociale. N’est-ce pas une discrimination que de revendiquer de réserver des horaires spécifiques d’ouverture de piscines uniquement à des femmes, ou des salles de sport sur les mêmes réserves comme cela se développe sur le fondement de la religion ? Le refus de certains hommes de serrer la main de femmes en raison de l’interprétation de leur croyance à les voir comme inférieures ? Ou encore, le refus de se mélanger au-delà d’une communauté au nom de la préservation de sa pureté ?

On trouve ce sous-titre dans le rapport : « 3 mois avant les élections municipales ». On y invite les « citoyens » ainsi dit informés, à peser  sur les élus en les interpellant sur ce thème à l’approche des élections municipales. Une invitation indirecte en faveur d’un clientélisme politique débridé. Les forces communautaires qui existent dans nos banlieues peuvent ainsi y voir le motif de venir réclamer sans complexe des aménagements divers et accommodements déraisonnables sous la pression de leurs voix.

Le rapport s’autorise d’ailleurs à mettre en suspicion de racisme tout élu, considérant que la situation  décrite s’expliquerait : « par l’attitude de nombreux élus qui se pensent non-racistes, à tord ou à raison ».  Il fallait oser.

On explique, que pour donner des gages de lutte contre les discriminations, il faut la nomination d’un(e) adjointe chargé (e) la lutte contre les discriminations devant coordonner l’action transversale de tous les autres élus sur ce plan, comme si le principal problème de la société française, celui sur lequel devait être fondée l’action politique, était que nous soyons dominés par le racisme. Une exagération à la mesure des ambitions d’influence d’une telle association. Une logique qui passe par une victimisation à outrance et une dramatisation qui autorise tous les excès de lecture en faveur d’un certain fonds de commerce qui ne dit pas son nom.

La définition que donnent le Cran et République et diversité des actes racistes est-elle trop large ?

Lorsqu’on définit comme critère d’évaluation des discriminations, le niveau de formation des personnels et des élus des villes, on se demande de quoi on parle ? De quel contenu ? Un critère de jugement qui reste dans l’étrange. On parle de la prise en compte des publics de la diversité dans l’attribution de marchés publics et des aides publiques, où encore là, on va à l’encontre même de la loi qui écarte normalement ce type de démarche. De quoi parle-t-on sinon d’une forme de favoritisme fondé sur la reconnaissance des identités culturelles ?

Ou encore, lorsqu’on met en avant le soutien matériel et financier à des associations se déclarant comme luttant contre le racisme et en faveur de la diversité culturelle, on a de quoi s’interroger. Cela signifie pour les auteurs de ce rapport que, lorsqu’un conseil municipal et son maire refusent de financer des associations qui font la promotion de ce que l’on appelle délicatement « la diversité culturelle » derrière laquelle on peut trouver des associations communautaristes, on est du coté des discriminations. Le rapport juge selon une philosophie partisane qui est celle de ses promoteurs, qui ne vise qu’à forcer les élus à aller dans le sens d’une idéologie qui se dévoile dans toute son intention.   

Est-ce que ce palmarès est vraiment représentatif de la lutte contre le racisme en France ?

Il faut du volontarisme certes, mais pas pour aller dans le sens d’une équité qui crée des dérogations à la loi commune pour favoriser les individus selon leurs groupes d’appartenances en les y assignant, sans même qu’ils en aient fait le choix et donc contre leur liberté. La solution est au contraire d’y résister, car aller dans ce sens c’est encore marquer un peu plus les différences et que les uns et les autres se regardent en chien de faïence. Non, ce qu’il faut c’est une politique de promotion de la vie sociale à l’échelle municipale, des territoires, nourrie d’actions, d’événements où tous puissent se retrouver en décloisonnant les quartiers, pour partager des moments ensembles, par-delà les différences, sur des thèmes de vie qui les traversent toutes : que ce soit par des forums pour l’emploi ou des métiers à la transportation d’événements culturels majeurs pour la ville dans les quartiers. Il faut du dialogue, que les gens se rencontrent et se parlent, partagent. Qu’on ne laisse pas s’installer le différentialisme, le refus de se mélanger au-delà de la communauté.

Bien sûr, les associations y ont toute leur place, mais pour accompagner un mouvement de réunion autour de l’intérêt général a contrario de chacun son origine, autre forme du chacun pour soi. Mais avant tout, il faut que la société puisse d’abord, par l’accès à une formation et à un emploi, donner une place et un statut reconnu à chacun, tous niveaux confondus. Car la cause des situations dites de discrimination a souvent et de façon largement majoritaire une cause sociale en rapport avec la crise économique. C’est dans ce contexte, que le discours qui propose de jouer du rapport de force selon un groupe d’appartenance, en pesant sur la société pour prendre une part du gâteau, trouve soudain de l’écho. Certains ont beau jeu d’accuser la France et les Français de discriminations qui ne sont fréquemment que la conséquence d’inégalités sociales qui concernent bien plus largement toute la société et toutes les catégories d’individus. On rabat la problématique sociale sur les discriminations pour justifier l’idéologie du multiculturalisme, et en critiquant la République pour soi-disant l’améliorer on cherche à promouvoir un modèle de société qui lui est contraire. C’est exactement ce que l’on fait lorsque l’on prend, comme ce rapport n’y hésite pas, comme critère de la lutte contre les discriminations la loi SRU, en confondant volontairement discrimination sociale et racisme.

De quelle manière les villes peuvent-elles lutter contre ces actes ?

Si on se réfère à quelques chiffres, on s’aperçoit qu’on accuse à tord une fois de plus la France, concernant l’ampleur des discriminations. Il y a 1523 plaintes par an dans ce domaine. Si on pense que le droit ne saurait totalement refléter la réalité, en ne pouvant à lui seul témoigner des discriminations, même en multipliant par dix ce chiffre, celles-ci restent un phénomène heureusement mineur. Il ne faut pas pour autant s’en désintéresser, mais les combattre à juste proportion, sans concession, au lieu d’en faire un fonds de commerce politique.

Encore une fois, c’est Marseille qui est montrée du doigt dans ce rapport comme le mauvais élève, alors qu’elle vient cette année d’ouvrir son MUCEM en étant capitale de la méditerranée, de faire une véritable révolution urbaine dans des conditions qu’aucune ville de France ne connait, avec la réalité d’une diversité qui a été mise à l’honneur comme jamais, alors qu’elle peut être parfois plus un handicap lorsqu’elle atteint les proportions propres à cette ville qu’un atout. On aurait pu au moins saluer ce tour de force.

On cherche vainement dans ce rapport à reconnaitre les valeurs républicaines qu’il prétend défendre, prétention qui tourne à l’imposture. Une phrase extraite du rapport du Haut Conseil à l’Intégration de 2012 prenant pour thème « Une culture ouverte dans une République indivisible » résume bien les enjeux : « La reconnaissance de la diversité dans le champ politique alimente les débats et trouve son point d’orgue sur la question de la reconnaissance d’une société multiculturelle. Dans une telle société, une logique des minorités s’installe : la minorité doit être visible et pouvoir se compter dans le but d’établir un rapport de force. » Ce rapport ne fait finalement que participer de cette logique.

Cette façon de poser la lutte contre le racisme renvoie à de graves risques pour l’évolution des choix politiques faits à une telle lecture de la société française. Elle n’a rien à voir avec la volonté du progrès de la condition générale des individus, pas plus de ceux qui subissent des discriminations. Elle poursuit au contraire le but de l’éclatement de notre société en une multitude d’intérêts concurrents propres à une logique des minorités qui la rendrait invivable pour tous.

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