L'Éducation nationale encore mal notée dans l'étude Pisa 2013 : malgré les biais méthodologiques, le classement international voit juste sur l'échec de nos mécanismes de correction des inégalités<!-- --> | Atlantico.fr
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Par rapport aux autres pays de l’OCDE, la France compte davantage d’élèves classés dans les plus bas niveaux de compétence.
Par rapport aux autres pays de l’OCDE, la France compte davantage d’élèves classés dans les plus bas niveaux de compétence.
©Filckr

Au delà des statistiques...

Les chiffres de la fameuse étude Pisa de l'OCDE, publiée tous les trois ans, sont des plus mauvais pour l'Hexagone. Ces derniers sont d'autant plus inquiétants qu'ils sont le révélateur de problèmes d'enseignement profonds et bien réels en dépit des biais incontestables et incontestés de cette étude.

Atlantico : La France a perdu deux nouveaux rangs dans l'étude Pisa de l'OCDE (lire ici). Si d'aucuns pensent que la méthodologie de cette étude est des plus farfelues, plusieurs personnalités politiques dont Vincent Peillon ont affirmé qu'il s'agissait d'un signal invitant à la "refondation" de l'école française. Peut-on dire néanmoins que ce document peut illustrer certaines grandes tendances éducatives. Dans quelles mesures ?

Dimitri Casali : Il est évident qu'on ne peut pas balayer d'un revers de la main une étude réalisée sur près 500 000 élèves de 15 ans dans le monde entier. L'exemple de l'Allemagne et la Grande-Bretagne, deux pays qui ont décidé de reconsidérer leurs politiques éducatives en prenant en compte les critères de PISA, sont là pour le rappeler. Ainsi en Allemagne, à la suite des mauvais chiffres de Pisa 2000, le gouvernement Schroeder a engagé plusieurs mesures drastiques pour obtenir de nettes améliorations actuellement, en particulier sur l'apprentissage des mathématiques. A l'inverse, les Français préfèrent se mettre la tête dans le sable tous les trois ans en pointant les biais méthodologiques de l'étude pour mieux affirmer que l'outil de mesure n'est pas le bon. 

L'étude Pisa s'accorde de plus assez bien à d'autres facteurs et grilles de lectures, notamment sur le plan sociétal. On observe ainsi que tous les pays asiatiques développés qui se situent en tête du classement ont une tradition éducative faîte de persévérance, de discipline et de travail acharné, avec en toile de fond un respect incontestable de l'autorité. Il n'est pas nécessaire d'être sociologue pour observer que ces valeurs sont aujourd'hui en délitement en France. Ayant été professeur en ZEP, je peux vous assurer qu'il n'est pas aisé d'enseigner dans une agitation permanente, tandis qu'à Shanghai il est considéré comme anormal qu'un élève pose une question parce que cela reviendrait à dire que le cours était mal préparé... Un monde sépare réellement ces deux univers.

Julien Grenet : D’un point de vue médiatique et politique, ce sont les palmarès construits à partir des enquêtes Pisa qui retiennent le plus souvent l’attention. Or, il me semble que ces palmarès ne constituent pas la dimension la plus intéressante de cette enquête, à la fois parce qu’ils sont relativement fragiles d’un point de vue statistique (en raison des marges d’erreurs importantes qui caractérisent le classement des pays) et parce qu’ils ne constituent pas en eux-mêmes une source d’information très utile. Le véritable intérêt de l’enquête Pisa tient à la richesse des données qu’elle recueille auprès des élèves de 15 ans dans plus de 60 pays. La combinaison d’informations détaillées sur leurs performances, leur environnement social et familial et sur les caractéristiques institutionnelles des établissements qu’ils fréquentent constitue une avancée majeure dans la connaissance des déterminants de la réussite scolaire à l’échelle internationale. Bien que relativement récente (la première enquête date de 2000), l’enquête Pisa permis de mettre en lumière les forces et faiblesses du système éducatif français de manière plus tranchée que les enquêtes dont on disposait jusqu’alors.

Une lecture attentive des résultats de Pisa montre notamment que l’originalité de la France par rapport aux autres pays de l’OCDE n’est pas tant à chercher du côté de ses scores moyens ou de l’évolution de son classement dans le temps, mais plutôt du côté des fortes disparités qui caractérisent les performances de ses élèves : par rapport aux autres pays de l’OCDE, la France compte davantage d’élèves classés dans les plus bas niveaux de compétence, c'est-à-dire d’élèves qui ne sont pas capables d’effectuer des tâches élémentaires telles que retrouver un mot dans un texte simple. Les résultats de Pisa montrent par ailleurs qu’en France, les écarts de performance entre élèves ont eu tendance à se creuser au cours de la dernière décennie, le « décrochage » des élèves les moins performants expliquant en grande partie la dégradation des résultats obtenus en mathématiques (entre 2003 et 2012, le score moyen des élèves français en culture mathématique est passé de 511 à 495 points, soit une chute de 16 points). Ce constat jette une lumière crue sur l’incapacité du système éducatif français à limiter l’influence des déterminants sociaux dans la réussite scolaire des élèves.

Quels sont selon vous, au delà de ces chiffres, les principaux dysfonctionnements de notre école républicaine à l'heure actuelle ?

Dimitri Casali : Il m'apparaît évident de traiter la question du collège unique qui est reconnu aujourd'hui par beaucoup comme dysfonctionnel. C'était une utopie, une belle utopie, mais une utopie toute de même : comment pouvait-on concrètement amener 80% d'une classe d'âge au baccalauréat comme l'avait théorisé Jospin en 1989 ? Le collège unique ne permet tout d'abord pas de prendre en charge efficacement les élèves les plus défavorisés, ces derniers étant marginalisés par un effet de centrifugeuse. Lorsque 100% d'élèves d'origine étrangère doit intégrer le même programme que les autres élèves français il y a clairement un décalage qui devient préjudiciable à une éducation bien faite. Nos concepts sont aujourd'hui totalement inadaptés à l'hétérogénéité des classes françaises. 

Julien Grenet : Il me semble que le principal dysfonctionnement du système éducatif français réside dans son incapacité marquée à lutter efficacement contre le décrochage scolaire. Chaque année, près de 120 000 jeunes sortent du système éducatif sans avoir obtenu de diplôme ou uniquement le brevet des collèges, ce qui représente environ 17 % d’une classe d’âge. Cette situation, qui ne s’est guère améliorée au cours de la dernière décennie, est d’autant plus préoccupante que les jeunes peu ou pas diplômés sont aujourd’hui les premières victimes de la crise économique : leur taux de chômage s’établit à environ 45%, contre 18% pour les bacheliers et 10% pour les diplômés du supérieur. Si l’influence de l’environnement social et familial constitue le premier déterminant du décrochage scolaire, plusieurs caractéristiques de notre système éducatif contribuent à en amplifier les effets : la très forte segmentation sociale et scolaire des établissements d’enseignement, la pratique massive du redoublement ou encore le caractère mal préparé et trop souvent subi des choix d’orientation sont autant de facteurs qui tendent à accentuer les inégalités sociales face à l’échec scolaire.

En amont des problématiques de performance de nos élèves, la question de la formation des professeurs fait débat depuis un certain temps. Quels sont les points qui pourraient être améliorés ?

Dimitri Casali : Il est vrai que la formation continue est extrêmement mal conçue en France. Les pays asiatiques, nous y revenons, ont vu se valider leurs choix de méthodes innovantes reposant en partie sur les nouvelles technologies. Ils sont parmi les mieux équipés en "tableaux blancs interactifs" (tableaux numériques, NDLR) avec l'Angleterre (95%) tandis que la France reste à la traîne dans ce domaine (20%), tant d'ailleurs dans l'équipement que dans la formation des enseignants à ce dispositif.

Il apparaît par ailleurs nécessaire de considérer une revalorisation du salaires des enseignants puisque l'on observe actuellement une nette baisse des compétences des professeurs, en particulier en primaire, dans les derniers rapports de la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, rattachée au ministère de l’Éducation nationale, NDLR). L'Angleterre a ainsi démontré qu'une telle mesure finit par réhausser le niveau moyen de l'éducation.

Julien Grenet : Plusieurs travaux récents ont montré à quel point les enseignants ont un impact déterminant sur la réussite scolaire des élèves et sur leur insertion professionnelle future. Les études statistiques suggèrent qu’environ 20% des écarts de résultats entre élèves peuvent être attribués à l’inégale qualité de leurs enseignants. Sur données américaines, les économistes Raj Chetty, John Friedman et Jonah Rockoff ont évalué à environ 250 000 dollars par élève l’impact financier des « meilleurs » enseignants par rapport aux « moins bons » sur le revenu perçus par leurs anciens élèves au cours de leur vie professionnelle. Si elle ne constitue pas le seul levier pour améliorer la qualité de l’enseignement (la capacité du système éducatif à attirer et à retenir les meilleurs enseignants étant également liée aux niveaux de rémunérations offerts), la formation des enseignants joue néanmoins un rôle fondamental. Dans une étude de 2005, Bressoux, Kramarz et Prost ont montré que la formation d’un enseignant en IUFM engendrait une augmentation significative des résultats en mathématiques, équivalente aux effets d’une réduction de la taille des classes de 10 élèves.

À la lumière de ces résultats, on ne peut que regretter que la réforme dite de la « mastérisation » des métiers de l’enseignement ait conduit à une suppression de l’année de stage plutôt qu’à une véritable refonte du volet pratique de la formation des jeunes enseignants qui, trop souvent, ne disposent pas des bases pédagogiques nécessaires pour exercer leur métier dans de bonnes conditions

L'aspect déterminant de l'origine sociale dans la réussite scolaire est aussi pointée par PISA. S'agit-il réellement d'une spécificité française ? Peut-on concrètement y remédier ?

Dimitri Casali : Probablement oui. L'Angleterre surprend dans ce domaine puisque des écoles issues des quartiers défavorisés sont extrêmement bien classés dans ce dernier rapport, et il pourrait être judicieux de s'en inspirer. A l'inverse nous citons en permanence l'exemple éducatif de la Finlande, qui est un pays de 5 millions d'habitants, alors que le Royaume-Uni possède bien plus de points communs avec notre situation : 63 millions d'habitants, une importante population d'origine étrangère et de nombreuses familles défavorisées. En refondant la formation des maîtres, en prenant en charge les élèves défavorisés, les Britanniques ont visiblement réussi ce que nous n'avons pas su faire en France. La question de la cohésion nationale, bien plus forte de l'autre côté de la Manche où l'on apprend à aimer le pays d'accueil aux élèves d'origine immigrée, peut aussi entrer en jeu ici. 

Julien Grenet : Les résultats de l’enquête PISA indiquent effectivement qu’en France, le statut économique, social et culturel est davantage corrélé à la performance des élèves que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Près de 23 % de la variation de la performance des élèves français en mathématiques s’explique par leur milieu socio-économique alors que cette proportion n’atteint « que » 15 % dans la moyenne des pays de l’OCDE. Si l’on compare les performances en mathématiques des élèves les plus favorisés socialement, la France se classe en 2012 en 13e position sur les 65 pays participants au cycle PISA 2012. En revanche, la France n’arrive qu’en 33e position lorsqu’on compare les performances des élèves les plus défavorisés, soit un écart de 20 places, qui est le plus élevé parmi l’ensemble des pays de l’OCDE.

Face à ce constat d’échec, il me semble illusoire de penser qu’une « refondation » de l’école sans contenu tangible suffira à rendre l’école française plus équitable. Une approche en apparence plus modeste, fondée sur la mise en œuvre d’expérimentations destinées à évaluer rigoureusement l’impact de dispositifs éducatifs, me paraît beaucoup plus appropriée pour identifier et comparer les leviers mobilisables pour réduire les inégalités sociales face à l’école, qu’il s’agisse des dispositifs de ciblage des moyens (réduction de la taille des classes, primes accordées aux enseignants travaillant dans les établissements accueillant les élèves les plus en difficulté, etc.), du soutien scolaire, des politiques d’implication des parents d’élèves dans les collèges, de l’accompagnement des élèves dans leurs choix d’orientation ou encore de la prise en compte du critère de mixité sociale dans les procédures d’affectation des élèves aux établissements scolaires.

De manière plus générale, l'approche éducative française est souvent critiquée dans le monde anglo-saxon pour son manque de pragmatisme et de formation au monde professionnel. Quel crédit y apporter ?

Dimitri Casali : C'est hélas incontestable selon moi, et l'illustration des performances actuelle des élèves français en mathématiques, traditionnellement notre matière d'excellence, est un des révélateurs les plus nets de cette réalité. Nous en avons fait une matière abstraite, au lieu de continuer à l'apprendre comme un outil d'apprentissage déterminant dans la vie de tous les jours. Cette connexion entre maths et vie concrète se pratique pourtant bien dans les pays anglo-saxons et asiatiques et ses bénéfices sont évidents. On peut faire un constat à peu près similaire pour l'apprentissage du français avec l'adoption de la méthode globale qui a fait des dégâts incontestables quant on sait que 30% des élèves qui rentrent en sixième ne savent aujourd'hui ni lire ni écrire. Ce problème de pragmatisme éducatif est hélas ancré dès l'école primaire.

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