Crise d'égo : pourquoi les hommes politiques ont de plus en plus tendance à ne penser qu'à eux<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français votent plus pour les personnalités politiques que pour ce qu'ils défendent.
Les Français votent plus pour les personnalités politiques que pour ce qu'ils défendent.
©Reuters

Bonnes feuilles

Culte du terrain et de la proximité, hyper-réactivité à l’événement, mise en scène de soi... : les façons de faire de la politique ont profondément changé en quelques décennies. Sous l’influence toujours plus forte des médias et de la logique présidentielle, le champ politique apparaît de plus en plus comme affrontement entre des personnalités. Extrait de "L'ego-politique" (1/2).

Christian Le Bart

Christian Le Bart

Christian Le Bart est professeur de science politique à l’IEP de Rennes, membre du CRAPE-CNRS, et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne. Il a travaillé sur des objets de recherche divers comme les maires, les étudiants politiques, ou la communication politique. Il a par ailleurs co-écrit Les fans des Beatles : sociologie d'une passion (Presses Universitaires de Rennes).

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Même lorsqu’ils évitent les excès de la peopolisation, les médias contribuent à accréditer une vision individualisée de la politique par la place accordée aux ressources individuelles. Le centrement sur les personnalités conduit à une évaluation systématique des atouts et des faiblesses de chacun. Le rôle des sondages est ici décisif. La cote de popularité est désormais banalisée : elle constitue l’attribut élémentaire de toute personnalité politique. Elle sanctionne la visibilité. Les commentaires suscités par sa publication enferment le débat politique dans des considérations personnalisées : le Premier ministre est trop ceci ou trop cela, il a raison ou tort de dire ceci ou d’avoir fait cela, etc. Ainsi l’Observatoire de l’opinion Viavoice-Libération propose-t- il aux Français de répondre aux questions suivantes : « Diriez-vous que Jean-Marc Ayrault en tant que Premier ministre : est volontaire (oui ? Non ? NSP ?) ; est compétent ? Fait preuve d’autorité ? ». On retrouve ici les catégories molles de la psychologie ordinaire censées parler à tous et permettre à chacun d’avoir un avis sur le Premier ministre. Capital fluctuant, la popularité est ainsi objectivée à partir d’indicateurs quasi quotidiens massivement individualisés.

Le procédé n’est cependant jamais aussi net que pendant les campagnes électorales. Les ressources collectives et institutionnelles des candidats, en particulier celles que fournissent les partis politiques (investiture, réseaux, programme, financement…) semblent s’annuler, en particulier à l’échelle des « gros » candidats, ceux qui sont portés par les grandes formations politiques. Le commentaire porte alors sur les ressources individuelles : ainsi des débats sur l’« inexpérience » de François Hollande. Sera-t- il à la hauteur du rôle, lui qui n’a jamais été ministre ? Ou sur la « stature internationale » des candidats, elle aussi bien délicate à définir et à évaluer… Ce sont là des attributs individuels dont l’évocation nourrit un jeu infini de commentaires sur la personnalité du candidat, son parcours, son tempérament. Le suivi de la campagne se réduit tendanciellement au horse race reporting, chaque micro-événement donnant lieu à sondage et chaque sondage finissant par faire événement. Qui va gagner ? Qui sera le troisième homme de la campagne ? L’attention porte exclusivement sur la compétition individualisée et donc sur les compétiteurs dont chaque attitude donne lieu à exégèse infinie.

Une fois l’élection passée, c’est à peine si l’on constate un changement de ton. Les instituts de sondages ne suspendent pas leur activité, le souci d’évaluer les premiers pas des nouveaux gouvernants se substituant à celui de tester les candidats. François Hollande ne bénéficie d’aucun état de grâce, il ne bénéficie surtout d’aucun répit. L’échéance dite des « cent jours », totalement construite par les médias, invite à un premier bilan en forme d’évaluation personnelle. La personnalisation de la vie politique n’est ainsi plus cantonnée à la période électorale, traditionnellement marquée par l’effacement des institutions et le centrement sur les personnalités. C’est désormais l’intégralité du temps démocratique qui obéit à cette logique de campagne. Comme les politiques eux- mêmes, les journalistes politiques ne suspendent jamais la lecture électoraliste de la réalité.

Très vite s’impose, toujours par sondages interposés, la logique de l’évaluation personnalisée. Une telle mécanique fragilise les collectifs (couple exécutif et gouvernement). La cote de l’un peut mieux résister que celle de l’autre… L’univers politique devient ainsi placé sous le signe irrémédiable du salut individuel et de la compétition interindividuelle. Tels les enseignants distribuant des notes individuelles et obligeant leurs élèves à penser leur destin en termes individualisés, les médias obligent les politiques à toujours travailler au maintien de leur image. À l’échelle d’un gouvernement par exemple, s’il est évident que tous les ministres seront attentifs à la réussite collective de l’équipe, il est tout aussi évident que chacun d’entre eux sera attentif à sa propre popularité : car c’est sur cette base que s’établissent désormais les hiérarchies et les rapports de force intra-gouvernementaux.

À partir du moment où l’appréciation du capital politique est individualisée, celle des stratégies politiques l’est aussi nécessairement. Les médias sollicitent au fond une vision de la politique qui emprunte beaucoup à l’individualisme méthodologique. Telle qu’elle est médiatisée, la vie politique apparaît d’abord comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels, chaque acteur poursuivant des finalités individuelles (maintien des positions de pouvoir, conquête de l’opinion…). Il n’est certes pas absurde de lire la politique selon le modèle darwinien d’une compétition interindividuelle exacerbée. N’a-t- on pas ici même fait l’hypothèse de l’individualisation du champ politique ? Mais cette grille de lecture, devenant hégémonique, a évidemment ses faiblesses. A partir du moment où l’appréciation du capital politique est individualisée, celle des stratégies politiques l’est aussi nécessairement. Les médias sollicitent au fond une vision de la politique qui emprunte beaucoup à l’individualisme méthodologique. Telle qu’elle est médiatisée, la vie politique apparaît d’abord comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels, chaque acteur poursuivant des finalités individuelles (maintien des positions de pouvoir, conquête de l’opinion…). Il n’est certes pas absurde de lire la politique selon le modèle darwinien d’une compétition interindividuelle exacerbée. N’a-t- on pas ici même fait l’hypothèse de l’individualisation du champ politique ? Mais cette grille de lecture, devenant hégémonique, a évidemment ses faiblesses, à commencer par l’oubli des solidarités institutionnelles. Les médias, précipitant le processus par la façon même dont ils en rendent compte, personnalisent à outrance le capital politique : le nom, le corps, la côte de popularité, les actes lourds passés, les positions institutionnelles, les réalisations individuelles (livres, réformes, discours…)… Systématiquement ils rabattent l’institutionnel sur le personnel, ainsi lorsqu’ils désignent une loi par référence à la personnalité politique qui l’a portée (en général le ministre compétent dans le secteur concerné). S’il n’est évidemment pas absurde de considérer, non sans faire quelque peu violence aux institutions, que le ministre fait la loi, il faut bien voir que du point de vue de la médiatisation du politique, c’est clairement la loi qui fait le ministre. Les intéressés ne s’y trompent pas, soucieux qu’ils sont de laisser une trace individuelle sous cette forme. Quand les grands élus urbains marquent leur passage par quelques grands projets urbains visibles concrètement (équipement culturel, transport public…), les ministres ont à cœur de nourrir la mémoire collective en donnant leur nom à une réforme lourde. Si donc la question demeure ouverte d’évaluer la part que peut prendre une personnalité politique à un processus décisionnel (et la sociologie de l’action n’a fait depuis trente ans que réduire cette place en cantonnant les supposés décideurs à un rôle souvent modeste), il est clair en revanche que l’imputation de ces processus profite à un nombre très limité de décideurs. Les représentations ordinaires (ici encore très liées aux schémas proposés par les médias) privilégient systématiquement l’imputation au politique. L’action de l’État devient le bilan du chef d’État, l’action sectorielle d’un ministère devient celui d’un ministre. L’individualisation de la responsabilité politique joue dans les deux sens : imputation positive qui permet au politique de récupérer à son profit tous les événements heureux constatés dans ce qui est supposé être son champ de compétence (secteur ou territoire) ; imputation négative qui transforme la personnalité politique en responsable de situations dramatiques sur lesquelles il n’a objectivement pas prise, qu’il n’a guère les moyens de prévenir… On a déjà dit combien la posture sarkozyenne de l’urgence s’était retournée contre le président pris au jeu de ses promesses et de son implication personnelle sur quantité de dossiers. Ajoutons ici que les médias accentuent cette tendance à l’individualisation de la responsabilité. François Hollande essaie un temps d’en revenir à une division classique du travail entre lui et le Premier ministre, comme pour éviter de trop s’exposer. Mais la pression des événements (et des médias) l’oblige à davantage s’impliquer personnellement, à engager plus nettement sa responsabilité personnelle. La stratégie de prudence et de retour à une présidence normale bute sur la propension des commentateurs à individualiser sur son nom la responsabilité de tous les faits sociaux constatés (crise, licenciements, insécurité…).

Extrait de "L'ego-politique - Essai sur l'individualisation du champ politique", Christian Le Bart, (Editions Armand Colin), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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