Quand les mots ne nous suffisent plus : ce nouveau langage que nous sommes en train d'inventer sans même en avoir conscience<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le smiley s'impose quasiment à nous aujourd'hui."
"Le smiley s'impose quasiment à nous aujourd'hui."
©Reuters

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Et si nous étions en train d'inventer un nouvel alphabet ? En effet, les images, photos numériques et autres émoticones permettent de s'exprimer autrement que par des mots, nous emmenant ainsi vers le terrain de l’émotion.

François Jost

François Jost

François Jost est professeur à l’université Paris III où il dirige le Centre d'Etudes sur l'Image et le Son Médiatiques (CEISME). Il enseigne l’analyse de la télévision et la sémiologie audiovisuelle.

Il est l’auteur, entre autres, de L’Empire du Loft, la suite  (La Dispute, 2007), De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? (CNRS éditions, 2011), Les Nouveaux méchants. Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal (Bayard 2015), Breaking Bad. Le diable est dans les détails (Atlande 2016).

Il dirige également la collection A suivre sur les séries aux éditions Atlande.
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Atlantico : Nos communications sont marquées par un usage de plus en plus important des images, photos et smileys. Sommes-nous en train d'inventer un nouvel alphabet qui permettent de s'exprimer autrement que par des mots ?

François Jost : Le smiley n'est pas tout à fait nouveau, puisque, dans les années 1960 et 1970, on voit déjà circuler des ronds avec des sourires pour lutter contre la morosité. Ce qui est remarquable aujourd'hui, c'est que le smiley s'impose quasiment à nous. On ne peut plus taper à la suite :, - et ) sans que cela se transforme en un émoticône signifiant la joie. :-). Néanmoins, il faut remarquer que ces signes sont extrêmement restreints : certes, on peut exprimer des nuances entre la joie et la tristesse, mais ce sont les sentiments majoritaires qu'ils servent à exprimer. C'est donc un langage essentiellement réduit à l'émotion.

L'utilisation des images dans nos communications est-elle un phénomène nouveau ?

Pas vraiment si l'on pense aux hiéroglyphes des Égyptiens antiques ! Naguère, on signait avec des croix pour les baisers et sans doute les lettres s'agrémentaient-elles de dessins dans les marges. Mais ce qui est nouveau, c'est que ces images sont à la fois fabriquées pour nous (dans le cas des smileys) et que leur codification est d'une très grande simplicité, aussi bien compréhensibles par les enfants que par les adultes. Les smileys sont devenus des signes que tout le monde utilise. Quant aux photos, elles ont tous les usages qu'elles avaient avant pour communiquer un état, un événement ou une intervention publique. Ce qui a changé, c'est seulement l'instantanéité.

Est-ce que cela illustre notre rapport à la langue et n'avons-nous pas une tendance naturelle (ou une évolution), comme les populations asiatiques, à nous exprimer par le biais d'images ?

Dans les réseaux sociaux, il n'y a évidemment pas que ces smileys qui sont des sortes d'idéogrammes. Il y a aussi les photos, qui ont une toute autre signification. Car, alors, il ne s'agit plus de communiquer avec des codes communs ses émotions, mais surtout de prouver qu'on a été quelque part ou de garder la trace d'un moment vécu. L'image est alors ce qu'on appelle en sémiotique un indice, un signe qui est une empreinte. Je constate souvent chez mes amis, sur Facebook, que, lorsqu'on parle d'eux dans un journal ils préfèrent attacher une photo de mauvaise qualité qu'une photocopie très nette. C'est le geste qui compte, qui témoigne plus que le texte...

Cet usage se limite-t-il au cadre personnel ?

Non je pense qu'il a envahi certaines circonstances professionnelles.

Cette utilisation nuit-elle au message ou, au contraire, est-elle un complément devenu essentiel ?

Je pense que tous ces signes n'entrent pas vraiment dans le message lui-même ; ce sont des commentaires qui soulignent les sentiments. Ils appartiennent à l'univers du métalinguistique.

Pouvons-nous imaginer, à terme, l'utilisation de moins en moins importante de notre alphabet au profit des images ?

Je ne le crois pas vraiment car, comme je vous l'ai dit, les images ne sont pas une langue. On dit souvent qu'elles valent 10.000 mots, mais le problème, c'est qu'on ne sait jamais lesquels. Les images ne sont pas non plus des phrases, mais beaucoup de phrases potentielles. Pour cette raison, on n'en a jamais fini de gloser des images… sauf, bien sûr, quand il s'agit de leur faire dire "je suis heureux" ou "je suis triste".

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