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Et encore une rallonge de 1,5 milliard d’euros pour les collectivités locales et leurs emprunts toxiques... mais combien de temps faudra-t-il pour enfin en sortir ?
©Reuters

L'argent qui tombe du ciel

L'Assemblée Nationale a voté ce jeudi 14 novembre l'extension des aides aux collectivités locales qui ont souscrit des emprunts toxiques. Au total, c'est 1,5 milliard d'euros qui leur seront apportés pour tenter d'endiguer les conséquences du scandale Dexia. Combien de temps finira par passer avant que cette restructuration des dettes des collectivités se fasse ?

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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De quoi parle-t-on lorsque l'on évoque les emprunts toxiques ? Un peu comme le général De Gaulle qui souhaitait "s'envoler vers l'Orient compliqué avec des idées simples", tentons de clarifier les mots utilisés. Avant de parler d'emprunts toxiques, il convient de parler d'emprunts "structurés". Un emprunt structuré est aisément reconnaissable : il offre à l'emprunteur, au moins les premières années, un taux d'intérêt particulièrement attractif, proche de zéro. Dit autrement, les collectivités emprunteuses, dans ces années 2004-2008 ont pu même ne pas payer d'intérêt ! Ces produits ont donc été alléchants, et plus particulièrement pour finaliser un investissement avant les échéances électorales de 2008. Pour paraphraser l'économiste Jacques Rueff, lorsque Nixon décida le 15 août 1971 de suspendre la convertibilité-or du dollar, les collectivités avaient donc (cru) trouver le "merveilleux secret du déficit sans pleurs qui permettait de donner sans prendre, et d'emprunter sans (presque) payer". C'est ensuite que certains des emprunts structurés, calculés selon des indices très complexes, se sont révélés toxiques.

Ensuite, il s'agit de savoir quels ont été les mécanismes mis en œuvre. Ce qui est inquiétant est que ces mécanismes ont été rapides, brutaux et cumulatifs. Rapides car en quelques mois, à l'automne 2008, la contagion de la crise financière américaine des "subprimes" se propage en Europe. Brutaux car Dexia s'est trouvée exposée outre-Atlantique, se trouvant face à des échéances "courtes" à honorer alors que la banque avait prêté "long" aux collectivités. Brutaux car Dexia représente plus de la moitié du stock de dette des collectivités territoriales, avec un encours de plus de 80 milliards d'euros. Dès lors, le cercle qui avait joué positivement : "j'emprunte pas cher et je rembourse peu d'intérêt" se met à jouer négativement. On passe alors en mode "je dois rembourser chaque année des intérêts calculés selon des indices complexes" qui se révèlent très désavantageux pour les collectivités ayant signé de tels emprunts. Les produits structurés représentent entre 15 et 20 % de l'encours total de la dette locale, soit une trentaine de milliards d'euros, sur un stock cumulé de dette des collectivités évalué à un peu moins de 200 milliards d'euros en cette fin 2013. Parmi ces emprunts structurés, les emprunts toxiques représentent environ 15 milliards d'euros.

Enfin, quelle est la durée pendant laquelle on va "traîner" ces emprunts, pour employer une expression du langage de tous les jours ? La réponse n'est, là, pas très optimiste car il s'agit d'emprunts négociés en leur temps sur des durées longues de 15, 20 ans, voire plus. Ce qui veut dire, concrètement, que pour des emprunts souscrits jusqu'en 2008, le "problème Dexia" va durer au-delà de 2030. Il convient cependant d'avoir une vision objective sur Dexia car d'une part, les autres grandes banques n'ont fait qu'emboiter, à la même époque, le pas à Dexia, et d'autre part, les collectivités ne sauraient s'exonérer de leur responsabilité en disant "je ne savais pas". Car quiconque sait, quand il emprunte à titre personnel, qu'un taux particulièrement bas peut cacher quelque chose ! Au demeurant, il est piquant de constater que certains des élus qui dénoncent aujourd'hui le scandale des emprunts toxiques appartenaient à la majorité qui, dans les collectivités, avait votée les mêmes emprunts... En outre, et selon une vision d'ensemble, les collectivités ont été globalement gagnantes par rapport au système mis en place dans les années 2000 puisque, durant ces années, la totalité des intérêts d'emprunts payés par les collectivités ne faisait que de baisser chaque année, alors que le stock de dette s'accroissait ! Une seule ombre à ce tableau: l'année 2008, où les intérêts cumulés ont très fortement augmenté par rapport à 2007. Mais, dès 2009, la somme des intérêts payés chaque année se mettait à redescendre.

De manière plus générale, la situation financière des collectivités ne cesse de se dégrader. Peut-on encore agir, même de manière radicale, pour régler ce qui semble être un puits sans fonds ?

La situation financière des collectivités doit être regardée selon plusieurs critères. La bonne nouvelle, c'est que selon le critère du déficit cumulé de l'endettement de toutes les collectivités locales, rappelons que son poids dans la richesse nationale, à savoir le PIB, est inférieur en 2013 à ce qu'il était en 1982. Rappelons également que la dette des collectivités locales ne représente que 10% de la dette publique. La mauvaise nouvelle c'est que l'encours total de la dette publique locale, après s'être stabilisé de 1996 à 2004, s'est remis à croître depuis 2005-2006. Ceci est lié au fait que, pendant les années 1980 et 1990, les collectivités ont préféré utiliser le levier de la fiscalité plutôt que celui de l'endettement. Et c'est là que ce n'est pas forcément une bonne nouvelle. Car cela revient à avoir fait financer par le contribuable actuel des investissements destinés à durer 20, 30 voire 40 ans. Il s'agit donc moins d'un puits sans fonds qu'un puits qui se creuse petit à petit ; et ce pour deux raisons. Les recettes des collectivités sont composées à moins de 40 % par de la fiscalité. Or le levier fiscal ne peut plus être utilisé aujourd'hui comme hier. Les dotations de l'État représentent désormais près de la moitié des recettes des collectivités et l'État verrouille désormais ces dotations aux collectivités locales, en les faisant diminuer en 2013 puis en 2014.Donc, aujourd'hui, pour faire face à ses dépenses, une collectivité est davantage amenée à utiliser l'emprunt. Pour agir aujourd'hui, les collectivités doivent impérativement diminuer leurs dépenses. Elles n'y sont pas habituées. Cela est une donnée nouvelle mais cela est nécessaire. Car, demain, qui voudra prêter à des collectivités qui risquent de se retrouver en défaut de paiement, car ne pouvant augmenter leurs recettes ? Dit autrement, après s'être habituées à chercher les recettes à partir des dépenses qu'elles souhaitaient réaliser, les collectivités doivent inverser la machine et dépenser en fonction des recettes. Rien que de très normal en somme...

M. Christian Eckert a fait part du "risque majeur pour les finances publiques" de ces crédits toxiques qui menacent la situation budgétaire des collectivités concernées. Qu'en est-il concrètement ?

Les finances locales, dans leur ensemble, ne sont pas menacées par les emprunts toxiques. Mais on ne peut se satisfaire de cette réponse "d'ensemble". C'est un peu comme si un statisticien disait que, "en mettant la tête dans le four et les pieds dans le congélateur," la température moyenne s'avérait satisfaisante ! La situation peut,en revanche, s'avérer très difficile voire intenable pour les collectivités prises dans la nasse des emprunts toxiques. Et c'est là que la solidarité nationale - dit autrement les impôts qu'ils soient nationaux ou locaux - sera amenée à fournir une réponse financière concrète. Un peu comme à Angoulême dans les années 1980, où la quasi -faillite de la ville a été résorbée par l'Etat (un peu) et par le contribuable local (beaucoup), alors que le secteur bancaire s'en est quant à lui (très bien) sorti.

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