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Hunger Games marque-t-il l'entrée de la jeunesse dans l'ère du cynisme et de la noirceur ?
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Jeux de vilains

Après la love story vampirique et très gnangnan Twilight, les jeunes occidentaux se passionnent désormais pour une série de livres où des adolescents sont obligés de se battre à mort.

Sylviane Barthe-Liberge

Sylviane Barthe-Liberge

Sylviane Barthe-Liberge est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle anime et publie sur son site personnel : www.consultations-psychologue.com.

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Atlantico : Le 27 novembre sort sur les écrans français Hunger Games - L’embrasement, deuxième volet de l’adaptation cinématographique de la saga littéraire à succès. L’histoire se situe dans une société futuriste où chaque année des jeunes gens s’affrontent jusqu’à la mort dans un jeu télévisé. L’héroïne, une jeune adolescente, participe à cette épreuve et devient le symbole de l’opposition au régime en place. Ces thèmes ont-ils une résonance particulière pour les adolescents ?

Sylviane Barthe-Liberge : L’adolescence est, par définition, une période d’opposition. Françoise Dolto appelait cette période, plus ou moins difficile, le « complexe du homard ». A l’image de ce crustacé, l’adolescent se trouve « piégé » entre deux changements de carapace. Il doit faire le deuil des vêtements infantiles (sous l’égide de l’insouciance) pour revêtir les vêtements adultes (parfois jugés trop grands de par les responsabilités qu’ils impliquent et donc angoissants). L’adolescent se débat dans ses conflits psychiques, se heurte à ses contradictions et celles de la société, et cherche à s’affirmer par l’opposition à l’ordre établi. En fait, il ne cherche qu’à trouver sa place.

Aussi, le thème du film n’est qu’une allégorie de l’autorité parentale et symbolise le combat psychique que mène l’adolescent dans son accession au statut adulte. Par exemple, la mort dans le jeu télévisé du film symbolise la « mort psychique » du statut infantile que l’adolescent doit abandonner.

Auparavant, les sagas destinées aux adolescents parlaient de sorciers (Harry Potter) ou de Vampires (Twilight). Les thèmes sont désormais plus sombres. C’est le cas avec Hunger Games mais également avec d’autres franchises à venir comme Ender’s Game ou Divergent. Cela signifie-t-il que, désormais, l’entrée dans la jeunesse est une entrée dans la noirceur ?

Les adolescents ont toujours été fascinés par le noir. La noirceur avait quelque chose de romantique (comme dans Twilight) mais elle n’est qu’un aspect du vécu psychique de l’adolescence. Et d’ailleurs, tous les adolescents ne sont pas à la recherche de cette noirceur.

Cet engouement pour des films plus violents, plus sombres, est peut-être à mettre en lien avec des manques de notre société. Il y a quelques années, nous avions – à l’instar des sociétés dites « primitives » - des rituels de passage pour entrer dans le monde adulte (comme le service militaire). L’opposition est un mécanisme qui participe à la construction de l’adolescent. Or, face à l’absence de ces rituels de passage, l’adolescent se trouve face à un « mur mou », inconsistant, sur lequel il ne peut que s’étioler. Alors que face à un mur dur, il rebondit.

Ainsi, par un phénomène de résilience, l’adolescent va chercher dans les films ce qui lui fait défaut dans son quotidien : le dépassement de soi à travers des épreuves qui mènent à la maturité.

Les adolescents d’aujourd’hui sont-ils plus préoccupés que leurs aînés ?

Il me semble que chaque génération d’adolescents a ses préoccupations, ses combats et ses luttes. Pas plus aujourd’hui, qu’hier et à priori que demain. Ils ont peut-être, pour certains, une vision plus accrue des difficultés sociales et économiques, mais vision sans doute biaisée par nos propres peurs d’adultes que nous leur transmettons plus ou moins inconsciemment.

Certes, nous sommes dans une grave crise économique. Certes, le chômage des jeunes est important. Mais je ne pense pas que l’ensemble de nos adolescents vivent plus « mal » que les adolescents du siècle dernier. De plus, ils ont des ressources, sont capables de grandes créativités, à condition que, nous, leurs aînés, leur fassions confiance.

Dans les sagas précédentes, les héros découvraient des mondes imaginaires qui leur permettaient de progresser. Dans les nouvelles, ils doivent affronter un système en place. Est-ce une métaphore de l’adolescence actuelle ?

Tout à fait. Mais il me semble que les adolescents sont autant attirés par le fantastique que par des scenarii plus réalistes. Ces nouveaux thèmes sont un phénomène de mode induit par les adultes (dont l’objectif est de faire un maximum d’entrées dans les salles obscures) en jouant sur un crédo bien connu de l’adolescence : « les adultes ne peuvent pas nous comprendre. Et pour pouvoir nous faire entendre, nous devons nous opposer au système en place, donc au système adulte ». Même s’il est plus facile de s’identifier au héro si la situation avec laquelle il se démène est réaliste. En fait, il s’agit toujours du phénomène d’opposition qui se joue à l’adolescence afin d’accéder (par des rites de passage) à la position adulte.

Ces films sont aussi plus violents que leurs prédécesseurs. Qu'y trouvent les adolescents ?

Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées. Sans doute un écho à la violence psychique que représente la période adolescente. Peut-être également une manière d’appréhender des solutions à leurs difficultés, en s’identifiant à des héros qui font preuve de courage (ce que l’on n’a pas forcément à cet âge-là). Ou encore une façon de se dire que la réalité est peut-être moins « glauque » que ce qu’ils peuvent voir dans les films, donc une manière de relativiser leur quotidien.

Quoi qu’il en soit, le désir, l’excitation et le plaisir des réactions physiologiques (comme la montée d’adrénaline) sont primordiaux. Tout comme la recherche d’une distraction, d’une échappatoire au quotidien et l’envie de voir la destruction (fantasme bien connu des enfants et des adolescents).

Ces films ont-ils une vertu pédagogique ou servent-ils seulement d’outils à l’exorcisme des peurs adolescentes ? 

Dans ces films, les adolescents se confrontent à leurs peurs, mais aussi aux limites en se frottant au danger. C’est une manière pour eux de faire connaissance avec eux-mêmes en adoptant des attitudes contra-phobiques, c’est-à-dire une démarche active pour exorciser ses peurs en image. Un moyen symbolique de décharger sa violence interne. En fait, chacun va puiser dans telle ou telle scène ce qui va le plus entrer en résonance avec ses propres fantasmes.

En outre, ces films proposent une violation des normes sociales (normes qui condamnent la violence). Or, l’adolescence est une période où l’on teste les limites (les siennes, mais également celles de la société). Aller voir des films prohibés par la société (adulte), c’est indirectement sortir de ces normes, transgresser les codes établis. Ce serait un rite de passage, comme un autre.

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