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Taxe à 75% ou l’histoire d’une baudruche dont il ne reste plus grand-chose
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Pschitt

François Hollande avait tenté un véritable coup de poker en la proposant, le 27 février 2012. Intéressant pour le candidat mais embarrassant pour le président.

Thierry  Benne

Thierry Benne

Thierry Benne est docteur en droit public, diplômé d’expertise-comptable et de l’INTEC (CNAM). Il a enseigné en université et a collaboré plusieurs années au Centre d’Enseignement Supérieur du Management Public. Il a exercé les professions d’expert-comptable, de commissaire aux comptes et d’expert-judiciaire.

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Après le refus du Chef de l'Etat de prendre en compte les doléances  des dirigeants du football professionnel vis-à-vis de la nouvelle taxe "dite des 75%",  qui frappera les clubs pour la partie des salaires annuels  des joueurs venant à excéder le million d'euros, il convient de replacer dans son contexte  la mesure-phare du candidat socialiste devenu Président de la République. L'histoire est à la fois mouvementée,  édifiante et riche d'enseignements.

Rappelons d'abord que c'est à la surprise générale, et encore plus à celle de ses propres conseillers, que le 27 février 2012 le candidat Hollande lance tel un véritable coup de poker sa promesse d'une fameuse taxe à 75% sur les très hauts revenus. Elle sonne comme la réplique fiscale  et électorale de sa célèbre sortie de 2006  "Je n'aime pas les riches". En fait, le candidat voyait dangereusement fondre son avance dans les sondages et il était urgent pour lui d'arrêter cette hémorragie. On sait que l'affaire réussit et  au-delà de toute espérance.

Mais d'intéressante pour le candidat, la promesse devint rapidement embarrassante pour le président, qui se voyait rappeler à tout bout de champ son périlleux engagement. La mise à l'eau eut donc lieu avec la loi de finances pour 2013 qui créait une nouvelle taxe de 75% sur tout contribuable (hors professions libérales)  dont la rémunération annuelle  excédait 1 million d'euros. Ainsi un ménage, dont chacun des  conjoints gagne  900 000 euros, échappait à l'impôt nouveau, tandis que celui dont un seul des deux conjoints perçoit une rémunération unique de  1 200 000 euros se voyait assujetti au prélèvement de 75% sur l'excédent de 200 000 euros. Autre objection, pour juger du poids réel du prélèvement total, ce taux de 75% devait être augmenté dans la réalité des retenues de CSG et de CRDS, voire même parfois d'autres prélèvements sociaux, si bien que dans certains cas extrêmes, le taux marginal d'imposition pouvait avoisiner les 90%. Finalement, le 29 décembre 2012 et au grand dam de la majorité socialiste, le Conseil constitutionnel annule la disposition notamment parce qu'elle viole le principe fondamental  de l'imposition par ménage - et non pas par individu - qui sous-tend tout l'édifice de notre impôt sur le revenu. En filigrane aussi,  figure sans  doute l'éventualité aggravante que  le taux marginal résultant ait été implicitement considéré comme purement confiscatoire.

Quoi qu'il en soit, il n'était pas envisageable pour le Président d'en rester là. Ayant parfaitement ciblé les deux écueils signalés plus haut,  il va donc demander au Conseil d'Etat de plancher sur un projet alternatif, qui puisse contourner la censure constitutionnelle. Réponse de la Haute Assemblée : diminuer le taux de l'impôt laissé au nom du bénéficiaire ou faire passer la charge sur l'employeur. On retrouve l'art de la synthèse du locataire de l'Elysée dans les deux innovations de la solution "mixte" finalement  retenue: le taux de la "nouvelle taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations" instituée pour 2013 et 2014 chute à 50% et en outre son poids total ne doit pas excéder 5% du chiffre d'affaires de l'entité employeuse. En réalité, le taux originel de 75% n'a pas été oublié et le Gouvernement  explique à loisir qu'il a tenu compte du fait que les rémunérations considérées supportaient déjà des charges patronales estimées en moyenne à 25% du salaire et qu'ainsi le compte est bon puisque 50 + 25 = 75 (c.q.f.d. !). Mais il reste quand même un certain nombre d'employeurs récalcitrants pour faire remarquer, notamment dans le secteur financier, qu'eux acquittent déjà et en sus des charges patronales communes une taxe sur les salaires dont le taux maximum atteint désormais les 20% et qu'au total il n'est nullement exclu que certaines entreprises acquittent un prélèvement fiscal de quelque 95%, là où la majorité des autres s'en tiennent aux 75% du calcul officiel. On voit donc poindre dés maintenant  l'un des angles d'attaque du recours constitutionnel, qui ne manquera pas d'être déposé dès le vote définitif de la loi, mais on peut être sûr qu'il y en aura d'autres. Il se pourrait aussi que le Conseil constitutionnel ne soit  pas nécessairement ravi de la manière  dont l'actuel Gouvernement  prend ses aises avec le principe de la séparation des pouvoirs en lui resservant par la fenêtre et sous une autre forme le projet que le Conseil avait censuré lorsqu'il lui avait été présenté par la porte.

Deux remarques pour conclure. Pour être "habile", le transfert sur l'employeur de la charge de la nouvelle surtaxe change complètement le sens de la nouvelle imposition qui, d'une participation exceptionnelle et exemplaire du salarié à l'effort de la Nation, devient une sorte de prise d'otage et de chantage exercés sur l'employeur, coupable dans une période de crise d'allouer des salaires aussi manifestement indécents. Soulignons d'ailleurs  que cette technique  détestable de la prise d'otages prospère dangereusement dans notre droit, puisqu'elle a récemment servi et qu'elle sert encore à pénaliser  un certain nombre de mutuelles accusées d'être contractuellement  trop généreuses dans leurs remboursements et il n'y a sans doute pas besoin de réfléchir longtemps pour trouver d'autres exemples de ce type qui ne grandissent pas notre pays, ni ses gouvernants, ni son Parlement.

Enfin, cela fait déjà un certain temps qu'on a acquis la certitude que pour le président de la République, le principe fondateur d'égalité est à géométrie très variable. C'est ainsi que les centaines de milliers de manifestants contre le mariage pour tous auront eu le plus grand mal à obtenir à la dérobée un simulacre d'entrevue, alors que les deux représentants de la petite communauté LGBT seront chaleureusement reçus par un Président, tout sourire, séance tenante, le plus officiellement du monde et en présence des caméras de la télévision, qui immortaliseront la rencontre. De même, peu importent  les licenciements en cascade, peu importent l'agonie de certaines branches d'activités ou encore l'accumulation récurrente des suicides d'agriculteurs, le Président n'en a cure, son Gouvernement  taxe et retaxe sans merci, pause ou pas. Mais  que les instances du football professionnel, qui comme chacun sait représentent et de loin les catégories les plus nécessiteuses de Français,  haussent à peine le ton et les voilà immédiatement à l'Elysée.

Manifestement  cette taxe mal née et qui devait être un marqueur du quinquennat aura surtout révélé bien des choses sur  le Chef de l'Etat : son impréparation sidérante du projet, sa désinvolture technique et juridique, sa propension à vouloir surprendre d'abord quitte à réfléchir plus tard et aujourd'hui  enfin son inclination naturelle à recevoir non pas les gens dont les doléances sont les plus justes, mais ceux qui flattent le plus son arbitraire personnel.

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