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Pourquoi les Français accordent tant d'importance au travail tout en souhaitant voir sa place diminuer dans leur vie
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Bonnes feuilles

De l'orientation professionnelle jusqu'à la retraite, les différentes étapes de la vie au travail sont l'occasion pour les spécialistes en sciences humaines de faire partager leurs réflexions sur le monde du travail. Extrait de "Le bonheur au travail ?" (1/2).

Yves Clot

Yves Clot

Yves Clot est professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail, Conservatoire national des arts et métiers.

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La France tient sur la question du travail, en Europe, une place paradoxale. Les Français sont à la fois ceux qui accordent le plus d’importance au travail et ceux qui souhaitent le plus voir la place de celui-ci diminuer dans leur vie. C’est la marque d’une désillusion à la mesure d’une exigence forte et déçue. Malgré le chômage de masse, ils sont plus de 30 % à déclarer vouloir quitter leur entreprise si c’était possible.

Pourtant ils y restent. Mais celles et ceux qui travaillent sont « excédés » – au sens étymologique – par la répétition de situations où le travail n’est « ni fait ni à faire » et, de plus, sans pouvoir le dire avec une chance d’être entendus. Le travail est paradoxalement désorganisé sous l’impact d’organisations fragilisées par un « court-termisme » chronique. De plus en plus de salariés « y laissent leur santé ». Ils peinent à se reconnaître dans ce qu’ils font. Et ce qu’il faut faire malgré tout, parfois à leur corps défendant, n’est justement plus défendable à leurs propres yeux. C’est qu’au travail il ne suffit pas d’être reconnu par quelqu’un, encore faut-il se reconnaître dans quelque chose : une histoire commune, un produit soigné, une technique, un langage, une entreprise respectée, un métier vivant ou encore une carrière méritée. Sans ce « quelque chose », il est difficile d’être quelqu’un au travail. La reconnaissance est faussée quand elle ne reconnaît pas le travail lui-même.

Il est difficile d’y mettre du sien quand on fait régulièrement l’expérience que l’activité se déroule en dehors des règles de l’art ; quand le « bien faire » devient superflu ou méprisé, il n’y a plus de bien-être possible. Se battre pour travailler correctement, coûte que coûte, n’a qu’un temps. Vient le temps du renoncement et celui du ressentiment ou encore celui de la dérision qui n’arrange rien. Alors, « on en fait une maladie », pas toujours certes, mais de plus en plus souvent. On est diminué lorsqu’on ne peut plus, au moins de temps en temps, être fier de ce que l’on fait, faire autorité dans son travail, s’y « retrouver ». Le travail ravalé, la qualité empêchée sont la principale source de fatigue de nos « temps modernes » à nous. Car on est alors actif sans se sentir actif. Poussé à ne plus être ni dans ce qu’on fait ni à ce qu’on fait. Et là, le danger guette aussi bien le corps que l’esprit.

La dégradation de la qualité du travail dépasse maintenant le travail. Elle est devenue non seulement un problème de santé au travail mais une question de santé publique, un problème de qualité de la vie. Les scandales sanitaires, alimentaires, industriels se multiplient. Le travail « ni fait ni à faire » est dans nos assiettes, dans nos médicaments, dans la nature. Il « empoisonne » la vie en dehors du travail.

Le travail soigné n’est donc pas seulement favorable à la santé au travail. En développant le pouvoir d’agir de ceux qui le font sur leur propre travail, on peut « soigner » la santé publique. Il est donc temps de regarder notre travail – ce qu’il peut devenir – comme une solution pour la santé et pas seulement comme un problème..

Quelques chiffres

Conflits d’éthique dans le travail : 36,4 % des actifs occupés estiment qu’ils doivent « parfois, souvent ou toujours faire dans leur travail des choses qu’ils désapprouvent » : vente abusive, réaliser des licenciements, etc. Source : Dares, Drees, enquête « Santé et itinéraire professionnel », 2010.

Concernant la « qualité empêchée », 17,3 % des salariés disent n’avoir que « parfois » ou « jamais » « les moyens de faire un travail de qualité ». Source : Dares, Drees, enquête « Santé et itinéraire professionnel », 2010.

Extrait de "Le bonheur au travail ?", Sophie Prunier-Poulmaire  (Cherche midi éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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