"Jean-Marie Le Pen a une confiance limitée en sa fille"<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine et Jean-Marie Le Pen lors d'un défilé du 1er mai.
Marine et Jean-Marie Le Pen lors d'un défilé du 1er mai.
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Tu quoque mi fili

Alors que se déroule dimanche 1er mai le traditionnel défilé du Front national, place de l'Opéra à Paris, le climat entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, qui prendra pour la première fois la tête de la manifestation et prononcera le traditionnel discours, ne semble pas être au beau fixe.

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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Atlantico : pour exister, Marine Le Pen doit-elle tuer le père ?

Lorrain de Saint Affrique : je crois que Jean Marie Le Pen va se rendre à ce 1er mai comme à la répétition de ses funérailles. Il aura le sentiment de suivre son propre corbillard. Depuis quelques semaines, on voit se multiplier les escarmouches et les accrochages entre sa fille et lui sur divers sujets, Cela montre que les choses se passent de manière moins « soft » que l’on avait cherché à le faire croire au moment du congrès de Tours, lors de l’élection de Marine Le Pen.

C’est passé relativement inaperçu mais au congrès du Front national, sur les 23 000 membres du FN à jour de cotisation et qui pouvaient voter, 5 000 ne se sont pas prononcés, 5 000 autres ont voté pour son concurrent Bruno Gollnisch et 11 000 pour Marine Le Pen. Cela veut dire qu’elle pèse la moitié de son propre mouvement. Les 5 000 personnes qui ont refusé de choisir entre Bruno Gollnisch et Marine Le Pen, entre l’inertie classique et traditionnelle, dans la droite ligne de Jean-Marie Le Pen, d’une part et la volonté de Marine de dé-diaboliser et de moderniser le Front national comme elle dit d'autre part, ont choisi de ne pas choisir. Le climat interne se trouve imprégné de cette réalité.

C’est assez frappant de voir depuis plusieurs semaines qu’à chaque occasion, Jean-Marie Le Pen, qui devrait normalement se taire et laisser passer un certain délai pour que sa fille qui lui a succédé, s’installe dans son rôle de présidente et fixe la norme du discours fédérateur pour l’ensemble du mouvement, s’évertue lui, à envoyer des signaux contradictoires, qui donnent l’impression au fond qu’il aurait la nostalgie d’une élection de Bruno Gollnisch.

Systématiquement il prend des positions proches de ce dernier sur des choses qui peuvent paraitre comme des détails de la vie du Front national mais qui sont vraiment révélatrices d’une détérioration du climat entre Le Pen et sa fille. Je crois qu’il y a un divorce sur la stratégie à suivre et que Jean Marie Le Pen a passé la main contraint et forcé par la limite d’âge, et que psychologiquement il n’assume pas du tout cette situation. Il ne peut pas s’empêcher d'attraper le premier micro, la première caméra qui se présente, pour faire entendre un message qui est assez différent de celui que Marine Le Pen veut installer.

Créer des tensions, est-ce une stratégie de la part de Jean-Marie Le Pen ?

Le côté « jouer le bon et le mauvais flic », en donnant l’impression que sa fille a fait avancer les choses, en soulignant les différences, cela ne ressemble pas du tout à Jean-Marie Le Pen. Il a pu volontairement dans le passé, diviser le Front national. On se souvient des concurrences très organisées dans les années 80 entre Jean-Pierre Stirbois et Bruno Mégret.

Je crois que cela va plus loin. Quand il se laisse à commenter l’action de sa fille, il est extrêmement dur. Cela voudrait dire qu’il joue alors ce rôle de bon et de mauvais flic y compris dans les arrêts de jeu, sauf qu’il n’y a pas de témoins. Je crois que Jean-Marie a passé la main en surface mais qu'il conserve les manettes financières du Front national. Il reste seul utilisateur de son micro parti « Cotelec », auquel le Front national doit d’ailleurs de l’argent. Tout cela est relativement opaque. Cela montre que la confiance qu’il a en sa fille est limitée. Il continue à siéger dans les organes exécutifs du Front national, à commencer par le comité exécutif, là où se prend les grandes décisions.

Évidemment statutairement, Marine peut imposer son point de vue. C'est arrivé dans une affaire récente, lors de l’exclusion d’un conseiller régional à propos de photos qui avaient été diffusées sur internet le représentant en train de faire le salut nazi. Le Pen a adopté la même position que Gollnisch, celle trouvant que la décision était précipitée. Il y a une vraie divergence de stratégie. Le Pen pense qu’elle a tort de développer une action qui vise à terme une alliance avec la droite. Elle a ré-adopté la stratégie « Mégret » des années 80 et 90.

Si on regarde dans le passé du Front national, on s’aperçoit que du temps de Le Pen, quand il y avait des exclusions, elles frappaient plutôt des gens qui venaient du RPR et de l’UDF. En revanche depuis que Marine Le Pen est là, elle tape à son extrême droite, ce que Le Pen ne faisait pas. Il considérait que ces forces-là devaient être ménagées en cas de coup dur. Ils n’ont donc pas la même approche. Elle est dans une sorte d’approche à l’italienne, bien que je ne crois pas du tout qu’elle soit comparable à Gianfranco fini, qui a réussi l’alliance à droite en Italie. Tout cela s’inscrit dans un mouvement européen où les thèmes populistes ont un succès croissant dans de nombreux pays d’Europe.

Jean-Marie Le Pen a toujours pensé qu’il ne fallait pas quitter les fondamentaux d’une droite très radicale, Il renvoyait régulièrement des signaux sur ce terrain-là, de manière à durer. Il semble que l’ambition de Marine Le Pen d’arriver au pouvoir, ce qui était un objectif abandonné depuis longtemps par Jean-Marie, ne recueille pas du tout l’approbation de ce dernier. Il pense tout simplement qu’elle va échouer et qu’elle prend des risques qui à terme peuvent menacer le FN.

Marine a rendu publique une lettre envoyée à Claude Guéant ministre de l’intérieur pour lui demander un permis de port d’arme pour elle-même. Le ministre lui a répondu qu’il n’en était pas question, qu’elle avait un garde du corps armé de manière légale et que cela suffisait. Marine a remarqué à ce moment-là que son père, lui en avait un. On n’en parle jamais de ce genre de chose. Le fait de savoir si le Pen est armé ou non, peut être une menace pour sa sécurité. On ne divulgue pas ces mesures de protection. En l’occurrence, elle expose à un risque physique, ce qui en dit long sur le climat qui règne entre les deux Le Pen.

Le rdv du 1er mai, représente-t-il pour Marine Le Pen l’occasion de rencontrer véritablement les militants qui la porteront peut-être jusqu’au deuxième tour de la présidentielle ?

Vous avez remarqué qu’il y avait deux affiches, une première centrée sur la personnalité de Marine Le Pen. Il se trouve qu’il y a eu quelques protestations internes et qu’il a fallu ajouter en catastrophe la silhouette de jeanne d’Arc pour rappeler la signification de cette manifestation. On verra bientôt si elle a réussi à éviter le parasitage du FN par des éléments extérieurs qui ont des looks de nature à attirer les caméras et à donner une image détestable du parti.

Elle fait beaucoup d’effort sur ce thème. Il faudra regarder la tête de Le Pen pendant le discours de sa fille. Si les caméras se braquent sur Jean-Marie et s’il les reconduit vers la véritable héroïne de la journée, sa fille Marine ou bien si une fois de plus, il n’arrive pas à s’empêcher d’occuper la place qu’il a occupée pendant plus de trente ans. Il faut en tout cas relativiser tout ça, le FN est loin d’être un mouvement de masse. Si on le compare à l’UMP ou au PS, on est loin des chiffres qui ferraient que l’attitude des militants enverrait un signal politique qu’on puisse généraliser. C’est tout de même encore du niveau de la tempête dans un verre d’eau.

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