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Les meilleurs résultats scolaires des aînés seraient dus à des différences en termes d’éducation.
Les meilleurs résultats scolaires des aînés seraient dus à des différences en termes d’éducation.
©iStockphoto

Privilèges

D’après une étude des économistes américains V. Joseph Hotz and Juan Pantanow, les meilleurs résultats scolaires des aînés seraient dus à des différences en termes d’éducation de la part des parents.

Marie Duru-Bellat

Marie Duru-Bellat

Marie Duru-Bellat est sociologue spécialiste des questions d’éducation, professeur à l’IEP de Paris et chercheur à l’Observatoire Sociologique du Changement et à l’Institut de Recherche en Education (IREDU). Elle travaille sur les politiques éducatives et les inégalités sociales et sexuées dans le système scolaire.

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Atlantico : Le rôle de l’éducation différenciée entre aînés et suivants dans les résultats des enfants mis en lumière par cette étude est-il un enseignement nouveau ?

Marie Duru Bellat : Non il s’agit d’un effet classique du rang de naissance que l’on observe en France depuis au moins 30 ans ! Mais l’étude, même si elle ne porte que sur les familles d’au plus 4 enfants, ne peut contrôler totalement, quelles que soient les sophistications statistiques, l’effet de la taille de la famille (être de rang 3, c’est toujours être membre d’une famille assez nombreuse). On y lit d’ailleurs que  l’aîné d’une famille de quatre réussit par exemple moins bien que le 2nd d’une famille de deux enfants ; en effet, le nombre d’enfants, et la difficulté d’éduquer une famille nombreuse, influe sur les résultats scolaires, sachant de plus que ces familles nombreuses sont plus répandues dans les milieux socioéconomiques défavorisés. Or cette étude (à l’instar de bien des études américaines) ne prend pas compte de l’origine socio-économique de la famille.  Cette caractéristique est pourtant bien plus importante : la réussite des enfants dépend beaucoup plus de la situation professionnelle des parents et du niveau d’éducation qui l’accompagne que de leur rang dans la fratrie.

Est-il statistiquement exact que les aînés présentent en moyenne de meilleurs QI et résultats scolaires que leurs frères et sœurs ? 

Qu’est-ce que mesure vraiment le QI ? Les anglo-saxons l’utilisent volontiers, car ils mettent en avant un certain déterminisme génétique. Mais qui peut croire que les aînés hériteraient de gènes leur permettant de mieux réussir à l’école telle qu’elle se présente aujourd’hui ? C’est bien évidemment absurde. Certes, on peut faire l’hypothèse que les potentiels diffèrent entre les enfants mais dès leur première heure, leur développement cognitif se fait dans un milieu social particulier, plus ou moins stimulant et donc ce qui serait une intelligence innée et héréditaire reste une notion abstraite et inobservable. Les résultats d’un enfant dépendent de fait de tous les outils cognitifs qu’il a appris à développer avec des parents plus ou moins formateurs, notamment selon leur niveau personnel d’éducation. Tous les apprentissages sont sociaux, et de multiples travaux de psychologues montrent que les stimulations et les manières d’élever un enfant sont différentes et plus ou moins efficaces  selon les milieux (je me permets de renvoyer à l’ouvrage que j’ai coédité avec M.Fournier : L’intelligence de l’enfant ; l’empreinte du social, Sciences Humaines éditions, 2004).

Par conséquent, s’il est vrai que l’on observe des différences de compétences très tôt, celles-ci s’expliquent d’abord selon les milieux sociaux et secondairement en fonction du rang de naissance. Car on n’élève pas les enfants de la même manière selon qu’il soit le premier ou le Nième.

Hotz et Pantanow soutiennent justement l’idée que ces différences sont liées à une éducation plus souple des parents pour les enfants suivants. Que faut-il en penser ? Quelles autres théories permettent d’expliquer ce phénomène ?

Ce n’est pas nouveau. Si vous lisez les grands textes de la sociologie de la famille depuis 20 ans, leurs auteurs ont démontré que les valeurs éducatives des parents et la façon dont ils s’occupent de leurs enfants varient selon le rang de naissance. Dans quel sens ? Avec un aîné, ils mettent en avant des valeurs d’efficacité, de réussite et de dynamisme. Ils sont donc plus exigeants avec ceux-ci qu’avec les derniers, pour lesquels ils sont plus tolérants et prônent des valeurs sociales, d’intégration, de générosité, de créativité. Selon le rang de naissance, ce n’est pas le même enfant que l’on veut élever et les pratiques éducatives changent en fonction ! L’assertivité se cristallise souvent sur l’aîné, qui doit symboliser la réussite, alors que l’on devient plus cool avec les suivants, en se disant souvent qu’ils "réussiront différemment"

Les benjamins profitent-ils de règles éducatives moins strictes que leurs aînés ? Qu'est-ce qui poussent les parents à agir de la sorte ?

Souvent avec le premier, les parents "mettent le paquet" mais se donnent ensuite moins de mal car ils se rendent parfois compte qu’ils ont été trop dur avec leur aîné. Certains échecs les amènent donc parfois à modifier leur pratiques éducatives avec les suivants pour lesquels ils mettront en avant d’autres qualités, comme la socialisation ou la souplesse, nécessaires dans une famille nombreuse. 

La notion de stratégie éducative développée dans l’étude, selon laquelle les parents seraient intentionnellement plus sévères avec les aînés pour que les suivants en soit également impactés, me parait beaucoup trop rationalisée. A mon avis, il s’agit plutôt d’ajustement de la part des parents qui apprennent de leurs erreurs. En particulier dans nos sociétés où l’on pousse précocement les enfants pour se rendre compte ensuite que leur réussite dépend de bien d’autres aléas incontrôlables.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait jamais d’ajustement entre les pratiques parentales, d’un aîné à un enfant plus jeune. Par exemple, alors qu’on observe des différences d’objectifs éducatifs entre les garçons et les filles, en cas d’échec d’un aîné garçon, il arrive que les objectifs ambitieux qu’on avait pour lui se reportent souvent sur la/les filles plus jeunes, qui jouent alors le rôle de "garçons de substitution",  poussées dans des filières masculines pour compenser…

Ces résultats  peuvent paraître contre-intuitifs dans le sens où l’on pourrait penser que les conditions matérielles et économiques sont meilleures avec le temps et devrait favoriser les enfants suivants. Ne jouent-ils pas un rôle dans la réussite éducative ?

En fait, les conditions matérielles jouent surtout sur l’orientation des enfants dans le secondaire et les études supérieures. Elles interviennent donc souvent assez tardivement, alors qu’en matière de réussite scolaire, ce sont vraiment les premières années qui sont déterminantes. De fait, en France du moins, le niveau d’éducation joue plus que les conditions matérielles dans les résultats scolaires. Celles-ci ne deviennent prépondérantes que si elles sont extrêmes. 

Les aînés, en participant à l’éducation de leurs frères et sœurs, développent-ils leurs capacités d’apprentissages ce qui participerait à leurs bons résultats scolaires ?

Les psychologues ont démontré depuis les années 50 qu’apprendre en groupe peut être positif. On sait par exemple qu’un enfant qui est sur le point d’acquérir quelque chose et doit l’apprendre à quelqu’un d’autre, confirme sa maîtrise de cette chose. Avoir à aider un jeune frère ou une petite sœur joue sans doute favorablement sur la réussite scolaire, mais combien précisément, il est impossible de l’évaluer.

Propos recueillis par Pierre Havez

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