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Rien de mieux que la pierre... ou pas : pourquoi l’immobilier n’est pas toujours un bon investissement
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Tous propriétaires ?

Le spécialiste des "bulles financières" et nouveau prix Nobel d'économie Robert Shiller estime que l'idée selon laquelle la valeur d'une maison tendrait à croître avec le temps n'est pas recevable.

Patrice de Moncan

Patrice de Moncan

Patrice de Moncan est économiste et historien de la ville. Il est titulaire d'un Doctorat d’économie et d'une licence d’Histoire.

Auteur d’une trentaine d’ouvrages dont Le Paris d’HaussmannLes passages couverts de ParisVilles utopiques et villes rêvéesÀ qui appartient la France, Il vient de publier avec Gilles Ricour de Bourgies Que vaut Paris ?, Histoire et analyse de la propriété immobilière aux Éditions du Mécène.

Il prépare actuellement une série d’ouvrages sur la propriété immobilière dans les grandes villes de France et leur valeur financière.

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Atlantico : L'économiste de Yale et tout récent prix Nobel Robert Shiller s'est fait connaître à travers ses travaux originaux sur les articulations du marché du logement, notamment américain. Celui qui avait prévu une chute des prix immobiliers dès 2005 affirme que l'idée selon laquelle la valeur d'une maison tendrait à croître avec le temps n'est pas recevable. Il affirme notamment que le retour sur investissement d'un propriétaire a été virtuellement proche de zéro entre 1890 et 1990. Qu'en est-il en Europe ? Les chiffres confirment-ils cette affirmation ?

Patrice de Moncan :Oui et non. À la fois économiste et historien, j’aime, avant d’élaborer une analyse économique, me tourner vers l’histoire, toujours riche d’enseignements.

Ainsi, à Paris, entre 1914 et 1939, l’immobilier non seulement n’a pas été une valeur refuge, mais sa rentabilité s’est effondrée, devenant même négative. Pire que ce qu’annonce l’économiste américain. À force d’interventionnisme incessant de l’État dans les affaires immobilières, les immeubles parisiens ne valaient plus rien au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Il y eut d’abord en 1914 un moratoire qui gelait le paiement des loyers des soldats au front et de leurs familles. L’essentiel des logements ne produisit rien entre 1914 et 1918. Au retour des soldats (…quand ils revenaient), afin de les aider et d’aider les veuves des combattants morts au front, l’État décida d’annuler les dettes de loyer, sans pour autant rembourser aux propriétaires les quatre années perdues. Puis, il décida de plafonner les loyers, et cela à plusieurs reprises entre les deux guerres. Résultat : à la Libération de 1944, le budget tabac des ménages français était supérieur au budget logement. Et un propriétaire, pour payer sa concierge, devait sacrifier les loyers de dix appartements.

Inutile de préciser que les finances des propriétaires étaient alors au plus bas, à un tel point que le patrimoine immobilier parisien était entièrement délabré, les propriétaires n’ayant pu l’entretenir pendant plus de vingt ans. Dans ce cas, les théories de Schiller minimisent le phénomène de non-rentabilité de l’immobilier. La rentabilité était alors largement négative et pas seulement nulle.

De toute manière,  l’intervention étatique dans les affaires immobilières, en France, a toujours été négative, non seulement pour les propriétaires, mais aussi pour l’état du patrimoine, et, en bout de chaîne, pour le confort des locataires. On pourrait encore rappeler la loi de 1948, qui, partant d’une bonne intention envers les propriétaires, s’est totalement retournée contre eux. Il a fallu près de cinquante ans pour voir ses effets négatifs disparaître totalement.

Mais à cela une nuance s’impose. En France, avant les années 50, on était propriétaire d’un immeuble en totalité ou l’on était locataire. Depuis, la copropriété s’est mise en place et a gagné à ce jour 56 % du patrimoine parisien (il était égal à zéro après la Seconde guerre). Être copropriétaire de son appartement est totalement différent d’être propriétaire d’un immeuble. Au-delà de la rentabilité possible et espérée de l’investissement en cas de revente, nous devons prendre en considération la valeur d’usage de ce bien. Je pense qu’en France on raisonne différemment sur ces questions des Américains. La valeur d’usage est essentielle. Si elle est difficilement quantifiable (sinon à hauteur du loyer non payé pour un appartement correspondant), elle offre une garantie de sécurité dans le temps, ainsi qu’un statut social de « propriétaire » qui reste non négligeable. 

Enfin, en France, s’il s’agit d’une résidence principale, l’appartement ou la maison est défiscalisé. La plus-value en euros constants n’est pas imposée, c’est un facteur intéressant qui fait que dans pratiquement tous les cas, la résidence principale en France est un des meilleurs placements possibles. Il n’en est pas de même pour une résidence secondaire ou un appartement loué à titre de placement. Les lois actuelles qui tournent toutes en faveur du locataire (éviction de plus en plus difficile en cas de non paiement du loyer) rendent de plus en plus hasardeuse la rentabilité de ces investissements (les assurances pour impayés étant généralement limitées dans le temps). Quant à la résidence secondaire, elle est lourdement taxée en cas de revente.

Dans ces deux derniers cas, M. Shiller à mon sens, a totalement raison. Mais dans le cas d’une résidence principale, il semble, d’après ce que vous dites, oublier qu’un logement acquis n’est pas seulement un investissement financier, mais qu’il possède aussi une valeur importante qui n'est pas purement financière. En effet, la valeur d’usage du bien peut être et doit être matérialisée au moment du calcul final, auquel il conviendrait d’ajouter le plaisir ou la fierté d’être propriétaire, même si cela est difficile à estimer.

Les travaux de M. Shiller ont-il valeurs de théorie générale ou doivent-ils être limités au simple marché immobilier américain ?

N’ayant pas lu l’ensemble des travaux de M. Shiller il m’est difficile de me prononcer. Mais si elle se résume à vos questions, alors non, en aucun cas, ces travaux ne semblent avoir valeur de théorie générale sur les marchés européens, et en particulier sur le marché français, que je connais bien. Quand bien même on prouverait que la valeur d’un immeuble n’a pas évolué en valeur constante depuis 1890 (ce qui est possible, mais reste, en France, à prouver), je rappelle que ceci ne tient pas compte de la valeur d’usage et de la valeur de représentation sociale qui sont bien réelles en France et loin d’être négligeables, tant en termes financiers qu’en termes psychologiques.

À partir de quand et dans quelles situations est-il plus rentable d'être locataire que propriétaire en France ?

Revenant à ce que l’on décrivait du marché entre les deux guerres, à la période des plafonnements incessants de loyers, il valait mieux être locataire que propriétaire. C’est certain. Mais dans la réalité, la question ne se posait pas car soit on avait les moyens d’acquérir ou de construire un immeuble en totalité, soit on était locataire. On était donc dans 95 % des cas locataires dans les grandes villes (grande différence avec la campagne).

Aujourd’hui, où nous avons le choix, la question se pose vraiment. Une étude remarquable de l’IEIF (Institut de l'épargne immobilière et foncière) tend à montrer que la comparaison loyer/mensualités de remboursement semble jouer en défaveur de l’acquisition… Pourtant les ménages continuent à acheter quand ils le peuvent : c’est donc bien qu’il y a d’autres éléments qui entrent en ligne de compte, que j’ai énoncés auparavant.

Dans quel cas l'achat d'une maison résidentielle peut-il rester rentable à terme ?

Qu’entend-on par rentabilité ? Est-ce la plus-value nette obtenue en cas de revente, ou est-ce la différence mois après mois entre le loyer théorique et le niveau des mensualités de remboursement de l’emprunt d’acquisition ?

Tout le monde rêve d’être propriétaire, et quand bien même les théories de Shiller s’avéraient exactes, en Europe comme en France, la nullité de la rentabilité de l’acquisition ne portera certainement pas profondément atteinte à ce rêve quasiment universel : devenir son propre propriétaire !

En revanche, si comme il en est question ces jours-ci, l’idée qu’aurait l’actuel gouvernement de taxer les propriétaires sur la valeur fictive du loyer qu’ils auraient à payer pour un appartement similaire à celui qu’ils occupent s’ils n’en étaient pas propriétaires, alors, la motivation d’investissement dans sa résidence principale risque d’être fragilisée.

L'investissement dans la pierre est-il un mythe économique pour autant ?

L’investissement n’est certainement pas un mythe, mais une réalité qui porte une grande partie de l’activité économique. En France par exemple, le chiffre d’affaires de l’immobilier et le BTP qui va avec est supérieur à celui de l’automobile, et l’emploi généré l’est aussi. À cela s’ajoute une différence fondamentale : l’immobilier n’est pas délocalisable, ses emplois non plus. On n’a jamais vu un propriétaire passer une frontière avec son immeuble sous le bras. C’est d’ailleurs en cela une proie bien réelle et facile pour les taxes et autres contrôles opérables par les gouvernements.

Le même M. Shiller affirme qu'un fort taux de propriétaires n'est pas synonyme de prospérité économique, ce dernier comparant les États-Unis (66.5%) à un pays comme la Suisse (36.8%) actuellement en bien meilleure santé. A-t-on surestimé les vertus de l'extension de la petite propriété ?

C’est indéniable qu’un haut niveau de propriétaires dans un pays n’est pas synonyme de prospérité économique. Ainsi en Île-de-France, la région la plus prospère de France, seuls 46 % des Franciliens sont propriétaires de leur logement, quand les Français le sont à 56 % ! Pourcentage réduit à 30 % à Paris intra-muros ! L’Espagne et l’Italie, qui sont confrontées à de terribles difficultés économico-financières, ont respectivement 85 % et 70 % de propriétaires. Cela veut-il pour autant dire que l’inverse de cette proposition soit fausse ? Cela veut-il dire que le développement de la propriété privée dans un pays ou une région nuit à son dynamisme économique ? D’aucuns pensent en effet que l’argent investi par les particuliers dans la pierre serait plus utile investi dans le business. Étrange pensée ! Ne devraient-ils pas de toute façon « investir » une somme quasi équivalente dans leurs loyers ?

La question qui se pose actuellement est celle-ci : comment doit-on financer l’acquisition de l’immobilier résidentiel ? Les exemples contrastés entre la France et l’Espagne sont caractéristiques. L’Espagne, dans les années 1980, a opéré un boom immobilier en prêtant à taux variables. Si ces taux sont intéressants au moment de l’emprunt, ils s’avèrent catastrophiques dès que les taux grimpent, rendant soudain l’acquéreur insolvable. C’est ainsi que les Espagnols sont devenus à 85% propriétaires de leurs résidences principales. Et c’est ainsi que la plupart d’entre eux sont aujourd’hui incapables de faire face à leurs engagements. Mais est-ce le fait qu’ils soient de si nombreux propriétaires qui a plongé l’Espagne dans la crise économique ? Peut-être pour une petite part, mais il ne s’agit certainement pas de la réponse essentielle dans l’effondrement de cette nation.

La petite propriété, quand elle est acquise raisonnablement, sans surendettement, garantit au contraire un ordre dans la société, une motivation au travail. Elle dynamise le système économique. Même les économistes de gauche les plus révolutionnaires du XIXe siècles tels qu’Auguste Blanqui, le reconnaissaient. Ce dernier n’écrivait-il pas à Proudhon, qui prétendait que la propriété était un vol : « Vous concluez à l’abolition de la propriété ! Vous voulez abolir le plus énergique levier qui fasse mouvoir l’intelligence humaine, vous attaquez le sentiment paternel dans ses plus douces illusions, vous arrêtez d’un mot la formation des capitaux et nous bâtissons désormais sur le sable, au lieu de fonder en granit. Voilà ce que je ne puis admettre. »

La petite propriété, à sa manière, c’est le granit de l’ordre social, et l’une des pierres de base de l’ordre économique. Ne dit-on pas toujours en France, et cela depuis 1851, « quand le bâtiment va, tout va ! » ?

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