Hommes politiques et chaînes d'info en surchauffe : que pourraient finir par nous coûter les cirques médiatiques à la Leonarda ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'affaire Leonarda a créé une véritable bulle médiatique.
L'affaire Leonarda a créé une véritable bulle médiatique.
©Reuters

Dictature de l'instantanéité

Dans une courte allocution télévisée, François Hollande s'est exprimé samedi sur l'affaire Leonarda. Au même moment, les caméras étaient braquées sur la jeune fille, au Kosovo, pour avoir sa réaction.

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Atlantico : Alors que la situation de Leonarda et la nouvelle de son interpellation lundi lors d’une sortie scolaire ont pu émouvoir les Français, les médias – et particulièrement les chaînes d’information en continu – en créant une véritable bulle médiatique autour de cette affaire, ont-ils desservi la cause de l'adolescente auprès de l’opinion publique, pour laquelle ce sujet n’est pas forcément une priorité ?

Dominique Wolton : Il y a médiatisation et médiatisation. Oui, de manière générale, il y a beaucoup trop de surmédiatisation. De tout. Vitesse, concurrence, les thèmes classiques des médias.

Mais il faut distinguer la surmédiatisation liée à la peoplelisation à celle liée à de la politique, des phénomènes de guerre ou des phénomènes humains. L’affaire Leonarda mêle à la fois l’humain et le politique, ce n’est donc pas une surmédiatisation de même nature que les autres. Ce qui se joue là-dedans, c’est de savoir jusqu’à quand il faut appliquer la loi. Je crois que ce n’est donc pas extraordinaire qu’il y ait surmédiatisation sur ce fait qui rencontre une partie de l’opinion publique.

Et si l’opinion publique pense autrement ? Eh bien, tant pis. Cela fait partie de la démocratie que les médias ne s’alignent pas forcément sur l’opinion publique. On a tellement l’habitude aujourd’hui de savoir toutes les 22 secondes ce que pense soi-disant l’opinion publique, que si les médias ne sont pas immédiatement en phase, on le fait remarquer. Et alors ?

Encore heureux qu’il y a parfois un décalage entre les hommes politiques et l’opinion publique, ou entre les journalistes et l’opinion publique. S’ils s’alignaient constamment sur les sondages, à quoi serviraient-ils ?

Cette surmédiatisation n’est-elle pas néfaste, lorsqu’elle transforme un cas particulier en affaire d’Etat, au point que François Hollande s’est senti obligé de s’exprimer sur ce sujet à la télévision ?

Je fais le raisonnement inverse. La surmédiatisation a en effet un effet positif ou un effet négatif, d’accord. Mais là, je pense que c’est le cas particulier d’une gamine – assez maligne d’ailleurs – qui a révélé un problème extrêmement violent dans la société européenne et française : l’injustice. Je pense que c’est à cause de cela que ça flambe.

Il y a parfois des surmédiatisations disproportionnées, je suis d’accord. Mais la plupart du temps, la surmédiatisation, avec tous les défauts de la presse, révèle des choses intéressantes ou importantes. Cette fois, je pense que ce n’est pas la surmédiatisation qui a poussé le président à sortir du bois, c’est la jeunesse – et ses manifestations – et le sentiment d’injustice qui prévaut, y compris chez ceux qui disent que c’est normal et qu’on a satisfait à toutes les conditions pour l’expulser. C’est ce malaise qui a été révélé par la surmédiatisation.

Le fait que les hommes politiques entrent ainsi dans le jeu des médias, comme l’a fait François Hollande, est-il problématique ?

C’est un des effets de la surmédiatisation : la pression suscitée par l’émotion, les pseudo-sondages qui s’y mettent, les réseaux sociaux… affolent complètement les hommes politiques. Je pense qu’ils perdent les pédales, car tout va trop vite et dans tous les sens.

La surmédiatisation a un effet négatif sur le temps nécessaire à la décision politique. Le problème de fond qui est posé par la surmédiatisation – et les principaux responsables sont les chaînes d’information en continu et Internet – c’est que tout va trop vite et que le politique pense qu’il n’a plus le temps de prendre une décision. La preuve, c’est que Manuel Valls a demandé à avoir le rapport samedi matin… et que tout s’est emballé le samedi matin même !

Je ne sais pas comment on va sortir de cette contradiction, car les médias sont dans une concurrence infernale entre eux et le politique est sous leur pression. D’autant que dans cette affaire-là, il y a moult contradictions, qui renvoient aux positions des socialistes sur l’immigration.

Un autre problème suscité par cette intervention a été le direct réalisé au même moment en direct du Kosovo par les chaînes d’information en continu. On y voyait Leonarda et sa famille réagir de manière virulente à la décision du président, l’accuser de mal faire son travail et expliquer qu’ils reviendraient de toute façon en France…

Les médias sortent de leur rôle, c’est clair. Ce qui est intéressant, c’est que la capacité médiatique aujourd’hui permet de faire « dialoguer » avec la même logique de visibilité une famille avec le président de la République. Les médias pensent qu’ils accentuent le jeu de la démocratie : je ne le crois pas. Il n’y a pas d’égalité entre une famille, quelle qu’elle soit, et le président de la République. Je ne dis pas que le président a raison ou que la famille n’a pas le droit de s’exprimer, mais pas dans ce pseudo face-à-face. Si on suit cette logique, vous aurez bientôt une chaîne de télé qui donnera une oreillette au président pour qu’il discute directement avec une famille !

Le fait que tout puisse être en direct aujourd’hui n’est pas une amélioration, ni de l’information ni de la démocratie. Parce que les temporalités, les responsabilités, les visions du monde ne sont pas les mêmes. Si grâce à la technique vous court-circuitez tout cela, il ne reste qu’un président isolé et une famille en furie. Et cela, c’est de la démagogie et ça fait le lit du populisme, qui veut que tout le monde soit égal avec le politique.

D’ailleurs, ce n’était même pas à François Hollande de réagir. Au Premier ministre, au pire, ou à Manuel Valls. Ils ont brûlé toutes leurs cartouches, là ! François Hollande et Manuel Valls, ainsi que Jean-Marc Ayrault qui apparaît comme… rien. Ils sont cramés tous les trois. En grande partie à cause de cet affolement médiatique. La surmédiatisation de tout fait qu’il faut énormément de courage aux hommes politiques pour résister. Et vous imaginez, en plus, le nombre de Tweets qui ont tourné depuis hier ?

Il faut que les médias comprennent qu’avec la puissance de feu technique qu’ils ont à leur disposition, ils peuvent arriver à pervertir complètement les progrès de l’information que représente l’information en direct. C’est un problème pour l’avenir de la presse : elle ne sera pas plus libre au fur et à mesure qu’elle pourra faire pression sur le politique en direct. Une information complètement en direct est une information dangereuse, car il faut savoir prendre un peu de distance. C’est d’autant plus valable pour les hommes politiques.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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