Electorat gay, bi et lesbien : la gauche n'a pas profité du mariage homosexuel<!-- --> | Atlantico.fr
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Les partis ayant soutenu la loi Taubira n'ont pas profité du vote homo et bi.
Les partis ayant soutenu la loi Taubira n'ont pas profité du vote homo et bi.
©Reuters

Mauvaise pioche

Une enquête Ifop montre que, contrairement aux idées reçues, les positions politiques des homosexuels n'ont pas changé au profit des partis ayant soutenu le mariage pour tous.

François Kraus

François Kraus

François Kraus est Directeur des études politiques au département Opinion de l'Ifop.

 

 

 

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A l’heure où le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur la question de l’objection de conscience des maires refusant de célébrer un mariage homosexuel, l’Ifop publie les résultats d’une étude permettant d’observer l’évolution des positions politiques de ces minorités sexuelles au cours des deux dernières années et plus précisément entre l’arrivée de François Hollande à Élysée (mai 2012) et la promulgation de la loi sur le "Mariage pour tous" (mai 2013). Réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 10 187 Français âgés de 18 ans – dont 615 individus s’identifiant comme homo ou bisexuel –, cette enquête s’avère particulièrement riche en surprises et en enseignements.

En termes de positionnement partisan, les résultats de notre enquête mettent en lumière trois grandes tendances :

I. Les partis de gauche ne tirent pas profit de leur action en faveur de l’égalité des droits en matière de mariage et d’adoption

- Si on observe toujours un léger tropisme à gauche des électeurs bis et homosexuels – 36% d’entre eux affirment leur proximité avec un parti de gauche contre 30% des hétérosexuels – , ce penchant est beaucoup moins marqué que ce que l’on pouvait mesurer à l’automne 2011 (50%) ou au printemps 2012 (44%), y compris au sein des électeurs exclusivement homosexuels : seuls 38% d’entre eux se disent proches d’une formation de gauche contre 45% en avril 2012.

- Certes, après un an et demi de pouvoir, cette désaffection à l’égard de la Gauche est un phénomène général qui touche toutes les catégories de la population. Mais il peut apparaître surprenant de voir que la proportion de personnes se disant proches d’une formation de gauche est autant en baisse chez les homosexuels (-7 points entre avril 2012 et octobre 2013 chez les gays et les lesbiennes) que chez les hétérosexuels (-5 points au cours des dix-huit derniers mois).

- Dans leur ensemble, les partis de gauche ayant soutenu la loi Taubira ne semblent donc pas avoir capitalisé politiquement dans le pan de l’électorat pourtant le plus concerné par ce projet. Dans sa composante exclusivement homosexuelle, il faut toutefois signaler que cette désaffection ne touche que les partis situés en-dehors de la majorité (LO, NPA, PCF, PDG,…) : la proportion de gays ou de lesbiennes se disant proches du PS (27%) ou d’EELV (6%) étant, elle, strictement la même qu’en avril 2012. Le vote du texte a donc permis à la Gauche de gouvernement de maintenir ses positions chez les homosexuels alors qu’elle était en fort recul dans l’ensemble de la population.

II. Les formations de la droite parlementaire ne pâtissent pas de leur opposition à la loi du "Mariage pour tous"

- Le déficit de sympathie de la droite modérée auprès des homosexuels tend à s’estomper si l’on compare la proportion de sympathisants d’une formation de droite dans leurs rangs (21%) avec celle qu’on observe chez les hétérosexuels (22%). Ce différentiel de sympathie entre « homos » et « hétéros » est donc aujourd'hui très faible (-1 point) par rapport à ce que l’on pouvait encore mesurer en 2012 (-5 point) ou en 2011 (-8 points).

- Toutefois, il est important de noter que cette atténuation du déficit de sympathie à l’égard des partis de la droite modérée (UDI, UMP, DLR, MPF,…) est moins le fruit d’un regain de popularité de ces formations auprès des « homos » (+1 point entre octobre 2011 et avril 2012), que d’une baisse du nombre « d’hétéros » affichant leur proximité pour un parti de l’ancienne majorité : -3 points en 18 mois, pour arriver à 22% de préférence partisane.

- Malgré son engagement contre la loi Taubira, la droite parlementaire maintient donc son assise sur cet électorat, mais sous une forme plus éclatée que dans le passé : le nombre de partisans de l’UMP baisse chez les « homos » (-2 points, à 14%) – comme d’ailleurs dans l’ensemble de la population (-3 points, à 17%) – au profit de l’UDI (6%), sachant que les prises de positions de certains de ses leaders (Rama Yade, Jean-Louis Borloo,…) en faveur du mariage gay n’y sont peut-être pas étrangères.

III. Le Front national bénéficie chez les électeurs bis et homosexuels d’une dynamique aussi forte que dans le reste de la population

Fait marquant, la sympathie pour le Front national est aussi forte, voire plus forte dans les rangs des personnes affirmant une part d’homosexualité (15% chez les homosexuels, 16% chez les bisexuels) que chez l’ensemble des Français (13%) : le mouvement lepéniste bénéficiant chez les électeurs homosexuels d’une dynamique aussi importante (+5 points entre avril 2012 et octobre 2013) que dans le reste de la population (+4 points chez les hétérosexuels durant la même période).

Cette progression du FN au sein des électeurs bis et homosexuels tient sans doute à la composition même de cet électorat – plus masculin et plus jeune que la moyenne, donc généralement plus disposé à voter lepéniste – mais aussi à sa concentration en milieu urbain et particulièrement en agglomération parisienne (26% des homosexuels y résident, contre 16% des hétérosexuels) où l'insécurité y est comme chacun sait plus élevée qu'en milieu rural : certains faits d'agressions de gays par des jeunes de cité ayant pu choquer une partie d’entre eux.

Plus largement, comme l’avait montré une enquête de l’Ifop pour Têtu, l'exposition des gays à un nombre d’agressions plus élevé que la moyenne peut expliquer leur sensibilité au discours sécuritaire du FN. Enfin, comme ce fut le cas aux Pays-Bas avec Pym Fortuyn – qui réussit à conjuguer défense de l’identité et libéralisme sociétal dans leur opposition commune à l'Islam –, l’hostilité du FN à l’égard de l’islamisme peut séduire des personnes pour qui cette religion peut apparaître comme une véritable menace contre leur mode de vie et les libertés en matière de mœurs.

A noter que cette dynamique de la formation populiste au sein de la population homosexuelle va de pair avec une désaffection plus large à l’égard du système politique et des partis dominants si l’on juge au nombre grandissant de gays et de lesbiennes refusant de se positionner politiquement : 19% en octobre 2013, contre 16% en avril 2012 et 12% en octobre 2011. Si on observe toujours chez eux une conscience politique plus aigüe – avec une capacité à se positionner politiquement plus élevée que la moyenne (81% des homosexuels se disent proches d’un parti, contre 71% des hétérosexuels) – , le débat sur le « Mariage pour tous » n’y a pas freiné une certaine tendance à la démobilisation politique.

Contrairement aux idées reçues, la séquence du mariage pour tous n'a ni vraiment profité aux partis de gauche, ni renforcé l'engagement politique des personnes les plus concernées par ce projet. Au contraire, on observe chez les Français affirmant une part d'homosexualité les mêmes tendances de fond que dans le reste de la population, à savoir une radicalisation de leurs positions et un certain désenchantement à l'égard des partis politiques. De même, le fait que la gauche n'ait pas capitalisé sur la loi Taubira auprès de cet électorat (Où le PS et les écologistes maintiennent leur position dans un contexte de baisse générale) tendrait à prouver que les positions des partis sur les questions de société n'ont qu'une importance secondaire dans les choix politiques, les homosexuels ne se distinguant pas sur ce point du reste de la population. En dépit de certaines représentations médiatiques, l’orientation sexuelle n’apparaît donc pas (ou plus) si structurante dans la détermination des comportements politiques. L'acceptation croissante de l'homosexualité par la société française – aussi bien dans la vie quotidienne que dans la législation – n’y est sans doute pas étrangère : les homosexuels ressentent dès lors peut être moins la nécessité de se mobiliser derrière les partis portant les revendications politiques de la communauté gay.

Méthodologie : Enquête réalisée du 24 mai au 11 octobre 2013 auprès d’un échantillon de 615 gays, bis et lesbiennes, extrait d’un échantillon national représentatif de 10 187 personnes âgées de 18 ans et plus.

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