Loi de finances pour les nuls : tout ce que vous ignorez (à tort) sur le budget de l'Etat<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Une tirelire japonaise en forme de bombe.
Une tirelire japonaise en forme de bombe.
©Reuters

Tout, tout, tout, vous saurez tout !

Le projet de loi de finances pour 2014 a été présenté mercredi matin en conseil des ministres, avant d'être examiné à l'Assemblée nationale.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

Voir la bio »

Point N°1 : la majorité du budget est consacrée à la continuité de l'Etat

Selon l'ordonnance du 2 Janvier 1959, les lois de finances exécutées pendant plus de 40 ans ont abouti à statufier le budget. Autrement dit, la part des "services votés" (qui correspondent à la continuité de l'Etat comme la rémunération des fonctionnaires, etc ) n'a cessé de croître pour atteindre plus de 82%. Autrement dit, les mesures nouvelles – dont les dépenses d'investissement – ne représentaient que moins de 18% du total.

Sous l'impulsion de la LOLF votée en 2001 et appliquée à compter de 2006, il a été tenté de se diriger vers une culture de résultats et non plus sur une seule logique dépensière. La nouvelle loi organique créé des PAP (Projets annuels de performance) qui recensent les actions à conduire et des RAP (Rapports annuels de performance) : ceci dans le but de procéder à l'évaluation des politiques publiques.

Hélas, ces rapports annuels restent des exercices de style et sont loin de la clarté cristalline des rapports de la Cour des comptes. Quant aux PAP qui sont un élément-clef du budget, ils s'articulent mal avec la trilogie instaurée par l'article 7 de la LOLF qui établit une nomenclature budgétaire par destination. En premier lieu se trouve définie une "mission" (objectif) ventilée en "programmes" qui sont à leur tour répartis en "actions". Sur le papier audacieux de la loi, cela paraissait un gage d'amélioration et d'efficacité. En fait, les observateurs s'accordent pour reconnaître que la possibilité de transformer des dépenses de fonctionnement en dépenses d'investissement et la latitude laissée aux gestionnaires au sein même des programmes a rendu encore plus complexe l'application des décisions de la loi de finances. Le marbre demeure !

A l'heure où nous savons tous qu'il faut rationaliser le budget et contenir la dépense publique, il devient chaque année plus nette que le bilan de la LOLF est plus mince que prévu et qu'elle se heurte au vieux principe de réalité que sont les services votés.

La France est loin de méthodes budgétaires comme le BBZ qui consiste à partir du budget base zéro et de véritablement valider, pierre par pierre, les dépenses utiles. Au lieu de cela, on a multiplié les budgets opérationnels et induit plus d'opacité.

Point N°2 : moins de 5% des dépenses sont consacrés aux investissements

Les chiffres n'ont pas été explicitement détaillés, à ce stade. Ainsi, le portail du gouvernement indique la montée en puissance du CICE parmi la politique d'investissement de l'Etat ce qui ne permet pas de conclure quant au montant exact de celui-ci. Il est évoqué que moins de 5% des dépenses iraient à l'investissement d'Etat, celui-ci se défaussant sur le poids incontestable des investissements des collectivités territoriales. Ce ricochet masque donc une politique étatique devenue lisse comme un galet et assez dépourvue d'ambition. Faute de marges de manœuvre, le budget n'est pas porteur d'un choc de type keynésien susceptible de venir épauler le reprise naissante.

Point N°3 : le poids de la dette, premier poste de dépense

La charge de la dette représente le premier poste de dépense de l'Etat avec un montant de 46,7 milliards qui repose sur un taux des OAT à dix ans de 3,5% pour 2014. Or ce mur d'intérêts est d'ores et déjà alimenté par le ciment toxique de la hausse des taux. Nous sommes ainsi passés en quelques mois de moins de 2% à 2,7% et la perspective – escomptée – d'un certain freinage de la politique monétaire accommodante des banques centrales ( FED puis BCE ) risque clairement de renforcer la hausse des taux à moyen terme. Le budget semble bâti sur une hypothèse sincère de prudence mais terriblement datée et déjà soumise à question.

Point N°4 : l'iceberg du hors-bilan

Les dépenses de l'Etat figurent au budget mais certaines sont inscrites en hors-bilan comme par exemple l'actualisation des pensions des fonctionnaires (et les provisions corrélées), les garanties d'emprunts accordées (par exemple à Dexia...). Il faut réaliser les proportions de l'iceberg puisque si la dette publique courante est de 1.800 milliards, le hors-bilan est à hauteur de 3.070 milliards d'euros. Bien sûr, notre pays a des actifs à placer en face de cette somme mais qui pourrait être satisfait de voir notre richesse nationale grevée d'hypothèques voire vendues ? Pour l'heure, les parlementaires vont travailler et se prononcer sur un budget de 379,9 milliards de dépenses (et 298,5 de recettes) et être contraint de laisser hors-contrôle le hors-bilan qui représente presque 10 fois le montant du budget. Il y a ici une question démocratique et d'efficacité publique.

Point N° 5 : des taxes affectées non soumises au contrôle du parlement

Les taxes affectées représentent l'ensemble des prélèvements réalisés directement par des entités aussi diverses que l'ADEME, les Voies navigables de France ou le Centre national du cinéma. Elles s'élèvent à 121 milliards en 2013 et augmentent nettement plus vite que les dépenses de l'Etat stricto sensu. Un rapport de début Juillet 2013 du CPO (Centre des prélèvements obligatoires) lié à la Cour des comptes préconisait d'urgence que 20 milliards d'euros (sur 121) soient rebudgétisés et ainsi soumis au contrôle du Parlement. Il conviendra d'examiner quelle part de ces taxes continueront à pouvoir jouer à cache-cache avec le législateur et à mépriser la procédure budgétaire.

Point N°6 : le sable du solde budgétaire

L'année 2014 démontre, comme bien d'autres auparavant, que l'exécution prévisionnelle du budget devrait conduire à l'apparition d'un solde budgétaire plus dégradé que prévu : -82,2 milliards d'euros sont d'ores et déjà inscrits soit 10,4 milliards de plus que pour 2013 (71,8 milliards). A ce stade, deux remarques : il aurait du, en sincérité comptable, être réalisé un PLF rectificatif (un collectif budgétaire) peu avant l'été plutôt que de voir le déficit oscillé entre une réalité et une définition dite au sens de Maastricht qui est plus stricte. Ainsi, la hausse du déficit pour 2014 a pour origine les 12 milliards engagés pour le financement des PIA (Programmes d'investissement d'avenir : annonce du Premier ministre de Juillet dernier) qui sont imputés dans le déficit budgétaire mais pas dans le déficit maastrichtien. Que de subtilités pour une réalité que le contribuable aura le loisir d'apprécier tandis qu'aucune explication des dérapages des soldes d'exécution ne sont valablement expliquées aux citoyens qui voient la dune de la dette se compléter de sable digne de celui que certains politiques leur jettent aux yeux.

Point N°7 : un budget technique, une éradication du politique

Le Parlement ne modifie qu'à la marge le travail du PLF présenté par l'Exécutif. C'est un fait depuis des décennies. Pour autant, notre situation très tendue des finances publiques oblige à constater qu'aucune ligne politique marquée ne se dégage du PLF 2014. Autrement dit, les contraintes imposent un réalisme froidement technicien et signe une éradication du politique. Oui, le budget est un acte majeur et il est certainement un exercice délicat cette année. Mais où est l'imagination qui pourrait desserrer l'étau des contraintes ? Monsieur Cazeneuve, homme parfaitement respectable, est clairement reconnu pour ses compétences en matière de défense nationale. S'improvise-t-on vice grand argentier en quelques mois ? La France du talentueux budgétaire que fût André Tardieu est loin. Depuis trente ans, elle aura connu des responsables budgétaires d'inspiration très inégale. Si Michel Charasse a su marquer son passage, que penser du Préfet Maurice Papon, dernier ministre du Budget du septennat de Valéry Giscard d'Estaing.....

Point N°8 : freinte fiscale, l'Etat se donne-t-il les moyens de contrôler ?

Entre l'évasion fiscale (la pure fraude), les questions de collecte, etc il a été récemment établi que plus de 32 milliards de TVA échappaient au dû fiscal. Il sera donc intéressant de voir, à la lecture détaillée du PLF, si l'Etat a bel et bien donné des moyens supplémentaires aux corps de contrôle. Quand la freinte atteint certainement 50 à 60 milliards, chacun s'accordera pour conclure qu'il ne serait pas excessif de renforcer les brigades adéquates. Ou alors, il n'y aurait qu'affichage et incantations ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !