La route vers la propriété est-elle barrée pour les jeunes générations ? <!-- --> | Atlantico.fr
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En France, seul 10% des propriétaires ont entre 25 et 34 ans.
En France, seul 10% des propriétaires ont entre 25 et 34 ans.
©Flickr

Locataires à vie

Les moins de 25 ans ne représentent que 4% des propriétaires en France. De 1985 à 2005, le taux de propriétaires accédants a été divisé par deux dans cette catégorie d'âge.

Atlantico : Au Royaume-Uni, le taux de propriétaires immobiliers chez les jeunes est à son plus bas niveau depuis les années 1980 selon le journal Daily Mail qui estime même que "les jeunes générations sont gelés sur le marché". Qu'en est-il en France ? Alors que le taux de chômage chez les 15-24 ans est de 24,6% au second trimestre selon les derniers chiffres publiés par l'Insee, la route vers la propriété est-elle barrée pour les jeunes générations ?

Fanny Bugeja-Bloch : Pour interroger les inégalités générationnelles face à la propriété, Il est important de bien distinguer les deux statuts de propriétaires, propriétaires endettés (ou accédants) et propriétaires non endettés. La question de l’accès à la propriété chez les jeunes suggère de se demander quelles sont les chances d’accéder à la propriété, le crédit, pour les nouvelles générations. Comme au Royaume-Uni, de 1985 à 2005, les taux de propriétaires accédants ont été divisés par deux chez les moins de 25 ans. Ils sont passés de 6% à 3,4% en France et de 38% à 23%. Ce qui est spectaculaire, ce n’est donc pas tant la baisse, comparable, mais bien davantage le fait que depuis 30 ans, la jeunesse française est totalement placée à la marge de la propriété et du crédit immobilier. Si l’on s’attache cette fois aux 25-34 ans, la proportion d’accédants, plus élevée, est, elle, passée de 27% à 31%.

Face à l’accès au crédit et à la propriété, les évolutions sont relativement stables et on ne peut donc pas parler de générations sacrifiées. Toutefois, les inégalités d’âge sont saillantes puisque l’ensemble d’une classe d’âge, les moins de 25 ans, en est exclue. 75% d’entre eux louaient en 2005 dans le secteur privé et 13% dans le parc social. Qu’en conclure ? Les jeunes préfèrent-ils la location, pour la mobilité qu’elle permet notamment ? Ou sont-ils relégués dans le secteur locatif à défaut d’accéder à un crédit immobilier ? Difficile de trancher. Néanmoins, il est clair que l’accès à la propriété nettement plus restreint chez les jeunes français que chez leurs homologues britanniques s’explique, pour partie, par la rigidité du système bancaire français et son système de crédit qui exige des revenus stables adossés à des contrats de longue de durée. Les difficultés croissantes et la précarité accrue que rencontrent les jeunes sur le marché du travail ne favorisent donc pas leurs chances d’accès à la propriété.

Philippe Crevel : Du fait des prix de l’immobilier qui ont doublé en dix ans en France, les primo-accédant éprouvent les pires difficultés pour acquérir un bien immobilier et cela concerne en premier lieu les jeunes qui des ont des revenus plus faibles et qui n’ont pas pu accumuler un patrimoine. Au barrage du prix, il faut ajouter un accès de plus en plus délicat au crédit.

Selon un sondage réalisé par OpinionWay, en 2013, 4% des possesseurs de leur résidence principale ont moins de 25 ans et 10% ont entre 25 et 34 ans. En revanche, les plus de 60 ans représentent plus de 40% des propriétaires français. Il faut savoir qu’à la retraite, plus des trois quarts des ménages détiennent leur résidence principale.

Les dépenses en logement ponctionnent une part croissante des revenus des jeunes. Plus de 22% des ressources des moins de 25 ans passent dans le logement, ce taux est de 18,5% pour les 25-29 ans contre 8,6% pour les 45-59 ans. Ce taux est même inférieur à 5% pour les retraités qui sont, en règle générale, propriétaire de leur résidence principale. L’effort financier pour se loger a augmenté surtout pour les jeunes car leurs revenus ne progressent pas voire régressent. De plus, la hausse de l’immobilier a surtout concerné les petites surfaces. Ainsi, en 1984, les jeunes de moins de 25 ans ne consacraient alors que 12,6% de leurs revenus au logement (source INSEE pour l’Observatoire des Inégalités).

Marché du logement bloqué, banques trop exigeantes, conditions économiques dégradées... Quelles sont les vrais raisons pour lesquelles les jeunes sont exclus de l'accès à la propriété ?

Fanny Bugeja-Bloch : Au début des années 80, les jeunes adultes n’étaient pas davantage propriétaires, en revanche, ils louaient plus souvent dans le parc social qu’aujourd’hui (plus de 30% d’entre eux en 1980 contre 13% en 2005). Leur configuration familiale, plus souvent des familles nécessitant des logements plus grands, était effectivement adaptée à ce parc. Aujourd’hui, l’accès facilité aux études supérieures mais aussi la précarisation de leurs conditions de travail (multiplication des contrats temporaires) et la hausse particulièrement inédite du taux de chômage pour cette d’âge retardent leur entrée dans une vie professionnelle et familiale stable et, dans le même temps, leur projet immobilier. Le profil de la jeunesse actuelle, avec un mode de vie plus solitaire, a changé et complique encore l’accès au crédit. Bien que les critères bancaires et les conditions d’accès au crédit n’ont pas significativement évolué (ils se sont plutôt assouplis jusqu’à la crise des subprimes pour se durcir ensuite), les caractéristiques familiales et professionnelles des jeunes foyers d’aujourd’hui constituent autant de barrières nouvelles pour accéder, tôt, à la propriété.

Philippe Crevel : Avec la crise, la précarité de la situation professionnelle des jeunes s’est accrue conduisant les banques à multiplier les garanties. Depuis la crise de 2009 et surtout à partir de 2012, les banques demandent, en effet, des apports personnels de plus en plus importants pour octroyer des prêts. L’apport personnel représente entre 10 et 20% du montant du prêt. Il a augmenté de plus de 7% en 2012 après enregistré une hausse de 10% en 2011. Par définition, du fait qu’ils n’ont eu le temps de se constituer un patrimoine, ce sont les jeunes qui sont les plus affectés par cette demande accrue d’apport. En outre, les banques répugnent de plus en plus à prêter au-delà de 15 ans ce qui pénalise, une fois de plus les moins de 30 ans. Ainsi, si en 2007, les prêts de plus de 15 ans représentaient 33% des prêts pour le logement, ce taux est tombé à 16% en 2012 (chiffres : Observatoire Crédit Logement). Malgré la baisse des taux d’intérêt, les moins de 35 ans sont contraints de différer l’acquisition de leur résidence principale. En 2007, 52% des emprunteurs avaient moins de 35 ans, en 2012, ce taux est passé à 47%.

Le prix constitue le principal facteur d’explication d’exclusion des jeunes avec la faiblesse de leurs revenus en relation avec la difficulté croissante de leur insertion professionnelle. La dernière enquête de l’INSEE sur les niveaux de vie souligne que le taux de pauvreté des jeunes a progressé ces dernières années. Il est passé pour les 18-29 ans de 17,7 à 19,4% de 2011 à 2012 soulignant que les jeunes figurent bien dans les principales victimes de la crise. Les banques qui sont confrontées à des exigences accrues de fonds propres réduisent leur exposition aux risques ce qui nuit évidemment aux jeunes.

Quels problèmes ce phénomène peut-il poser à moyen et long terme ?

Fanny Bugeja-Bloch : En 30 ans en France, les locataires se sont paupérisés et les propriétaires se sont enrichis. Or, si les positions sur le marché du logement, entre propriétaire et locataire, sont en soi source d’inégalités - les uns se constituent un patrimoine transmissible ou mobilisable en vue de la retraite, les autres pas – elles sont le vecteur d’inégalités plus larges. De fait, lorsque le crédit est remboursé, les propriétaires voient nettement diminuer le budget consacré au logement. Autrement dit, aux inégalités d’accès à la propriété s’ajoutent des inégalités pour faire face au coût du logement. Sur ce point, alors qu’en 20 ans, la contrainte budgétaire des propriétaires (endettés ainsi que non endettés) est restée stable, celle des locataires (du secteur privé) a augmenté de près de 70%. Autrement dit, les jeunes et les plus modestes subissent, seuls, les conséquences du renchérissement du logement. Et cette pression du coût du logement n’est pas négligeable puisqu’elle affecte la consommation de ces ménages et donc leur mode de vie. Plus que les inégalités d’accès à la propriété des jeunes, c’est donc le clivage de plus en plus marqué entre propriétaires et locataires qui pose problème : il renforce les inégalités de revenus et de patrimoine et favorise la reproduction sociale.

Philippe Crevel :Le problème de l’accession au logement pour les jeunes les contraint soit à demeurer chez leurs parents plus longtemps, soit de recourir à la colocation. La pénurie de logements estimée à un million freine la mobilité, empêche de nombreux couples de s’installer et contribue au mal-être général des Français. De nombreux actifs et tout particulièrement les jeunes perdent plusieurs heures par jour dans les transports en commun faute de pouvoir un logement à proximité de leur travail. Les Français consacrent une part très importante de leurs revenus au logement soit sous forme de loyers, soit sous forme de remboursement d’emprunts ce qui réduit d’autant leur capacité de consommation ou d’investissement.

Quelles réformes seraient nécessaires pour faciliter l'accès à la propriété à la jeune génération ?

Fanny Bugeja-Bloch : L’urgence est répondre au besoin de loger toute la population dans des conditions décentes et à des prix abordables. Néanmoins, il semble important dans une optique de plus long terme de résoudre cette fracture entre propriétaire et locataire. Ceci implique de revaloriser le statut de locataire, par les coûts qu’il suppose et par la mobilité qu’il permet par exemple. La fin du mécanisme de cautionnement et l’encadrement des loyers œuvrent notamment dans cette optique.

Philippe Crevel : Les prix de l’immobilier doivent baisser en France afin d’être en adéquation avec le pouvoir d’achat des Français. Par ailleurs, l’immobilier accapare une part trop importante du patrimoine de la France au détriment de l’économie productive.

En France, la tentation est de réglementer le marché de l’immobilier. Jusqu’à maintenant, toutes les tentatives ont échoué. La création de dispositifs fiscaux incitatifs visant à faciliter l’acquisition de biens immobiliers a contribué à la hausse des prix et bien souvent à ceux qui étaient propriétaires.

L’actuel gouvernement tente de jouer sur le rendement locatif en fixant des plafonds de loyer. Il promeut également des formes alternatives à l’accession de la propriété en voulant promouvoir l’habitat participatif ou coopératif. Le projet de loi Duflot sur le logement en cours de discussion sous couvert de bonnes intentions, entretient la pénurie en stigmatisant les propriétaires. Il ne fera que compliquer un peu plus le droit immobilier avec ses deux cents pages et ses 84 articles initiaux.

Faut-il développer une France de propriétaires au risque de freiner la mobilité de la population ou faut-il faciliter la location ? Si l’aspiration profonde des Français est de devenir propriétaire, il n’est pas certain que ce soit toujours rationnel sur un plan financier. Evidemment, l’étroitesse du parc locatif privé réduit le champ des possibles, les Français ayant le choix entre le logement social ou l’accession à la propriété. Aujourd’hui, le logement social est perçu soit comme une position d’attente avant l’accession à la propriété soit comme une échappatoire subie pour se loger à coûts raisonnables.

La crise du logement dépasse de loin, en France, le problème d’accès des jeunes. Du fait d’une population en augmentation, le besoin en logements est naturellement plus élevé que chez nos partenaires européens qui sont en déclin démographique. Par ailleurs, la forte croissance du nombre de divorces et la recomposition des familles conduisent à un accroissement de la pression sur l’immobilier. En outre, la population française se concentre de plus en plus dans quelques grandes métropoles dont Paris ainsi que le long des façades maritimes. La réglementation a, ces dernières années, contribué à la pénurie en renchérissant les coûts de construction et en limitant le foncier disponible.

Les solutions ne passent pas par l’encadrement des prix, des loyers ou par les logements sociaux qui génèrent des ghettos dont nous pouvons constater les conséquences avec les quartiers nord de Marseille. Il faudra, sans nul doute, densifier un peu plus les constructions en centre-ville en acceptant de construire des immeubles de plus grande taille et surtout favoriser le développement de nouveaux centre économiques pour obtenir une meilleure répartition de la population.

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