Bizarreries géographiques : pourquoi le Mont-Blanc n'est pas en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Mont Blanc.
Le Mont Blanc.
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Bonnes feuilles

Il existe de nombreux morceaux de terre au statut à part, parfois étrange voire carrément loufoque. Extrait de "Le Mont-Blanc n'est pas en France ! Et autres bizarreries géographiques" (1/2).

Oliver Marchon

Oliver Marchon

Oliver Marchon est réalisateur indépendant.

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A quelle nationalité pourrait prétendre un enfant né au sommet du mont Blanc ? Française ou italienne ? Cette question saugrenue méritera encore et toujours d’être posée tant que la souveraineté de la plus haute montagne d’Europe continentale ne sera pas établie de manière certaine.

Énonçons-le simplement : les Français pensent que le mont Blanc se trouve en France alors que les Italiens prétendent que la frontière passe exactement au sommet, partageant équitablement la montagne mythique entre les deux pays. La question ne serait pas aussi intéressante s’il n’était aussi un peu question de prestige national. Posséder le toit de l’Europe sur son territoire, ça en jette. À ce jour, personne n’est né au sommet du mont Blanc. Et c’est probablement pour cette raison qu’aucun gouvernement, français ou italien, n’a pris la peine de régler définitivement ce désaccord qui dure pourtant depuis cent cinquante ans.

Mais pour retrouver les sources du problème, il faut d’abord remonter à la Révolution française. À l’époque, la nation est en guerre contre l’Europe entière (ou presque) et n’en finit pas de repousser de féroces soldats. En 1792, la France envahit le duché de Savoie, alors possession du royaume de Sardaigne, et y crée en lieu et place le département du Mont-Blanc. La montagne, escaladée pour la première fois six ans plus tôt, fait intégralement partie de ce nouveau département français. Après la défaite de Waterloo en 1815, le Premier Empire disparaît et la France perd des territoires. Retour à la case départ : la France rend toute la Savoie au royaume de Piémont-Sardaigne. Adieu mont Blanc. Adieu département. Bonjour monte Bianco.

En 1855, Victor-Emmanuel II, roi de Piémont-Sardaigne, cherche à unifier l’Italie, mais l’Autriche voit son projet d’un mauvais oeil. Le roi cherche alors des soutiens diplomatiques et militaires. Napoléon III les lui donne contre la promesse secrète de l’octroi de territoires. La guerre a bien lieu et les Autrichiens sont battus à Montebello, à Magenta et à Solferino par les Piémontais, aidés des Français. La promesse secrète est tenue en 1860 : par le fameux traité de Turin, le comté de Nice et la Savoie passent sous contrôle français. L’affaire fait grand bruit : l’immense Garibaldi, natif de Nice, allié de Victor-Emmanuel et artisan décisif de l’unité italienne, se sent trahi. L’armée piémontaise a fait tracer précisément la frontière entre le duché d’Aoste, qui reste dans son giron, et le duché de Savoie, qui devient donc français. La carte de cette frontière, qui passe au sommet du mont Blanc, est jointe au traité.

Pourtant, dès 1865, reprenant probablement les limites du département de 1792, l’armée française édite des cartes incluant le mont Blanc dans la Savoie. Depuis, ce tracé est repris : encore aujourd’hui, le très sérieux Institut géographique national le reproduit sur toutes ses cartes, et le monde entier semble avoir pris le parti de la vision française : les cartes en ligne de Google mettent bien le mont Blanc intégralement en France.

Cependant, les Italiens tiennent bon : leurs cartes respectent bien la frontière prévue par le traité de Turin. La divergence entre la France et l’Italie est évidente, mais l’affaire ne semble pas une véritable priorité diplomatique pour les autorités des deux pays. On a bien créé une commission binationale chargée de travailler sur le sujet en 1988. Une voix s’élève de temps en temps au parlement italien pour évoquer le problème. La Commission européenne a même été questionnée à ce propos.Mais chaque initiative s’est soldée par un échec.

Tout porte à croire que, effectivement, « personne ne souhaite faire de ce problème une dispute territoriale anachronique », comme le dit Lamberto Dini, ancien ministre italien des Affaires étrangères. Message reçu. Le traité de Turin, c’est de l’histoire ancienne… et c’est même presque une histoire oubliée, si on en juge par une erreur diplomatique et administrative que la France commet au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

En 1947, en effet, la France signe avec l’Italie vaincue le traité de Paris par lequel on règle moult détails de frontières, d’indemnisations et de relations bilatérales futures. Charge à la France, dans les six mois, d’annexer à ce traité et d’enregistrer à l’ONU les anciens accords franco-italiens qu’elle souhaite voir s’appliquer à l’avenir. Le traité de Turin ne sera jamais enregistré.

Encore aujourd’hui, la France ne peut s’y référer devant les Nations unies. Il n’en fallait pas plus pour les activistes savoyards qui voient là l’occasion de faire parler d’eux. Quelques-uns d’entre eux refusent aujourd’hui de payer leurs impôts ou contestent la réalité des amendes délivrées par la police ou la gendarmerie française. Le raisonnement est simple : l’oubli de l’enregistrement du traité de Turin rendrait illégale la souveraineté française en Savoie. Dès lors, il est permis d’imaginer autre chose : indépendance, autonomie ou rattachement de la Savoie à l’Italie.

A contrario, on peut arguer, comme l’a fait un tribunal de Chambéry à l’encontre d’un indépendantiste savoyard refusant de payer ses impôts, que le traité n’a « pas été signé avec l’Italie mais avec le roi de Sardaigne », et que « l’applicabilité d’un traité signé en 1860 ne saurait dépendre d’un enregistrement auprès d’une institution créée près de quatre-vingt-cinq ans plus tard ». Le lecteur se fera son opinion.

En attendant, on ne sait toujours pas de quelle nationalité est le mont Blanc. Et il paraît que les fameuses cartes de l’armée piémontaise annexées à l’exemplaire français du traité de Turin ont disparu pendant la guerre. Devant le refus des gouvernements de se rencontrer pour en discuter, l’affaire n’est pas prête d’être réglée…

Extrait de "Le Mont Blanc n'est pas en France ! Et autres bizarreries géographiques", Olivier Marchon, (Editions du Seuil), 2013, ISBN : 9782021074215, 14,50 euros. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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