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Libye : le mythe de la guerre rapide
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Révolutions arabes

Après avoir reçu ce mercredi à l'Élysée le président du Conseil national de transition, Nicolas Sarkozy étudierait la possibilité d'un déplacement en Libye. Sur le terrain, les insurgés marquent le pas tandis que la coalition poursuit ses frappes aériennes. Premier bilan, plus d'un mois après le début de l'intervention militaire, par le Général Pinatel, l'ancien patron du SIRPA (Service d'Information et de Relations de Presse des Armées).

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Sur le plan de la politique intérieure, il faut reconnaître que sans le volontarisme et la prise de risque de Nicolas Sarkozy, le savoir-faire d’Alain Juppé et de la diplomatie française, Benghazi serait tombé et des milliers de civils auraient été massacrés sous nos yeux. On aurait assisté à l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés sur les côtes européennes au lieu des quelques dizaines de milliers actuelles. A un an d’une élection présidentielle, l’attitude responsable de la plupart des leaders de l’opposition de gauche doit aussi être soulignée.

Le temps politique et médiatique n'est pas le temps militaire

Sur un plan strictement militaire, ce que l’on savait déjà est confirmé. Un combat se gagne au sol, notamment parce que les objectifs des guerres modernes ne sont plus le plateau de Pratzen, le pont d’Arcole ou la Moscova mais les villes où sont regroupées la majorité de la population et de l’activité économique. L’arme aérienne, si l’on veut limiter autant que faire se peut les dégâts collatéraux sur la population civile, ne peut jouer un rôle décisif dans le combat urbain même si ses interventions sont guidées depuis le sol par des spécialistes.

Comme on l’a vu à Abidjan, en ville, ce sont les hélicoptères armés qui sont les plus efficaces mais ils ne peuvent intervenir qu’à partir de lignes amies bien définies. Enfin, on constate une fois de plus que le temps politique et médiatique n’est pas le temps militaire : on parle déjà d’enlisement moins d’un mois après la première frappe, alors qu’il faut deux mois d’instruction pour doter un soldat d’une formation élémentaire et six mois pour un spécialiste ou un chef de section. C’est le rôle que devraient jouer les conseillers militaires anglais, italiens et français dont l’envoi vient d’être décidé à la demande du CNT.

Une Europe sans voix dans la crise libyenne

Mais c’est sur le plan international et géopolitique que les enseignements sont les plus riches. Comme le constate Alain Lamassoure [1] : « Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe s’est mise comme en-dehors de l’Histoire, toute préoccupée par son unification pacifique et par sa propre organisation interne. C’était sans doute une étape inévitable. Mais le reste du monde ne nous a pas attendus, ni économiquement, ni stratégiquement, ni politiquement. Nous nous réveillons encore divisés, marginalisés, comme étrangers dans un siècle dont, pour la première fois depuis longtemps, nous ne fixons plus les règles, ni les principes ».

L’Europe qui dispose désormais d’un Haut représentant pour la politique étrangère, et d’un véritable service diplomatique, présent dans plus de cent cinquante pays est restée malheureusement sans voix dans la crise libyenne, ou pire, sa voix est restée inaudible.

Pour une défense européenne autonome

Bien plus, on a pu constater les freins à l’action que constitue le « Machin OTAN » comme l’écrit Bernard-Henri Lévy [2] et le fait que la Turquie qui n’est pas européenne en fasse partie. Je ne suis pas loin de penser comme le « groupe Libyan Revolution Feb 17 » qui écrit  sur sa page Facebook : “La Turquie bloque l’OTAN et l’OTAN bloque les forces révolutionnaires, en les empêchant d’utiliser leurs avions et leur artillerie. En conséquence, aucune contrainte n’est exercée sur Kadhafi. La Turquie est tranquillement en train d’empêcher la mise en application de la résolution 1973 en recourant à des manœuvres de piétinement pour gagner du temps au profit de Kadhafi et imposer un cessez-le-feu de facto, dans l’espoir de créer des conditions si désespérées qu’un accord de conciliation doive être trouvé sous ses auspices ».

Il est plus que temps que les leaders européens assument leur histoire et les impératifs géopolitiques du XXIe siècle qui rendent essentiel le développement de forces militaires européennes autonomes. Ce qui suppose la dissolution ou l’européanisation de l’OTAN par le départ des militaires américains et turcs qui doivent rester nos alliés. C’est la condition essentielle pour avoir les moyens de défendre nos intérêts dans les affaires du monde et de maîtriser notre sécurité et notre développement économique qui sont intimement liés comme le montrent les crises et les conflits qui se développent à nos frontières.


[1] Préface de mon dernier livre Russie Alliance vitale (Choiseul, 2011)

[2] Le Point, 14 avril, page 142

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