Production à la traîne et salaire des cadres au point (presque) mort : la France est-elle en train d'entrer dans le dur de la crise quand les autres en sortent ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les indices PMI sont en nette amélioration à l’échelle de la zone euro alors qu’ils replongent en France".
"Les indices PMI sont en nette amélioration à l’échelle de la zone euro alors qu’ils replongent en France".
©Reuters

French touch

L'industrie française a de nouveau connu une détérioration de son activité selon les derniers indices PMI et les salaires des cadres ont vu leur croissance diminuer. Pendant ce temps, certaines économies voisines voient ces mêmes indicateurs apporter de bonnes nouvelles.

Marc Touati et Jean-Charles SImon

Marc Touati et Jean-Charles SImon

Marc Touati est économiste et président fondateur du cabinet ACDEFI (aux commandes de l'économie et de la finance). Il s'agit du premier cabinet de conseil économique et financier indépendant au service des entreprises et des professionnels. Il a lancé en avril 2013 la pétition en ligne Sauvez La France.com

Il est également l'auteur de Quand la zone euro explosera, paru en mars 2012 aux Editions du Moment. Son dernier livre est Le dictionnaire terrifiant de la dette (Editions du moment, mars 2013).


Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Il a été Chef économiste et Directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013.

Auparavant, il a été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR et, pendant 10 ans, dirigeant d'organisations patronales, notamment comme directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter

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Atlantico : L'indice PMI manufacturier français d'août - qui reflète le niveau d'activité dans ce secteur - est ressorti à 49,7, ce qui correspond à une détérioration. Dans le même temps, les salaires des cadres voient leur croissance diminuer après deux années de hausse confortable, selon une étude Expectra publiée par Le Figaro. La France est-elle en train d'entrer dans le dur de la crise ?

Marc Touati Le plus inquiétant réside dans le fait que les indices PMI des directeurs d’achat sont en nette amélioration à l’échelle de la zone euro alors qu’ils replongent en France. Et ce, tant dans l’industrie que dans les services. Autrement dit, si la zone euro est bien en train de sortir péniblement de la récession, la France pourrait y revenir assez rapidement.

La France est bien entrée dans le « dur de la crise », dans la mesure où désormais la crise n’est plus seulement économique, mais sociale, avec notamment un chômage élevé, en particulier pour les mois de 25 ans (26% en juillet selon les statistiques d’Eurostat). Si la France a été jusqu’à présent épargnée, c’est notamment grâce aux nombreuses aides publiques qui masquent la réalité. Seulement voilà, pour financer ces dernières, il a fallu encore augmenter les impôts, ce qui a eu pour conséquence d’affaiblir encore un peu plus l’activité.

Les quelques chiffres qui ont montré une amélioration de l’activité indiquent simplement que cette dernière a connu un petit rebond correctif lié à l’ampleur de la faiblesse passée. Pour autant, la croissance reste autour des 0%, ce qui est donc loin d’une véritable reprise, qui ne commence qu’à partir de 2 % de croissance.

Jean-Charles Simon : L’indice PMI manufacturier en août est certes ressorti en-dessous de 50 en France… mais à son plus haut niveau depuis février 2012, et même depuis deux ans si on exclut ce mois-là où il avait été de 50 tout rond. La déception est plutôt l’absence d’amélioration de l’indice par rapport à juillet alors qu’elle est très nette ailleurs en zone euro. Mais ce type de décalage sur un mois n’est pas alarmant, et l’écart était beaucoup plus net, en défaveur de la France, en début d’année. On peut donc espérer une amélioration progressive au cours des prochains mois s’il n’y a pas de rechute de l’économie à l’échelle internationale ou même européenne. En revanche, il y a un décalage entre l’évolution conjoncturelle macroéconomique d’ensemble, d’une part, ce que vivent beaucoup de secteurs pour des raisons différentes (décalage cyclique structurel ou effets de mesures spécifiques) et plus encore le climat social, d’autre part. C’est le cas des salaires, comme vous l’évoquez, dont l’évolution est souvent en retard sur le cycle d’activité, et bien sûr de l’emploi.

Quels autres indices permettent de penser que la France pourrait continuer de s'enfoncer dans la crise ? Quelles sont les difficultés persistantes que l'hexagone n'est pas parvenue à éradiquer ?

Jean-Charles Simon : Les derniers indices permettent de penser qu’un redressement est en cours, même s’il est encore bien modeste. On l’a vu en matière d’activité avec la croissance de 0,5% du PIB au deuxième trimestre (donc près de 2% en rythme annuel), sûrement un peu trop flatteuse pour être vraiment significative. Mais c’est le cas également de toute une batterie d’indicateurs récents comme les PMI déjà évoqués ou la dernière enquête mensuelle de l’Insee dans l’industrie, avec une évolution favorable du climat des affaires et de l’indicateur de retournement, tous deux au plus haut depuis 2011. Pour autant, on est au mieux sur une pente de croissance très limitée. Parmi les difficultés persistantes, tout laisse à penser que le marché de l’emploi aura du mal à s’améliorer rapidement dans les prochains mois. C’est un classique : l’emploi reprend et le chômage diminue quelques mois ou trimestres après le point bas de l’activité. Plus fondamentalement, c’est vraiment l’effet de cycle, qui n’est d’ailleurs pas du tout limité à la France, qui explique l’amélioration dont on peut espérer qu’elle se confirme. Mais rien de réellement structurel n’a été entrepris, qu’il s’agisse du marché du travail ou des dépenses publiques. Et une reprise limitée et presque mécanique comme celle que l’on peut anticiper est naturellement très vulnérable en cas de choc externe défavorable (événements géopolitiques, nouvelle fragilité du système financier, ralentissement prononcé aux Etats-Unis ou dans les grandes économies émergentes…). 

Marc Touati : Les indicateurs PMI dans l’industrie et les services sont toujours sous la barre des 50 et montrent donc clairement que la France est toujours proche de la récession. De même, la dernière enquête de l’Insee auprès des chefs d’entreprises industrielles français indique que ces derniers ont l’intention de baisser leurs investissements en valeur d’au moins 6 % cette annéeOr, s’il n’y a pas d’investissement, les destructions d’emplois se poursuivront et le chômage augmentera davantage.

D’ores et déjà, il faut savoir que l’emploi a encore baissé au deuxième trimestre 2013. En outre, les immatriculations de voitures neuves sont reparties à la baisse. Enfin, les taux d’intérêt des obligations d’Etat ont repris le chemin de la hausse, menaçant par là même l’investissement, la croissance et l’emploi pour les trimestres à venir.

Comment cette situation va t-elle pouvoir impacter les Français au quotidien ?

Jean-Charles Simon : A court terme, beaucoup de Français risquent de ne voir la sortie de crise que dans les statistiques. Tandis que leur situation personnelle pourrait stagner ou même se détériorer. Modulo les « patchs » du type emplois aidés, l’emploi devrait rester sinistré tant que le rebond de l’activité ne sera pas clairement confirmé, les entreprises étant particulièrement prudentes en sortie de crise, surtout dans un pays où le marché du travail reste très rigide. Ce qui peut se traduire par une certaine détérioration des situations les plus difficiles, comme le montrent les dernières statistiques du chômage : même si le flux net de nouveaux chômeurs se réduit ou devient légèrement négatif, il y a davantage de chômeurs de longue durée, non indemnisés et de personnes sorties du marché du travail. Ce sont les douloureux effets de traîne d’une crise aussi forte et prolongée. Par ailleurs, la légère amélioration de la situation économique devrait peser sur l’inflation et les taux d’intérêt, qui étaient au plus bas ces derniers mois. Ce qui ne facilitera pas la vie des ménages… ni de l’Etat, qui a bénéficié de taux particulièrement favorables pour se financer. C’est d’ailleurs l’un des plafonds naturels à la reprise actuelle : le reflux progressif des soutiens massifs apportés à l’économie par les politiques monétaires et budgétaires au plus fort de la crise, qui ne peuvent durer éternellement, rend peu crédible le scénario d’une amélioration rapide. Les politiques monétaires devront se normaliser. Et il y a plus d’impôts et/ou moins de dépenses publiques d’accompagnement, car il faut revenir à des niveaux de déficit plus acceptables. Par son incapacité chronique à réduire ses dépenses publiques, la France a choisi de faire peser quasiment tout l’effort d’ajustement sur l’impôt, ce qui handicape un peu plus la dynamique de croissance.

Marc Touati : Le vrai drame réside dans la poursuite de la hausse du chômage. Certes, les emplois aidés, dits « emplois d’avenir » limitent les dégâts mais ils ne constituent qu’un palliatif temporaire, bien loin de pouvoir permettre une inversion durable de la tendance haussière du chômage.

Le vrai gros problème sera donc le chômage. Celui-ci va encore entraîner une baisse du pouvoir d'achat des ménages, donc de leurs dépenses notamment de consommation. Ce mouvement va être aggravé par l'augmentation des taux d'intérêt, qui va encore freiner l'emploi, donc les salaires et le pouvoir d'achat et la consommation... et le cercle pernicieux peut malheureusement durer encore longtemps.

Selon beaucoup d'économistes, la France pourrait connaître une longue phase de stagnation. Cette dernière peut-elle être plus dure à traverser qu'une récession violente mais dont l'économie ressort plus vite pour rebondir ?

Jean-Charles Simon : La perspective d’une longue phase de stagnation est en effet une thèse répandue, et pas seulement pour la France. L’article de Robert Gordon publié à l’été 2012, ou dans un autre registre les travaux de Rogoff et Reinhart comparant cette crise et les précédentes, ont ravivé les débats sur le déclin des rythmes de croissance ou de reprise, qu’il soit considéré comme tendanciel ou circonstanciel. De fait, l’après-crise paraît marquée par une faible reprise dans beaucoup de zones économiques. Tandis que l’effet de levier très élevé qui alimentait la croissance avant 2008 paraît aujourd’hui proscrit.

Quoi qu’il en soit, une récession violente mais passagère peut être effectivement moins douloureuse à traverser qu’une longue phase de stagnation, surtout si la démographie est dynamique et justifierait autant qu’elle nécessiterait une croissance soutenue. Plus la croissance d’une économie est longtemps en retrait de son potentiel, plus les effets sont délétères sur l’insertion dans l’emploi ou encore les investissements productifs. Et pour la France, qui est confrontée à des niveaux exceptionnels de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires, c’est aussi une mise à l’épreuve de plus en plus violente de son modèle social, qui ne serait à peu près viable qu’en période de très forte croissance. En choisissant de le rafistoler au fil de l’eau plutôt que de le réformer en profondeur, le risque est de ne rien résoudre tout en créant un sentiment de délitement qui sape un peu plus la confiance des agents économiques.

Marc Touati : Au cours des six dernières années, la croissance annuelle moyenne du PIB français (hors inflation bien sûr) a été de 0%. Cela fait donc déjà six ans que la France stagne et elle devrait continuer de le faire tant que les impôts ne seront pas abaissés, que les dépenses publiques de fonctionnement ne seront pas réduites et que l’euro sera supérieur à 1,15 dollar.

Et ce sans parler des soubresauts géopolitiques (Syrie et autres) et financiers (risques de nouvelle dégradation de la France dans les prochains mois à cause de la réforme a minima des retraites) qui pourraient susciter de nouvelles baisses du PIB. L’économie française est donc loin d’être sortie de l’auberge et demeure très fragile.

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