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Ces raisons qui permettent de douter sérieusement qu'il y ait autant de retour de capitaux exilés que le gouvernement prétend
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Enfumage

Selon les chiffres communiqués par Bercy, depuis la circulaire du 21 juin précisant les modalités de retour des capitaux exilés, 1 100 dossiers ont été déposés, soit autant que sur les deux dernières années.

François Tripet

François Tripet

François Tripet est avocat fiscaliste.

Avocat au Barreau de Paris depuis 1978, il est essentiellement un " patrimonialiste international " qui, avec son équipe, apporte son concours et son assistance à plus d'un millier de familles réparties sur les cinq continents.

François Tripet est l'auteur de l'ouvrage de réference "Droit Fiscal Francais et Trusts patrimoniaux Anglo-saxons " ( LITEC, 1989 )

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Je mets formellement en doute le chiffre de 1 100 dossiers annoncés pour la simple et bonne raison que les dossiers sont traités par la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) dirigée par Madame X. Elle n’a pas l’ombre d’un début de commencement de fonctionnaire pour traiter quelque dossier que ce soit, elle n’a aucune logistique. Nous avons rencontré Mme X il y a un mois et demi et elle a exprimé le souhait d’avoir quelques fonctionnaires à sa disposition pour ses nouvelles fonctions dans le courant de fin septembre-début octobre. Quand on me parle de plusieurs centaines, voire plus d’un millier de dossiers en cours de traitement, je crie à la pure intoxication. Ces dossiers ne peuvent même pas être considérés comme en souffrance, car ils n’ont même pas pu être accueillis. La DNVSF est composée de fonctionnaires déjà largement occupés et personne ne peut prendre en charge ces dossiers. On est donc dans la pure manipulation médiatique. Quand j’entends dire de certains médias, qui tiennent bien sûr leurs informations des services de presse de Bercy, que des centaines de dossiers se ruent au portillon, c’est une manipulation du ministère des Finances, en vue justement d’assurer un minimum de succès à cette opération.

Pourquoi ? Parce que cette circulaire Cazeneuve pose des problématiques ardues. Je ne rentre pas dans les détails, mais l’article 123bis du Code général des impôts indique que quand on interpose les structures offshore entre le compte bénéficiaire et le bénéficiaire final, vous avez une multiplication des pénalités et des amendes. Le total de l’ensemble de ces pénalités aboutit à de tels montants que cela risque de faire échouer toute régularisation. Les simulations que nous avons faites en mai nous ont amené à un coût de régularisation qui ne serait pas inférieur à 70%. A ce montant-là, Bercy s’interroge sur les possibilités réelles du succès de cette "opération régularisation".

En effet, à un tel montant, le risque est que les personnes en situation irrégulière préfèrent continuer à être dans la clandestinité plutôt que de perdre 70% de leurs avoirs. Et si l’échec est flagrant, la variable d’ajustement c’est le ministre du Budget en personne. Ces 70% sont une estimation sérieuse. Prenons un exemple. Une nouvelle loi votée il y a un an indique que si vous n’avez pas les pièces justificatives de la somme que vous rapatriez, vous payez déjà 60%, avant toutes pénalités et amendes. Ensuite, vous avez les intérêts de retard, les amendes etc. Vous pouvez donc vous retrouver à 70% voire 80% ou 90% sans vous en apercevoir. Quelqu’un qui souhaiterait donc régulariser, et qui avait mal compris quand on lui parlait de 15%, pensait que ces 15% étaient tout ce qu’il y avait à payer. Mais ce sont en fait juste les pénalités, qui ne comprennent pas l’impôt sur le revenu, l’ISF, la CSG, la CRDS, les intérêts de retard, les pénalités de retard et les amendes. Au début de l’été, on a entretenu l’idée que les régularisations coûteraient 30% des fonds rapatriés, et seulement 15% si c’était une situation de fonds "passifs" comme pour un héritage. Mais c’est une totale imposture : ce ne sont donc que les amendes qui représentent selon les cas entre un quart et un dixième du total. C’est pour cela que l’Institut des avocats conseils fiscaux a envoyé un courrier très long le 23 juillet à Madame X avec des questions et des propositions de réponses pour lui signifier que s'il n’y a pas suffisamment de pragmatisme dans ce régime de régularisation, nous serons obligé de dire à nos clients ce qu’ils ont à perdre et que leur réaction quasi immanquable sera de prendre le maquis.

Il ne faut pas perdre de vue un deuxième aspect : le président de la République a misé beaucoup sur cette rhétorique de la régularisation. Mais si malgré toutes ces menaces, ce terrorisme verbal s’avère être un échec, c’est toute la crédibilité de cette politique outrancière de pénalisation qui sera vouée à l’échec, et il n’aura plus d’autre choix que de sacrifier son ministre du Budget. Il ne peut pas perdre la face sur ce dossier. Il faut bien comprendre que la circulaire Cazeneuve est bien plus stricte et sévère que la circulaire Woerth, on va donc évidemment droit à l’échec…

Il y a donc toute une rhétorique en provenance de la présidence de la République et du ministère des Finances qui consiste à dire "nous vous proposons une vraie régularisation, en échange vous n’aurez pas de poursuites pénales. Et nous avons les moyens de percer les coffres forts les plus secrets grâce à la coopération internationale, d’ici l’automne. L’idée est donc de dire qu’il vaut mieux une coûteuse régularisation que la prison… A partir de ce moment-là, on est resté dans le flou… Je confirme en tout cas que toute cette rhétorique qui vise à dire que les secrets seront bientôt découverts, que les banques vont trahir les épargnants, que tous les États vont échanger des informations, est une gigantesque manipulation, et que tout est absolument faux !

Nous autres avocats fiscaux nous sommes réunis et avons monté une commission permanente pour pouvoir réagir et faire des propositions à la Direction générale des impôts (DGI). Nous avons déposé un mémoire le 23 juillet pour souligner les incohérences de la circulaire Cazeneuve. Madame X nous a répondu que notre travail était conséquent et intéressant, et que ses services allaient travailler tout l’été sur notre mémoire que que l’on nous communiquera des réponses pour la mi-septembre. Rien que sur ce seul fait, c’est une nouvelle preuve que l’on ne peut pas encore recevoir de dossiers puisque Madame X n’a pas encore répondu à ce mémoire. Personne ne connaît le vrai régime définitif de la circulaire Cazeneuve et je vous prie de croire qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires sont extrêmement critiques sur cette circulaire qui s’est faite dans le dos de la DGI, sans la coopération de la DNVSF et qui s’est conçue à la va-vite entre quelques fonctionnaires spécialisés du cabinet du ministre Cazeneuve, le tout dans la précipitation.

Bernard Cazeneuve était chargé, quand il est devenu ministre du Budget, de faire oublier le scandale Cahuzac. Et Bernard Cazeneuve, que nous avions connu autrefois comme confrère autrement plus souple, s’est transformé brutalement en "père fouettard". J’ai l’impression qu’il a compris que sur le plan politique, pour pouvoir exister et faire oublier Cahuzac, il devait faire parler la poudre. Si lui poursuit une carrière politique de "père fouettard" car c’est le moyen pour lui d’avancer, je ne le lui retire pas, mais il est censé agir sur le fondement d’une directive présidentielle. Quand il l’avait annoncé, il pouvait encore espérer avoir le soutien actif des Allemands, des Anglais et de tous ceux qui sont dans une même logique où ils ont besoin de terroriser l’ensemble des comptes bancaires secrets pour faire revenir un peu d’argent là où l’activité économique n’arrive plus à en créer. C’était même un problème de survie électorale pour des gouvernements à la tête d’États déficitaires. Mais dans ces États, on a fait preuve de plus de modération et de pragmatisme – je pense notamment à l’amnistie américaine, portugaise, italienne ou autrichienne – la France est passée à la vitesse supérieure. Il faut chercher la réponse dans la conjugaison de deux facteurs : le destin personnel de Cazeneuve pour faire oublier Cahuzac, mais aussi la volonté impérieuse de faire rentrer de l’argent dans les plus brefs délais.

Cette manière de faire amène plusieurs hauts fonctionnaires à se désolidariser du ministre, d’autant plus qu’ils n’ont même pas été prévenu, alors que ce sont eux qui vont traiter ces dossiers. Si d’ici au 15 septembre rien n’évolue sur cette directive, on va même aller droit à l’échec. En effet, que dirons-nous, nous avocats fiscaux, à nos clients ? On leur dira que l’on ne peut pas les accompagner car il n’y a plus rien à négocier. Notre valeur ajoutée sera égale à zéro. On est dans un sympathique bras de fer où, paradoxalement, nous nous retrouvons du côté de certains hauts fonctionnaires de la DGI qui se disent "la politique du père fouettard est peu crédible."

Mais pourquoi cette rhétorique est-elle aujourd’hui si stressée, si agressive ? C’est parce que le ministère des Finances et l’Élysée sont mieux placés que quiconque pour savoir que cette fameuse coopération internationale est beaucoup plus réelle sur le papier que sur le terrain. Les nouvelles conventions fiscales internationales visant à l’échange automatique d’informations va être complexe à mettre en œuvre en pratique, et cela prendra plusieurs années. Or les gouvernements ont besoin d’argent et de résultats électoraux pour 2014. Donc, toutes les déclarations visant à faire plier les récalcitrants tiennent plus du verbal car dans la réalité les choses sont moins évidentes. Et surtout, au niveau de la « solidarité sacrée » entre États pour se prêter main forte, pour lutter contre la fraude fiscale, pour remédier à leur situation déficitaire, on commence à voir les choses se craqueler. L’Allemagne par exemple retrouve une certaine santé économique, plus rapidement que les autres, et elle est moins encline à la coopération. Elle en avait besoin il y a trois ans car cela faisait partie de sa stratégie économique et électorale, trois ans plus tard, c’est en train de changer, elle est moins solidaire. Du coup, les Suisses qui sont très sensibles à l’union sacrée entre Français et Allemands, et qui font plutôt profil bas quand les deux géants européens marchent main dans la main, ont noté ce début de désolidarisation et commencent à faire des difficultés sur le traité franco-helvétique sur les successions. Et si le nouveau traité qui doit remplacer l’ancien, qui date de 1953, n’est pas ratifié, il n’y aura plus de traité du tout en matière de succession entre les deux pays, et donc plus aucun échange d’informations.

Je crois qu’il y a à Bercy beaucoup de personnes intelligentes, et qu’ils se sont rendues compte que des considérations politiques viennent perturber l’analyse technique qu’ils savent faire. Et ils sont aussi effarés et désarmés par ce manque de pragmatisme des politiques qui va nous amener des conséquences paradoxales par rapport au but initialement recherché.

PRÉCISIONS SUR L'ARTICLE :

"La directrice de la DNVSF, organisme chargé d’accueillir les candidats à la régularisation de leurs avoirs étrangers, réagit à l’article de F. Tripet paru le 28 Aout sur le site Atlantico et tient à ce que les précisions suivantes soient apportées : l’administration est composée de fonctionnaires qui sont là pour fonctionner et non pas pour être cités . Il faut s’abstenir à l’avenir de citer un seul de leurs noms. Dont acte. La directrice veut que la précision soit apportée qu’elle n’a rencontré aucun avocat fiscaliste puisqu’il n’y a eu que des échanges téléphoniques. En langage administratif, rencontrer une personne est la voir, lui parler n’est pas la rencontrer. Dont acte. Ensuite il serait inexact de dire qu’il n’y a pas d’équipe pour accueillir les candidats à la régularisation puisque, deux mois après la circulaire du Ministre, un service d’une quinzaine de fonctionnaires vient d’être mis en place. Dont acte. Enfin,  il est anormal qu’un avocat fiscaliste mette en doute la parole d’un ministre lorsque celui-ci affirme que plus de mille candidats se sont présentés spontanément durant l’Eté car la confiance qui doit régner entre le ministre du budget et les avocats fiscalistes est impérative. Dont acte ".

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