Le docteur Ayrault consulte : malade aujourd’hui, à quoi pourrait ressembler la France de 2025 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un radiologue examine les radiographies d'un patient à l'hôpital Ambroise Paré à Marseille.
Un radiologue examine les radiographies d'un patient à l'hôpital Ambroise Paré à Marseille.
©Reuters

Politico fiction

De retour de vacances depuis le 12 août, le Premier ministre attaque avec une semaine lui permettant "un moment de réflexion collective et concrète sur la France de 2025" qui est aussi le thème du séminaire de travail organisé par François Hollande à l'Elysée le 19 août.

Éric Verhaeghe et Philippe Simonnot

Éric Verhaeghe et Philippe Simonnot

Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
 

Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Philippe Simonnot est économiste. 

Il publie régulièrement des articles dans la presse nationale française et suisse. Docteur ès Sciences économiques, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, il a enseigné l’économie du droit aux Universités de Paris-Nanterre et Versailles.

En 2008, il crée l’Atelier de l’Économie contemporaine (études, conseils) et se spécialise en même temps dans l’Économie de la religion – qui étudie les religions sous leur aspect économique.

 

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Atlantico : Pendant que François Hollande s’accorde quelques jours de congés à la Lanterne. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, consacrera une partie de cette semaine du 12 août à "un moment de réflexion collective et concrète sur la France de 2025". En se basant sur la conjoncture actuelle, selon vous à quoi pourrait ressembler concrètement  la France de 2025 ?


Eric Verhaeghe : C'est en tout cas un bel exercice de politique fiction. Mais il doit être pratiqué dans les règles de l'art, c'est-à-dire en tenant compte des éléments sur lesquels nous pouvons intervenir parce qu'ils relèvent de choix nationaux, et des éléments contre lesquels nous ne pouvons rien, parce qu'ils ne dépendent pas de nous. Dans ce dernier ordre d'idée, on peut mettre deux éléments majeurs en exergue : l'évolution technologique et la conjoncture économique internationale. Ces deux facteurs ont une influence fondamentale sur le destin français, sans que nous ne puissions rien contre eux. Toute la difficulté de l'exercice consiste à faire la part entre ce que nous voulons, ce que nous pouvons et ce que nous devons.

  • Sur le plan politique : Sur ce point, tout dépend de la décision ultime du peuple français. Soit nous continuons dans le numéro de prestidigitation qui a commencé avec Jacques Chirac, et qui consiste à recourir à la dette pour continuer à dormir les yeux grands ouverts sur notre vision héritée des années 1950. Soit nous décidons le sursaut national indispensable pour redresser la barre et revenir dans un système soutenable. De ce point de vue, nous ne sommes pas dans une situation différente de celle des années 1780, où le pouvoir royal devait arbitrer entre un régime sclérosé et l'adaptation à un monde nouveau.

    Contrairement à ce qui est dit, je ne pense d'ailleurs pas que les principaux freins à l'adaptation viennent des Français eux-mêmes. Ils viennent, de mon point de vue, de l'élite qui ne veut pas risquer une nouvelle donne sociale où elle perdrait des plumes.

    Regardez la réforme de l'Etat : elle stagne parce que les hauts fonctionnaires ne veulent pas s'exposer au risque de manager les services et de devoir endosser des conflits sociaux. Regardez la réforme de la sécurité sociale : la classe politique dans son ensemble ne veut pas réformer un système qui permet de "tenir" les syndicats et évite de pratiquer un véritable dialogue social. On ne dit pas assez aux Français que la première vertu de la sécurité sociale et de donner une raison d'être et des mandats prestigieux à des cohortes de syndicalistes qui n'ont nulle envie de retourner travailler dans une entreprise. Et inversement, les employeurs n'ont nulle envie de voir des grandes figures du syndicalisme s'occuper de problèmes d'entreprise.

    Sur tous ces points, je dirais qu'il existe deux scénarios possibles pour la France de 2025.

    Premier scénario : celui de l'assoupissement, qui consiste à ne pas changer de régime, à ne pas renouveler la classe politique, à garder les mêmes règles du jeu. Inexorablement, c'est la décadence française à l'état pur et probablement quelque chose qui ressemble à l'effondrement national. Nous aurons alors un système scolaire hors d'âge, adapté à une économie qui est passée à côté de la révolution numérique, des politiques publiques paralysées par un endettement élevé et des fonctionnaires momifiés dans leur certitude d'être les meilleurs, et un pays encadré par une aristocratie sans imagination et totalement endogamique, crispée sur la défense de ses privilèges. Le pays se videra de ses forces vives : les jeunes qui "en veulent" iront à l'étranger au lieu d'user leur énergie dans un système qui ne veut pas bouger.

    Second scénario : on fait le grand saut. On bouscule le régime, on abandonne les faux semblants d'une démocratie représentative à bout de souffle et on rebat les cartes. On renouvelle les élites et on retrouve l'utopie du possible. On abandonne cette résignation permanente qui consiste à juger le changement impossible, trop compliqué, hors d'atteinte, et on retrouve l'ambition historique de la France, qui en fit sa puissance. On se fixe des objectifs clairs : retrouver l'équilibre des comptes publics, retrouver notre compétitivité internationale, retrouver le plein emploi, retrouver la prospérité, et on y va. Tout cela suppose non pas un changement, mais une rupture.
  • Sur le plan économique : Je me méfie de la mode du gaz de schiste. Je connais trop bien les techniques de lobbying pour ne pas déceler des opérations bien montées sur un sujet que personne n'est capable de mesurer aujourd'hui. En revanche, il est certain que le choix opéré dans les années 1980 par la nouvelle gauche injustement appelée rocardienne de tout miser sur le développement d'une industrie financière de taille mondiale, en restant indifférent au sort de l'industrie manufacturière - ce choix-là, dont nous payons le prix fort aujourd'hui, sera, quoiqu'il en soit, revu.


La France doit redevenir une puissance manufacturière. Le problème tient tout entier à l'évolution en profondeur du secteur manufacturier. L'avenir est d'abord dans les nouvelles technologies, dans le numérique et dans son écosystème. C'est lui qui fera la prospérité de demain. Or, il s'agit d'abord d'un secteur fondé sur l'innovation collaborative et l'agilité des structures. Pour réussir dans cet univers, il faut un mode de management beaucoup moins rigide que le management français.

La transformation numérique de nos entreprises supposent un changement complet de mentalité : un renoncement à ce modèle vertical où une poignée de cadres issus des grandes écoles décident de tout, et considèrent les salariés comme de simples exécutants. Dans l'entreprise agile de demain, chaque salarié doit être un innovateur.

Plus globalement, la société française, comme ses homologues industrialisés devra, quoiqu'il arrive, entrer dans une logique de sobriété énergétique qui aura un impact fort sur les modes de vie.

  • Sur le plan social : Vous soulevez là beaucoup d'inconnues. Aucune société ne peut durablement vivre dans la conflictualité que nous connaissons en France. Je me permets de m'appesantir un peu sur ce sujet.

    Il me semble qu'il y a trois degrés de conflictualité dans une société. Le degré individuel : les gens se chamaillent, se font des procès, se font éventuellement violence, mais cela reste des conflits privés. Le degré collectif : c'est la guerre civile, la révolution, les émeutes. Et puis il y a un degré plus insidieux, que j'appellerais le degré "méso" : la société reste cohérente, mais des groupes sporadiques affrontent d'autres groupes. Il me semble que la France atteint, à un pas de sénateur mais avec constance, ce stade de conflictualité "méso". Ce sont les émeutes et les zones de non-droit dans les banlieues, des revendications sur le voile malgré l'interdiction faite par la loi, des affrontements entre bandes mafieuses et autres bizarreries qui témoignent d'un climat social profondément dégradé par la crise et l'incapacité de nos élites à y faire face.

    Le grand pari est que, d'ici 2025, la société française ait refondé une unité autour de valeurs fédératrices suffisantes pour que ces conflits mésosociaux s'estompent. Sur ce point, nous avons un grand défi à relever : celui d'une transformation en profondeur de la société liée à la théorie du genre.

    La génération qui arrive se sent de moins en moins liée à la définition du genre telle qu'on a pu la connaître. La distinction de principe entre hommes et femmes est de plus en plus contestée, souvent parce qu'elle est perçue comme une construction sociale, alors que chacun devrait pouvoir choisir, selon cette conception, son appartenance à un genre. Cette évolution bouleverse fortement notre conception de la famille. Il faut sans doute, sur ce point, prendre le temps de la réflexion et commencer à imaginer un autre monde.

    Je sais que peu d'Atlanticonautes partagent ce point de vue, mais je crois qu'il y a des tendances historiques contre lesquelles on ne peut rien. Il ne s'agit ni de les combattre ni de s'y rallier, mais d'en prendre acte et d'imaginer comment sauver les meubles dans un monde nouveau.

Philippe Simonnot :

  • Sur le plan politique : Après le quinquennat raté (2012-2017) de François Hollande, une droite recomposée (c'est-à-dire ayant fait alliance avec le Parti socialiste) permet à François Bayrou d’accéder à la présidence.  Pour l’emporter, il a dû promettre l’adoption du scrutin proportionnel pour les élections législatives. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Avec l’entrée en masse du Front national et de la Gauche radicale à l’Assemblée nationale, la France est encore plus difficile à gouverner. Les gouvernements se font et se défont comme en Italie – ou comme en France sous la IV° République.  En 2022, au terme du mandat de Bayrou, la France, n’est toujours  pas réformée, et elle s’est un peu plus enfoncée dans la crise. C’est dans un climat de guerre civile - des banlieues islamisées sont  à feu et à sang -  que s’est déroulée l’élection présidentielle. François Bayrou, qui à 71 ans, fait figure de Père de la nation,  est réélu en annonçant que tous les étrangers  pourront désormais voter aux élections locales. Résultat : en 2025, plusieurs villes de France décident d’expulser des immigrés de fraîche date. L’Alsace, la région PACA, la Corse envisagent une sécession

  • Sur le plan économique et social : incapable de réformer le marché du travail, et notamment de supprimer le SMIC et les 35 heures, le chômage  atteint 18% de la population active, 40 à 50% dans les "zones sensibles", plus de 50% chez les jeunes  qui sont  de plus en plus NEET, comme on dit en anglais (Not in Education, Employment or Training) – et résignés à leur sort, à part ceux qui s’engagent dans l’une ou l’autre des "guerres saintes" qui sont en cours.

Le taux de croissance du PIB  varie entre moins 1 et plus 1% par an. La  zone  euro est maintenant  réduite à l’Allemagne, le Benelux, l’Autriche, la Finlande, l’Estonie et la France. Plus que jamais l’Allemagne domine l’eurozone, suscitant des sentiments germanophobes dans notre pays, déjà agité de courants racistes.  Le décrochage industriel de la France s’est aggravé par perte de compétitivité et manque d’innovation. Le tertiaire, qui rapporte peu de devises, occupe maintenant 92  % de la population active. Durement concurrencée par ses voisins latins qui sont sortis de la zone euro,  la France parvient à se maintenir à flot grâce principalement au tourisme qui n’a cessé de croître : une activité qui convient fort bien aux Français, car elle  permet à un grand nombre d'entre eux de gagner confortablement leur vie en travaillant seulement  le tiers de l’année.

En 2025, le nombre de touristes en France a atteint un nouveau record en rythme annuel : 120 millions. C’est dire que la population présente dans l’Hexagone triple aux belles saisons. Les dégâts de tous ordres sont considérables et coûteux pour les pouvoirs publics. Il a fallu dupliquer Le Louvre (La Joconde et la Venus de Milo ont été installées dans un Louvre II située dans l’Ile de la Jatte) et Versailles (un Versailles bis plus facile à "animer" de nuit comme de jour a été aménagée dans la Vallée de Chevreuse).  Les boîtes de nuit et  les bordels en tout genre prospèrent toute l’année. La prostitution, itou, surtout chez les jeunes des deux sexes. Le tourisme a gagné pratiquement l’ensemble du territoire : on rencontre des centaines de Chinois sur les chemins de randonnée les plus secrets. Pratiquement chaque Français, dont le niveau de vie a baissé du fait de l’inflation, de la hausse des impôts et des cotisations sociales,  de la mise à niveau des tarifs énergétiques, dispose d’une "chambre d’hôte" à louer aux nobles étrangers pour arrondir ses fins de mois. Bien sûr au "noir" - devenu le sport n° 1. Pour les retraités, dont les pensions ont été rongées au fil des réformes, cet appoint de servitude est devenu vital. La "grande nation" est devenue un peuple de larbins.  

Autre activité tertiaire en plein essor : la police privée dont le budget en 2013 était déjà égal au budget de la sécurité publique et qui en 2025 en vaut le triple. Des zones d’habitation sécurisée s’étendent même dans les régions réputées  les plus sûres, dans les banlieues riches ou en pleine campagne. On enregistre, en effet, un cambriolage à chaque minute – contre un toutes les deux minutes en l’an 2012.

Ne pas oublier non plus le CAC 40, qui lui aussi se porte bien, branché  sur l’économie mondiale qui a continué à croître. Ceux qui ont réussi à garder leur portefeuille en Bourse  ou qui ont planqué leur fortune à l’étranger n’ont pas trop à se plaindre. De même ceux qui ont pu conserver leur or – en lieu sûr bien entendu.
L’écart entre le sommet de la pyramide sociale et sa base n’a pas  été aussi grand depuis la Révolution de 1789. Mais le peuple français est trop vieux, trop fatigué, trop désuni pour rallumer un grand soir…

Les films de science-fiction dépeignent généralement un avenir sombre, voire apocalyptique. Depuis 2008, la France est touchée par la crise économique. Le pays est-il condamner à s'enfoncer toujours plus profondément dans la crise ? Avec quelles conséquences ?

Eric Verhaeghe : J'ai émigré en France quand j'avais dix-sept ans, parce que le peuple français est un grand peuple, et que la France a toujours eu un destin hors norme. Aujourd'hui, comme souvent dans son histoire, elle patauge sous la férule d'une noblesse arrogante et incompétente. Mais je suis convaincu qu'elle retrouvera le chemin de sa grandeur.

La France peut-elle, au contraire, se redresser ? A quelles conditions ?  Quelles sont les grandes réformes à accomplir pour que le pays retrouve son leadership en Europe ? Selon quel scénario politique, ce redressement peut-il s'opérer ?

Eric Verhaeghe : La particularité de la France est de procéder par adaptations brutales. Il est évident qu'aujourd'hui elle est neutralisée par une élite sans vision, qui vit sur la bête et qui accepte comme un fait acquis la domination allemande en Europe. Il existe un autre fait historique : l'Europe n'a jamais coexisté pacifiquement avec une Allemagne forte - je veux dire une Allemagne dirigée par la Prusse. Sur les 3.000 dernières années, et ce n'est pas rien, et ce serait illusoire de croire que nous, hommes du XXIè siècle, ne nous situons pas dans la continuité de cette histoire, les seuls projets européens viables ont reposé sur des principes peu ou prou guidés par la culture française.

Cela suppose en revanche que la France se réconcilie avec les valeurs qui ont toujours fait son identité : un mélange astucieux de liberté et d'égalité, une vision ambitieuse de l'avenir et une confiance profonde en ce que nous sommes. La peur est la pire ennemie de l'identité française.


Un vœu ou une idée personnelle pour la France de 2025 ?

Eric Verhaeghe : Une idée personnelle ? La France ne retrouvera la voie de la prospérité que si elle efface l'ordre européen hérité du Congrès de Vienne de 1815. Le Congrès de Vienne de 1815 est à la France ce que le Congrès de Versailles de 1919 fut à l'Allemagne.

Un voeu : assister à cette renaissance.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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