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Landru : l'histoire du Barbe bleue des petites annonces coquines
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Bonnes feuilles

Alors que la France n'en finit pas de panser les plaies de la Grande Guerre, le 25 février 1922, à la prison de Versailles, le célèbre bourreau Anatole Deibler guillotine Henri Désiré Landru. Extrait de "Les grandes affaires criminelles en France" (2/2).

Éric  Alary

Éric Alary

Spécialiste de l'histoire de l'Occupation en France, de l'histoire de la vie quotidienne dans les années 1940 et de l'histoire de la gendarmerie, Éric Alary travaille également sur le thème de l'histoire des frontières. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont L'histoire de la gendarmerie (2000), 1942, Un procès sous l'Occupation au Palais-Bourbon (2000), La ligne de démarcation (2003).

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Onze meurtres lui ont été imputés lors de son procès en 1921. Le 24 février 1922, le président de la République, Alexandre Millerand, a rejeté le recours en grâce. Le procès a été spectaculaire, décrit dans ses moindres détails par la presse populaire. Tantôt il est présenté comme jovial tantôt comme courtois.

Pour autant, il a tué, dépecé le corps de ses victimes, en a enterré certaines parties et brûlé d’autres. Les journalistes le présentent comme le nouveau Barbe-Bleue. Les femmes sont étranglées. Puis, les corps sont brûlés en partie dans le fourneau de la villa. Malgré les mauvaises odeurs senties par les voisins, Landru n’est pas gêné dans sa terrible quête d’argent.

Le fourneau fume…

Le destin de Landru est pour le moins étrange. Marié à une blanchisseuse, il est le père de quatre enfants. D’ailleurs, il a été décrit comme un bon père. C’est tout à fait par hasard qu’il tombe entre les mains de la justice en avril 1919. À la Belle Époque, Landru a déjà été condamné à des amendes, à de la prison pour une multitude d’escroqueries et d’abus de confiance ; il change sans cesse d’identité. Il ne reste jamais très longtemps en prison puisque les psychiatres le déclarent souvent « malade », atteint mentalement, sans être fou. En 1914, alors qu’il est en fuite, un nouveau procès pour escroquerie le condamne à être déporté à vie au bagne de Cayenne. En 1915, il cherche des solutions pour subvenir aux besoins de sa famille. Avide d’argent et de reconnaissance sociale, il se fait passer pour un veuf auprès des femmes qu’il parvient à séduire. Il met en oeuvre une technique très élaborée pour attirer ses victimes : par petites annonces dans Le Petit Journal, il essaie de prendre contact, comme par exemple : « M. 45 ans, seul, s. famille, situation 4000 ay. inter. désire épous. dame âge situation, rapport. C.T. 45 Jal. » Cette annonce est froide, mais des femmes seules recherchent à tout prix un foyer pour échapper à la solitude et vivre aisément. Celles repérées par Landru ont un point en commun : elles sont riches et seules ; la guerre a éloigné des millions d’hommes.

Anna -Collomb répond à l’annonce du Petit Journal, le 7 mai 1915 : « J’ai trente-neuf ans, sans enfant et pour ainsi dire sans famille. [... ] Je suis parvenue à faire quelques économies qui, avec le petit peu que j’avais quand mon mari est mort, s’élèvent à huit mille francs. » Anna avait en réalité quarante-quatre ans. Peu importe. Elle veut rencontrer à tout prix « M. 45 ans ». Anna obtient vite une promesse de mariage. Tout semble parfait lorsqu’elle annonce cette bonne nouvelle à sa famille le 26 décembre 1916. Ensuite, elle disparut à jamais...

Puis, Landru attire Célestine Buisson et ainsi de suite. Le piège fatal se referme à plusieurs reprises sur ces femmes seules. Landru joue les bourgeois aisés et promet le mariage. Après avoir passé des annonces matrimoniales dans les journaux, il reçoit ses futures victimes dans une garçonnière (il en change sans cesse afin de n’éveiller aucun soupçon) à Vernouillet, puis à Gambais dans les Yvelines. Sans doute, avec une éloquence bien rodée, Landru parvient à convaincre ses victimes de lui signer une procuration sur leurs comptes. L’affaire est ainsi ficelée, mais que faire des femmes ? Landru a déjà en tête de les tuer, enfermé qu’il est dans un autre monde. Après sa condamnation au bagne, il a atteint le point de non-retour. Les femmes sont étranglées. Puis, les corps sont brûlés en partie dans le fourneau de la villa. Malgré les mauvaises odeurs senties par les voisins, Landru n’est pas gêné dans sa terrible quête d’argent ; il est vu à plusieurs reprises dans la rue au bras d’une dame chaque fois différente. Il retourne de temps à autre voir sa famille, afin de lui procurer de quoi survivre en des temps de pénurie.

Cette liberté d’action, pour un homme recherché par la police, a été possible car la France était en pleine guerre ; le pays était tourné vers d’autres préoccupations ; Landru, considéré par la police comme « criminel en fuite », est assez tranquille pour tuer et se déplacer dans la région parisienne. Il va ainsi pouvoir traquer des femmes seules. Pourtant, brutalement et par hasard, les « affaires » de Landru s’arrêtent.

Une stratégie macabre

En 1918, le maire de Gambais a des doutes, car plusieurs lettres lui demandent des nouvelles de deux femmes soi-disant fiancées avec un homme de la commune, dont l’identité n’est jamais la même (M. Dupont, M. Frémyet, par exemple ; Landru aurait eu jusqu’à quatre-vingt-dix identités différentes !). Intrigué, le maire tente de démêler ces affaires et réunit les deux familles qui constatent avec effroi que le fiancé des deux disparues est le même ! Les familles portent plainte. Après une enquête policière vaine sur les identités du fiancé mystérieux, c’est par hasard que Landru est localisé après que la proche d’une disparue l’a reconnu en sortant d’un magasin de faïences.

Il est enfin arrêté en avril 1919. Les perquisitions dans les villas louées par Landru révèlent la présence de débris humains dans des tas de cendres retrouvés dans un hangar et dans une cuisinière. Plus d’un kilo de débris d’os humains calcinés sont ainsi ramassés par les policiers. L’affaire apparaît vite comme « monstrueuse » aux enquêteurs. Ceux-ci découvrent que Landru a tenu une comptabilité d’une minutie extrême : des scies à métaux ont été achetées et les noms des « fiancées » figurent sur le carnet de comptes et sur un ensemble d’agendas au contenu assez mystérieux. Pour autant, certaines listes sont éloquentes : « 8 février 1917, une douzaine de scies à métaux de 0,22 : 6,60 F ; 25 avril 1917, scie à bûches : 4,25 F ; 6 juin 1917, scie circulaire : 3,15 F ; 6 mars 1918, six douzaines de scies à métaux : 25 F. » Mais ce qui révèle encore plus la « stratégie » macabre de Landru, c’est la découverte de reçus de billets de train : des allers et retours lui étaient réservés pour se rendre à Vernouillet ou à Gambais tandis que seuls des allers simples étaient achetés pour les « fiancées » ! Le « voyage » chez Landru était toujours sans retour possible, sauf pour Fernande Segret, âgée de vingt-six ans, qui a miraculeusement échappé aux griffes du tueur.

Un dossier de sept mille pages…

Pendant tout le procès qui s’ouvre le 7 novembre 1921, Landru devient une célébrité du crime et des médias. Ceux-ci emploient volontiers une terminologie empruntée à la rubrique « spectacle » des journaux. Devant le Palais de Justice, les curieux sont très nombreux ; certains proposent même de l’argent pour pouvoir être « spectateurs » du procès. Colette ou encore Mistinguett, entre autres, font partie des célébrités qui viennent aux audiences. Landru n’est que trop flatté par tant de curiosité mondaine. Distingué pendant le procès, il reste le plus souvent flegmatique ; la barbe est bien taillée et son allure générale ne dévoile en rien un personnage diabolique. Il va sans cesse nier les faits qui lui sont reprochés, demandant même qu’on lui montre les cadavres.

Le dossier de sept mille pages ne contient pas de preuves totalement décisives, mais après le passage de cent cinquante témoins à la barre, les magistrats sont convaincus de sa culpabilité : toutes les femmes venues dans les maisons de Landru n’en sont jamais ressorties. Son avocat, maître Moro Giaferri, plaide pendant cinq heures avec une belle éloquence. Mais Landru est condamné à mort ; il a plaidé son innocence jusqu’au jour de son exécution. Héros de la presse et des curieux en mal de sensations fortes, Landru fait partie de l’évolution des représentations médiatiques qui se cristallisent sur le « sensationnel ». On entre alors dans l’ère de la « théâtralisation » des médias. Cela dit, Landru est un tueur en série et il a su jouer pendant sa vie du contexte fort singulier de la Première Guerre mondiale et du désir de séduire pour gagner de l’argent et tuer des femmes seules.

Elle est bleue la barbe à Landru

Ses yeux en boutons de bottine

Accrochent au hasard des rues

Les veuves et les orphelines.

Chanson de René Masson

Extrait de "Les grandes affaires criminelles en France", Eric Alary, (Nouveau Monde Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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