Reprise des discussions entre Israël et l’Autorité palestinienne : pourquoi, cette fois-ci, ça pourrait être différent<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette reprise des discussions entre Israéliens et Palestiniens sera, comme à l'accoutumée, parrainée par les Américains.
Cette reprise des discussions entre Israéliens et Palestiniens sera, comme à l'accoutumée, parrainée par les Américains.
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Réel espoir ou vaine tentative ?

Depuis lundi 29 juillet au soir, Israéliens et Palestiniens tentent de trouver un nouveau terrain d'entente en vue d'un accord de paix. Alors que le processus est à l'arrêt depuis trois ans, il semblerait que, cette fois-ci, un espoir puisse être envisagé, tenant à la convergence de certains intérêts majeurs entre les deux parties.

Ardavan Amir-Aslani et Frédéric Encel

Ardavan Amir-Aslani et Frédéric Encel

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

Frédéric Encel est professeur de relations internationales à l’ESG Management School et maître de conférences à Sciences-Po Paris. Il assure la chronique internationale quotidienne sur France Inter durant l’été. Il vient tout juste de publier son dernier ouvrage, De quelques idées reçues sur le monde contemporain (éditions Autrement).

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Atlantico : La création de l'Etat de Palestine, le tracé des frontières, le statut de Jérusalem, les droits des réfugiés : autant de questions épineuses devant être réglées dans le cadre du processus de paix, mais sur lesquelles les deux parties sont totalement opposées. Ces nouvelles négociations peuvent-elles œuvrer en faveur d'une véritable reprise du processus de paix ? En quoi pourraient-elles se démarquer des précédentes ?

Ardavan Amir-Aslani: La première chose qu’il faut rappeler est que ces négociations sont une première depuis 2010, Israël ayant toujours rappelé que le dialogue israélo-palestinien était secondaire tant que la menace de la nucléarisation de l’Iran continuait de planer sur ce pays. Le fait que ces négociations reprennent est peut être une indication de la disparition de l’urgence du contentieux nucléaire iranien à l’aune de l’optimisme international suscité par l’élection du président modéré iranien, Hassan Rouhani.

En tout état de cause, il est vrai que toutes les négociations antérieures ont échoué. En dehors du problème de tracé des frontières entre le futur État palestinien et Israël,  qu'il s'agisse de celui de 1967 ou pas, la question du droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948 et leurs millions de descendants, ainsi que le souhait palestinien d’avoir Jérusalem-Est pour capitale, représentent des sujets particulièrement épineux. Pour les Israéliens, le droit au retour des réfugiés équivaut à un suicide démographique ; pour ce qui est de Jérusalem, ils ne sont guère disposés à remettre sur le tapis le principe de Jérusalem-capitale. Les Palestiniens, qui ne peuvent ignorer cette réalité démographique, essaieront de tirer une indemnisation financière faute d’obtenir le droit au retour qui s’avère n’être qu’un vœu pieux. La question de Jérusalem-Est, ou plutôt une banlieue avoisinante de cette dernière, avec un accès souverain au dôme d’Al-Aqsa, peut faire l’objet d’une discussion.

Frédéric Encel : Je suis relativement optimiste, du moins sur le court terme, au regard de la convergence d’intérêts qui existe entre Israël et l’Autorité palestinienne. Celle-ci est favorisée par l’affaiblissement du Hamas, et donc par un rapport de force favorable des deux parties face à ce dernier. En l’espace de près de deux ans et demi, le Hamas a perdu le soutien de la Syrie et de l’Iran, mais également et surtout, l’appui extrêmement précieux des Frères musulmans égyptiens qui étaient au pouvoir en Egypte jusqu’à ces dernières semaines. La reprise en mains du Sinaï, qui jouxte la bande de Gaza, par l’armée égyptienne particulièrement hostile au Hamas,  représente une véritable valeur ajoutée pour l’Autorité palestinienne qui considère le Hamas comme un ennemi mortel.

Davantage que la personnalité et la volonté de John Kerry, cette reprise des négociations est largement induite par le contexte géopolitique régional. Cette volonté s’est traduite, du côté israélien, par la libération d’une centaine de prisonniers palestiniens de longue date, un geste rare qui mérite d’être souligné. Du côté palestinien, Mahmoud Abbas à renoncer à son exigence de longue date du gel des constructions dans les implantations comme préalable à tout retour à la table des négociations.

Les récents évènements politiques survenus à la fois en Israël (arrivée au pouvoir d'une nouvelle coalition, avec toujours à sa tête Benjamin Netanyahou) et en Palestine (la démission du Premier ministre Rami Hamdallah), auxquels s'ajoutent les affrontements de novembre dernier entre Israël et la bande de Gaza (opération Pilier de Défense) n'ont-ils pas contribué à radicaliser les positions des deux parties ? Ces conditions sont-elles réellement favorables à la reprise des négociations ?

Ardavan Amir-Aslani: Ce qui est favorable pour le climat est le coup d’Etat contre Morsi. La chute des Frères musulmans au Caire a privé le Hamas, dirigé par eux, d’un grand allié. Aujourd’hui, la bande de Gaza est redevenue l’enclos fermé qu’elle était à l’époque de Mubarak. L’affaiblissement conséquent du Hamas renforce la carte de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas qui se trouve renforcée dans son positionnement vis-à-vis d’Israël.

Israël de son côté se trouve de plus en plus menacé par une forme particulière de l’islam djihadiste que je qualifie d’islamo-fascisme, à l’instar des mouvements comme Al-Nusra ou Al-Qaeda. Le Golan en Syrie, qui était pendant 42 ans un havre de paix, est maintenant en proie à des incursions régulières de la part des rebelles. Si demain, la Syrie devait être morcelée en plusieurs États, dont un islamiste, cette frontière perdrait sa tranquillité. Pareillement, les Israéliens s’interrogent sur ce qu’il adviendra de la Jordanie si les Frères Musulmans devaient y prendre le pouvoir. Elle risquerait de se transformer en un Gaza géant car les Palestiniens représentent 80% de la population de ce pays.

Ainsi, il y a maintenant urgence pour les Israéliens de régler le conflit palestinien pour que ce conflit cesse d’envenimer l’antagonisme des islamo-fascistes. Donc, le moment est peut être opportun. Curieusement, il en va différemment avec le Hezbollah, qui lui aussi est engagé contre les rebelles islamistes en Syrie. D’ailleurs, depuis que le Cheikh Hassan Nasrallah, le chef de ce mouvement, a dit que les fusils du Hezbollah étaient sur le point de se tourner contre les islamistes syriens, il y a eu comme un cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël puisque ces mêmes fusils ne sont plus orientés en direction de l’armée israélienne, le Tsahal.

Frédéric Encel : Ces questions se posent bien entendu. Toutefois, je tiens à préciser que la démission du Premier ministre de l’Autorité palestinienne est une question purement interne. D’ailleurs, celui-ci était davantage réputé pour sa gestion pragmatique des questions sociales et économiques, Mahmoud Abbas s’occupant personnellement du dossier israélo-palestinien. Concernant l’opération Pilier de défense, je tiens à rappeler que les combats ont opposé Israël au Hamas, une entité palestinienne complètement distincte de l’Autorité palestinienne. Par conséquent, ces combats n’ont pas de réelles incidences sur la conduite des négociations par Abbas côté palestinien.

Concrètement, quels intérêts ont chacune des trois parties (Israël, Autorité palestinienne et Etats-Unis) à entreprendre cette reprise des négociations ?

Frédéric Encel: Hormis les intérêts communs que j’ai évoqués entre Israël et l’Autorité palestinienne, à court terme, il n’y a pas plus d’intérêts à reprendre les négociations aujourd’hui, qu’il y a six mois ou six ans. En revanche, pour les Américains, l’intérêt est absolument permanent. Il convient de bien garder en tête que, plus il y a d’apaisement entre Israéliens et Palestiniens, plus la coalition politique entre le camp occidental et la plupart des pays arabes contre l’Iran est réalisable. Pour les Américains, il est donc important de montrer au monde arabe que le dossier palestinien constitue toujours une priorité. Ceci est la principale raison pour laquelle Obama a souhaité remettre sur les rails ce processus de paix gelé depuis maintenant plus de trois ans.

Ardavan Amir-Aslani: L’intérêt israélien est clair. Comme dit plus haut, il s’agit de désamorcer la bombe à retardement que le conflit israélo-palestinien représente en tant que moteur de haine des islamistes de la région qui sont de plus en plus vindicatifs sur ces frontières. Pour l’Autorité palestinienne, il s’agira de profiter de la faiblesse du Hamas, conséquence de la chute de Mursi en Egypte, pour tenter de prendre la main sur la totalité des territoires palestiniens. Il faut savoir, en effet,  que la Palestine est aujourd’hui divisée entre la Cisjordanie et la bande de Gaza dirigée par le Hamas qui ne participe pas à ces négociations. Par ailleurs, le temps joue maintenant contre l’Autorité palestinienne depuis qu’Israël a autorisé le peuplement par des Juifs israéliens de la zone dite E1 qui, de facto, coupe la Cisjordanie en deux. Ainsi, faute d’accord avec Israël, l’avènement d’un État palestinien tenant à peu près d’un seul tenant s’avèrerait impossible, à moins de vouloir faire de la Jordanie la nouvelle Palestine.

L'un des principaux arguments invoqués par le secrétaire d’État américain, John Kerry, en faveur de la reprise du processus de paix israélo-palestinien, consiste à dire que cette dernière permettrait de contenir la déstabilisation de toute la région. Dans quelle mesure ?

Frédéric Encel: Je ne crois absolument pas à cette corrélation. Je persiste à dire que la déstabilisation du Moyen-Orient et du monde arabe n’est pas le fait du conflit israélo-palestinien. A ce titre, le printemps arabe en est la parfaite illustration puisque ce mouvement de contestations s’est déclenché sans aucun lien avec la question palestinienne. Néanmoins, on ne peut pas omettre d’évoquer, il est vrai, l’instrumentalisation de la part de certains dirigeants arabes dits "extrémistes", à l’instar de Bachar al-Assad ou bien de l’ancien pouvoir yéménite. Cette sémantique anti-israélienne n’a donc pas véritablement de fond. J’insiste sur le fait que les éventuelles avancées de ces négociations israélo-palestiniennes n’auraient aucune conséquence sur la situation syrienne ou égyptienne.

Ardavan Amir-Aslani:Le conflit israélo-palestinien, auquel il faut ajouter, par honnêteté, la corruption des pouvoirs en place et l’absence de démocratie, représente une des causes de la frustration des peuples arabes. Si la paix pouvait être négociée entre Israël et la Palestine, ce conflit amorcerait au moins sa sortie de cette trilogie de haine dans le discours arabe. Mais de là à considérer que la paix entre Israël et la Palestine stabiliserait le Moyen-Orient, c’est un peu tiré par les cheveux. En effet, les haines ancestrales qui secouent cette partie du monde pré-existent à la création même de l’Etat d’Israël. Prenez par exemple le conflit entre Chiites et Sunnites qui déchire nombre de pays, de la région du Bahreïn à la Syrie en passant par le Yémen.

Les monarchies du Golfe, Arabie-Saoudite et Qatar en tête, sont désormais les acteurs clés de la géopolitique du Moyen-Orient. Quels intérêts ont-ils à ce que ces négociations aboutissent ?

Ardavan Amir-Aslani: Dans la pratique, le conflit israélo-palestinien n’intéresse pas les pétromonarchies du Golfe persique qui sont plus préoccupées par l’émergence de l’Iran comme puissance régionale et ses conséquences régionales dans le conflit millénaire entre Chiites et Sunnites.A part le Qatar, qui s’était fait une spécialité dans le financement des mouvements islamistes à l’instar du Hamas, les autres pétromonarchies étaient relativement distantes par rapport au conflit israélo-palestinien. Leur espoir de paix se rapprocherait, au mieux, de l’espoir israélien, c’est-à-dire le désamorçage d’une mine symbolique qui attise l’attrait des islamistes pour des mouvements tels que les Frères Musulmans, principale source de danger sécuritaire pour elles. A cet égard, on a tous pu constater le versement des 12 milliards de dollars d’aides financières par les Émirats arabes unis, le Koweït et l’Arabie Saoudite aux putschistes du Caire, en guise de remerciements et d’encouragement pour le renversement de Mursi. Et ce, avec l’espoir que cet argent aiderait le pouvoir militaire à sortir le pays du chaos dans lequel il se trouve. A titre anecdotique, le Qatar, lui, avait versé 8 milliards de dollars, mais à Morsi !

Frédéric Encel : Avec l’Arabie-Saoudite et le Qatar, nous sommes en présence de régimes ultra-conservateurs, que l’on pourrait même qualifier d’extrémistes, un qualificatif qu’on évite d’employer en raison de la puissance énergétique que ces deux pays représentent. Aujourd’hui, le clivage principal au Moyen-Orient n’est pas celui mettant en opposition Israéliens et Palestiniens, mais celui, très violent, qui oppose Sunnites et Chiites. Parce que les Palestiniens sont sunnites, il s’agit pour l’Arabie-Saoudite, mais également pour le Qatar et les Emirats arabes unis, de parvenir à extirper cette entité d’une impasse dans laquelle ils se trouvent depuis fort longtemps. Par ailleurs, le Qatar est devenu le nouveau pourvoyeur de fonds du Hamas, comme nous l’avons vu en novembre dernier, remplaçant ainsi le rôle traditionnellement dévolu à l’Iran. L’objectif pour le Qatar est de mettre un terme aux liens d’allégeance entre l’Iran chiite et les Palestiniens sunnites.

Les monarchies du Golfe pourraient être favorables à un accord de paix entre Israël et le Hamas. Bien que reconnaissant l’Autorité palestinienne pour éviter de froisser les Américains, les entreprises que celle-ci mène en faveur du processus de paix ne présentent aucun intérêt majeur pour les Saoudiens et les Qataris. A leurs yeux, l’Autorité palestinienne se positionne trop sur une ligne occidentale, et donc pas assez conservatrice.

Avec déjà six voyages au Proche-Orient à son actif, John Kerry se montre particulièrement entreprenant sur la résolution du conflit israélo-palestinien. Cette dernière semble être revenue en grâce dans les priorités de l'administration Obama. Pour quelle(s) raison(s) ?

Ardavan Amir-Aslani: Le Président Obama, qui n’est plus rééligible, souhaite régler ce conflit, le conflit israélo-palestinien, ainsi que celui du nucléaire iranien, les deux constituant ses deux chantiers majeurs de politique étrangère. Toutes les administrations américaines depuis 1948 se sont essayées à régler ce conflit, sans succès. Obama s’attèle à la tâche à son tour.

Frédéric Encel: Paradoxalement, je ne pense pas que les Etats-Unis aient véritablement impulsé cette reprise des négociations. Depuis maintenant un an et demi, on remarque l’effacement d’Obama sur le dossier. J’insiste donc sur le fait que c’est le contexte géopolitique local qui a favorisé la volonté des Israéliens et des Palestiniens de reprendre les négociations. Les Américains, une nouvelle fois, s’engouffrent dans une brèche favorisée par les seuls Israéliens et Palestiniens. Ceci avait déjà été le cas dans le cadre des Accords d’Oslo, lorsque Bill Clinton avait littéralement découvert l’existence de ces négociations israélo-palestiniennes qui lui ont été apportées sur un plateau en guise de parrainage.

Propos recueillis par Thomas Sila

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