Comment donner l’impression de réduire les dépenses publiques sans le faire vraiment : panorama des tours de passe-passe du gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
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La réduction des dépenses publiques ? Une économie en trompe-l'oeil.
La réduction des dépenses publiques ? Une économie en trompe-l'oeil.
©Flickr commons

Magie

Le gouvernement claironne une réduction des dépenses publiques. En y regardant de plus près, il ne s'agit que de subterfuges et d'augmentations des impôts.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Atlantico : Le gouvernement a annoncé 3 milliards d'euros de réduction des dépenses publiques. Or, la moitié de ce montant correspond au plafonnement du quotient familial et l'autre à la baisse des transferts de l'Etat aux collectivités territoriales. Ces mesures reviennent-elles finalement à une hausse d'impôts déguisée ?

Jean-Michel Rocchi : Le plafonnement du quotient familial constitue en effet une hausse d'impôt directe de l'IRPP. La baisse des transferts aux collectivités locales va se traduire inévitablement par une hausse par celles-ci des impôts locaux, c'est à dire une hausse d'impôt indirecte. D'ailleurs, cela fait des années qu'on essaie de nous faire prendre des vessies pour des lanternes en nous disant que les effectifs de la fonction publique d'Etat (FPE) baissent, mais on oublie de nous dire que la fonction publique territoriale a augmenté plus encore (FPT). Si l'on ajoute la fonction publique hospitalière (FPH), on obtient le chiffre total des trois fonctions publiques (3FP). L'emploi total (privé inclus) augmente moins vite que l'emploi public.

La destruction d'emplois dans le privés est assez directement liée aux prélèvements excessifs sur les entreprises pour financer les emplois publics.

A quels autres tours de passe-passe le gouvernement s'adonne-t-il ? 

Une fois de plus les hypothèses macroéconomiques dans le projet de lois de finances (PLF) 2014 sont trop optimistes, ce qui aura pour conséquences : une surévaluation des recettes fiscales, en cours d'exécution un déficit plus important que prévu et la nécessité d'avoir des collectifs budgétaires significatifs. En toute bonne logique, ces collectifs devraient se traduire par des économies nouvelles. Il y a fort à parier qu'ils se traduiront par des impôts nouveaux qui pèseront sur la consommation et, par voie de conséquence, sur l'emploi du secteur privé. 

Si l'on réalise - 0,5 en 2013 et 0,5 en 2014, cela serait déjà très bien, sur la période 2015 - 2017 autour de  1% semble déjà un objectif ambitieux au regard d'une inflation relativement faible et d'une croissance potentielle pour la France à présent malheureusement probablement inférieure à 1%
Si l'on essaie rechercher le consensus existant auprès des économistes sur la croissance potentielle on obtient : 
- 1% pour la commission européenne
- l'INSEE retient trois scénarii pour la période 2015 - 2020 : un scénario bas à 1,2%, central à 1,5% et haut à 1,9%
- Une note du 3 juillet 2013 de la recherche économique de Natixis (N°124 de Patrick Artus et Jean-Christophe Caffet) parle d'une croissance potentielle "probablement inférieure à 1%" en France
- Ceux qui donnent les chiffres les plus optimistes pour l'hexagone sont le FMI (1,6%) et l'OCDE (1,8%)  
Remarquons que l'objectif de 2% du gouvernement est supérieur aux prévisions des plus optimistes. 
Les raisons du déclins de la croissance potentielle sont liés notamment au recul des frais de recherche et développement, à la baisse de la productivité, au déclin de la part relative de l'industrie dans l'économie. 
Le moins que l'on puisse dire c'est que la tendance n'est pas bonne et que les choses ne s'améliorent pas. 

Les gouvernements successifs ont toujours compté sur la providence, c'est à dire à un retour à une forte croissance pour rééquilibrer les déficits publics et rembourser la dette publique. En fait, ils croyaient à la "blue fairy" (la fée bleue de Pinocchio). Ne rêvons plus, la seule voie réaliste ce sont les économies, une recette qui a fonctionné dans toutes les entreprises. Pourquoi ne fonctionnerait-elle pas s'agissant de l'Etat ?   

Lesquels sont actuellement en préparation, notamment dans le PLF 2014, voire dans la très certaine loi rectificative ? 

Les orientations 2014 ne peuvent que dépiter en matière de réductions des dépenses : elles sont introuvables. 

Tout d'abord, on nous parle d'économies là ou il n'y en a pas et notamment pas de réduction réelle de postes de fonctionnaires. Le portail du gouvernement le dit explicitement : "La ligne demeure la maîtrise de la masse salariale et la stabilisation des effectifs sur la durée de législature. En 2014, 14400 postes seront supprimés. A peu près autant créés." Les choses sont dites clairement : il ne peut pas y avoir d'économies réelles à part des tours de passe passe tels des transferts vers les collectivités locales. C'est se moquer du monde avec des effectifs de 1 888 000 emplois à temps pleins dans la fonction publique d'Etat que de parler de réduction avec 1242 ETP supprimés. Bien plus, on sait que ces emplois seront recréés dans la fonction publique territoriale. 

Combien de temps cette situation va-t-elle pouvoir perdurer ?

Toutes les manipulations de chiffres reposent peu ou prou sur la confiance, or les gouvernements qui se lancent dans cette voie se condamnent au mensonge perpétuel. En effet, lorsque le subterfuge est découvert l'effondrement est très violent. Les soupçons sur les manipulations de la Grèce étaient anciens mais lorsque les derniers maquillages ont été connus (ceux pour lesquels Goldman Sachs a été tant critiqué), cela a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. La Grèce n'a plus été en mesure d'emprunter sur les marchés car les investisseurs n'avaient plus confiance. Le coût des CDS souverains grecs s'est envolé.  
En France, nous n'en sommes pas encore là, mais la tendance est très mauvaise. La Cour des Comptes commence à lever le voile sur les mensonges : le déficit sera de 4% fin 2013 au lieu des 3,7% du gouvernement. Et encore, ce chiffre est obtenu après des manipulations, comme par exemple la vente de titres Aéroports de Paris qui a servi  a financer les dépenses courantes et non le remboursement de la dette publique. Lorsque des biens de l'Etat sont vendus et que le produit est affecté non au remboursement de la dette publique mais aux dépenses courantes, cela s'appelle une politique de terre brûlée pour le gouvernement qui suivra (la dette publique nette augmente). Le gouvernement actuel a t-il déjà accepté une future défaite ou est-il encore plus aux abois qu'il n'y paraît ? Le déficit 2013 plus important que prévu est d'ailleurs la conséquence de prévisions macroéconomiques trop optimistes qui avaient sur-estimées les recettes, ce qui est un classique. On nous refait d'ailleurs le coup pour le PLF 2014 : "errare humanum est, perseverare diabolicum" .  
Aux Etats-Unis lorsque les républicains ont refusé de voter la levée du plafond de l'endettement public fédéral, déclenchant ainsi les mesures d'économies automatiques, de pseudo-économistes avaient annoncé une quasi fin du monde outre atlantique. La réalité est cruelle, l'Amérique se redresse et pas nous. Disons le clairement même si ce n'est pas politiquement correct dans l'hexagone : moins d'Etat c'est plus d'emplois privés. Le gouvernement actuel n'ira pas dans ce sens et continuera à nier l'évidence, la meilleure preuve en est la loi en préparation sur l'économie sociale et solidaire : le nouveau pays de cocagne. 
La solution est plus simple, c'est de refaire de la France un vrai pays capitaliste moderne.   

Pourquoi le gouvernement a-t-il tant de mal à s'attaquer aux dépenses publiques ? Comment contourner le problème ? Par où commencer ? 

Tout d'abord, en théorie le gouvernement incarne l'intérêt général, mais en pratique il arbitre des intérêts particuliers. A tort ou à raison il considère que les fonctionnaires constituent son fonds de commerce électoral. Il ne veut donc pas leur déplaire. D'autre part, il existe en France une pensée à la fois sectaire et fausse qui est  entretenue chez les électeurs selon laquelle l'Etat est la solution à tous les problèmes. On pourrait appeler cela l'étato-soviétisme qui est un syncrétisme assez spécifiquement français de culture étatiste colbertiste (idéologie plutôt de droite) et de crypto-communisme (idéologie de gauche héritée du CNR). Le résultat est une fantasmagorie : l'Etat est infaillible, incontestable et il peut tout.
Partant de là, il faut bercer d'illusions les électeurs. La chose sur laquelle il existe un tabou est le refus de s'interroger sur l'impact négatif d'un Etat omnipotent sur le fonctionnement du marché. Toutes les destructions d'emplois dans le secteur privé sont plus ou moins directement liées aux impôts et aux prélèvements sociaux excessif pour financer une bureaucratie assez largement inefficace. Actuellement, l'explosion du nombre des faillites d'entreprises en France s'explique tant par la crise que par un niveau anti-économique de prélèvements obligatoires. Avec des dépenses publiques qui représentent 57% du PIB, nous détenons un record mondial. Cela sert notamment à financer 90 agents publics pour 1000 habitants, autre record mondial du système étato-soviétique. Autre chiffre à avoir en tête : on a mesuré que la fonction publique employait 5,2 millions de personnes à fin 2010, soit 20 % de l’emploi total en France. 
D'autre part, un gros problème provient d'une lecture idéologique du keynésianisme, qui est devenu une légitimation des égarements de la bureaucratie. Aucun écrit de Keynes n'a jamais justifié 39 années consécutives de déficit budgétaire. Dans certaines circonstances précises et lorsqu'il s'agit de dépenses d'investissement (multiplicateur keynésien), il a attribué un impact positif au déficit budgétaire (lequel est d'ailleurs contesté par l'école des anticipations rationnelles). Notre déficit est à 97% composé de dépenses de fonctionnement, c'est un mauvais déficit qui n'a aucun effet favorable sur l'économie. Le réduire doit être une priorité cela ne pourra s'effectuer que par des économies et non par l'improbable retour à la croissance. Par ailleurs, les technocrates oublient souvent que Keynes a consacré un grand rôle aux entrepreneurs, eux qui sont poussés des "esprits animaux". Ils feraient bien de lire ou de relire la Théorie générale.   
Pour commencer à réformer, il faut du courage et aussi donner des explications car s'il y a de vraies réformes il faut accepter qu'il y ait des mécontents dans la rue. 
On peut commercer par réduire le train de vie de l'Etat : fermer par exemple de nombreuses sous-préfectures qui ne servent à rien (l'Alsace est un bon exemple, mais ce n'est pas le seul département concerné) vendre les immeubles et affecter 100% du produit des recettes au remboursement de la dette publique. Il faut appliquer à l'Etat ce qu'ont fait toutes les entreprises depuis des années : voyager en 2e classe, limiter les voitures de fonction, limiter les notes de frais etc ... Supprimer l'enveloppe discrétionnaire des députés et sénateurs qui sert au mieux à rémunérer le clientélisme et au pire à des petits arrangements entre amis. Il existe des centaines de mesures immédiates et simples à prendre. Les petites rivières feront les gros fleuves. Bref, copier toutes les recettes qui ont très bien fonctionné dans toutes les entreprises.
Ensuite, il faut toucher aux effectifs. La Cour des Comptes propose de ne pas remplacer 1 fonctionnaire sur 6, effort louable mais insuffisant, c'est un fonctionnaire sur 3 ou sur 2 partant à la retraite qu'il ne faut pas remplacer. De nombreuses subventions étatiques sont inefficaces et devraient être purement et simplement supprimées.Faire immédiatement cesser l'institutionnalisation du gaspillage de fin d'année : dans de nombreuses administrations il existe un budget annuel et lorsqu'on a été économe et que l'on n'a pas dépensé toute l'enveloppe on sera pénalisé l'année suivante par une réduction automatique du budget. Il faut revoir cette règle : nous marchons sur la tête! On pourrait par exemple imaginer un écrétage et que toutes les sommes économisées par les bons élèves aillent à l'Agence France Trésor et soient obligatoirement affectées à 100% au remboursement de la dette publique. Les bons élèves ne seraient plus sanctionnés et il deviendrait rationnel d'être un bon élève.    
Il faut dire la vérité et elle n'est pas bonne à entendre ni pour les français (les contribuables --> ceux qui financent l'Etat) ni pour les fonctionnaires. L'Etat français est en quasi-défaillance, c'est ce que le professeur Minsky appelle un "Ponzi borrower", c'est à dire un emprunteur qui rembourse ses dettes (les vielles OAT qui arrivent à échéance) par l'émission de nouvelles dettes (nouvelles OAT). Dans le langage courant on appellerait cela de la fuite en avant ou de la cavalerie. Les traitements et les augmentations des fonctionnaires sont financés par de la cavalerie. S'ils ont un minimum de bon sens, ils vont comprendre que cela ne pourra pas durer éternellement. Le gel du point d'indice devrait être une évidence et non un drame. Alors qu'on parle à tort et à travers de la solidarité, il serait grand temps que les fonctionnaires qui ont aussi une part de responsabilité dans dans la quasi-défaillance de l'Etat, se sentent concernés et solidaires. Il ne s'agit pas de faire leur procès mais de leur expliquer l'état réel des choses. 

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