Une clé... en or massif : comment Jean-Luc Delarue perdit contact avec la réalité et tomba dans la paranoïa<!-- --> | Atlantico.fr
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En 1995, alors que les millions du service public lui sont tombés dessus telle une pluie providentielle, Jean-Luc Delarue se balade dans tout Paris avec une clé en or massif.
En 1995, alors que les millions du service public lui sont tombés dessus telle une pluie providentielle, Jean-Luc Delarue se balade dans tout Paris avec une clé en or massif.
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Bonnes feuilles

Catherine Rambert brosse un portrait sans concession de la star de la télévision disparue Jean-Luc Delarue, qu'elle côtoya pendant vingt ans. Extrait de "Jean-Luc Delarue, fragments de vérité" (1/2).

Catherine  Rambert

Catherine Rambert

Journaliste et scénariste, Catherine Rambert est l'auteur de plusieurs livres dont Petite philosophie du soir (Éditions 1). Chez First, elle a déjà écrit Petite philosophie de l'amour (2012).

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« Comment voulez-vous qu’un type qui se fait faire une clé en or reste normal ? » me lance un ancien de Canal.

L’anecdote est sidérante. En 1995, alors que les millions du service public lui sont tombés dessus telle une pluie providentielle, Jean-Luc se balade dans tout Paris avec une clé en or massif ! Cette clé, il l’a fait fabriquer par un bijoutier parisien spécialement pour lui. Elle ouvre la porte d’entrée des premiers locaux de Réservoir Prod. Dans toutes les soirées, au milieu d’une foule ébahie, il l’exhibe et s’amuse de sa lubie. Les beautiful people, qui en ont vu d’autres, sont sidérés devant tant de mauvais goût. Pour Jean-Luc, inconscient du malaise qu’il provoque, cette clé est à présent le symbole de sa magnificence. Il est désormais le roi dans son royaume, le seigneur dans son château, qu’il ferme tous les soirs avec sa clé magique, sa clé d’or. Pour les autres, elle traduit déjà un comportement irrationnel et une perte de contact avec la réalité.

Toute la folie de Jean-Luc résumée dans une clé en or.

Mais une clé, fût-elle d’or, n’ouvre pas la porte du bonheur…

 (...)

Puis il s’est mis à voir des ennemis partout. Au début des années 2000, Réservoir Prod, je l’ai dit, vit une expansion tous azimuts qui coïncide avec le développement de la paranoïa de Jean-Luc. Il se renferme sur lui-même. Il répond moins à la presse, tolère plus difficilement les critiques, s’enferre dans un mutisme absurde pour un soi-disant « grand communicant ». Les rumeurs les plus folles courent à son propos dans Paris, les malentendus se multiplient, et il reste mutique.

C’est aussi la période où, en coulisses, il devient ingérable et n’arrive plus à se tenir, ni à se contenir. Dans les pince-fesses professionnels, il n’est pas rare de le croiser les yeux vitreux et la voix pâteuse. Lors d’une réception à l’Hôtel de Ville en présence de Bernadette Chirac, il ne peut contenir une crise de vomissements subite… derrière les rideaux de la grande salle de réception ! Moment de gêne et d’embarras. Jean-Luc est exfiltré aux toilettes le temps de se ressaisir. Dieu merci, la presse n’aura pas vent de l’incident, et Mme Chirac, magnanime, fera mine de n’avoir rien vu. Dans la voiture qui le ramène à Réservoir, Jean-Luc, piteux, se fait passer un savon par un membre de son équipe, qui ose lui dire que trop, c’est trop ! Il promet que cela ne se produira plus. Dans les jours qui suivent, tel un petit garçon ayant une bêtise à se faire pardonner, il sera irréprochable, sérieux, ponctuel. « Il adorait presque qu’on l’engueule, se souvient un membre de son staff, amusé. À ses yeux, cela voulait dire qu’on l’aimait, qu’on le protégeait. Jean-Luc nous était très reconnaissant de lui dire la vérité. D’ailleurs, les problèmes survenus plus tard avec les uns et les autres n’ont eu aucun rapport avec la franchise que l’on pouvait avoir avec lui. »

Malgré ces périodes de rédemption, tous ceux ou presque qui ont travaillé avec lui relatent ses dérapages verbaux de plus en plus fréquents, ses colères inouïes pour des riens, des comportements hiératiques, ses absences du bureau pendant plusieurs jours. Des jours entiers de silence durant lesquels son équipe apprend à fonctionner sans lui. Celui qui fut un bourreau de travail délègue de plus en plus – doux euphémisme : il se relâche, travaille moins.

En revanche, lorsqu’il revient à Réservoir, son esprit est toujours aussi affûté, rapide. Il rattrape son retard à la manière de ces élèves surdoués qui sèchent les cours pendant l’année scolaire, bossent comme des fous dans la dernière ligne droite et obtiennent à l’arrivée une meilleure note à l’examen que leurs petits copains plus consciencieux qui ne se sont pas dispersés. Son talent inouï le sauve et le protège. Avant ses émissions, il assimile en deux heures les fiches que ses assistants lui ont préparées pendant la semaine. Il n’a pas son pareil pour flairer les bons concepts dans les brainstormings et se révèle un as de la négociation quand il s’agit de « fourguer la camelote aux chaînes » au prix fort. En outre, s’il peut se montrer odieux avec la piétaille, il respecte sa garde rapprochée, qui le borde – il en est conscient – de tous côtés.

Toute la profession s’accorde d’ailleurs sur ce point : il s’est très bien entouré. Son staff est constitué d’un aréopage de professionnels sérieux et solides, aux compétences incontestables, et dont les tempéraments et les styles de vie sont à l’opposé des siens. Maria Roche, Gilles Bornstein (l’homme à l’oreillette), Michel Morinière, Franck Seurat… travaillent avec lui, mais ils ne font pas partie de la cour du boss.

« On ne sortait pas avec lui, ou alors uniquement lors de dîners ou de soirées exceptionnels qu’il organisait pour nous réunir. La plupart d’entre nous avions des vies très rangées par rapport à lui, avec famille et enfants. Et chacun sentait qu’il fallait lui résister et ne surtout pas l’accompagner dans ses nuits sans fin. D’ailleurs, ceux qui l’ont fait n’ont pas résisté. Ils ont été virés rapidement. Jean-Luc méprisait les larbins. Il utilisait les gens quelque temps, s’amusait avec eux et les jetait de façon assez cruelle quand il se lassait. Pour durer, avec lui, il fallait à la fois être proche et respecter une distance de sécurité. »

Autant il se tient et sauve les apparences devant sa garde rapprochée, dont il estime les compétences, autant dans le microcosme médiatique Delarue ne parvient plus à faire illusion. Les patrons de chaîne et les directeurs de programmes sont sidérés de voir à quel point l’homme est aux antipodes de l’image de gendre idéal qu’il s’est façonnée. Contre toute logique, il défie cette loi d’airain de la télévision selon laquelle on ne peut mentir à la caméra, cet impitoyable détecteur de mensonges et de faux-semblants. Sans doute parce que, même dans ses pires moments, il n’a jamais cessé de s’intéresser sincèrement aux « vrais » gens. L’alcool et la drogue troublaient son jugement et son comportement, mais j’ai toujours discerné chez lui une réelle empathie pour ses semblables. Pour paraphraser le titre du film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, il a toujours eu « le goût des autres ». Je n’en dirais pas autant de certains de ses célèbres acolytes, en apparence plus drôles et plus sympathiques, mais en apparence seulement.

Néanmoins, le costume craque de toutes parts. Et ce même microcosme qui aime tant brûler ses idoles répète en boucle des anecdotes invraisemblables sur le mode de vie de la star. Comme toujours dans ces cas-là, l’origine de l’information est toujours floue : « Je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un… » J’ai moi-même entendu tant de mythomanes, installés à des postes respectables dans la presse et dans les médias, colporter n’importe quoi. J’ai toujours accueilli avec circonspection ces racontars ineptes émanant de prétendus proches. Un ramassis de zozos bêtes et méchants qui s’étaient vaguement retrouvés à dîner chez lui et qui pensaient que cela suffisait pour compter parmi ses amis.

En les écoutant, je songeais en moi-même : « Des amis comme cela, je n’en voudrais pas comme ennemis. »

Extrait de "Jean-Luc Delarue, fragments de vérité", Catherine Rambert, (First Édition), 2013, 15.00 Euros. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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