Crispations communautaires, propos racistes et visibilité grandissante du fait religieux : état des lieux des tensions entre juifs et musulmans en banlieue <!-- --> | Atlantico.fr
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D’importantes tensions existent entre les communautés juives et musulmanes.
D’importantes tensions existent entre les communautés juives et musulmanes.
©Reuters

De pire en pire ?

Dans l'enseignement secondaire mais aussi dans le supérieur, des propos racistes et antisémites de plus en plus libérés témoignent d'un accroissement des tensions communautaires.

Sophie  Ferhadjian

Sophie Ferhadjian

Sophie Ferhadjian est agrégée d’histoire, enseignante dans le secondaire dans un lycée appartenant au système éclair et chargé de mission et des études au Haut Conseil à l’Intégration. Elle a co-écrit Les territoires perdus de la Républiques, antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire (2002,Mille et Une Nuits).

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Atlantico : Quel est aujourd’hui l’état des relations communautaires en Ile-de-France et plus particulièrement dans les départements de banlieue ? Peut-on parler d’un climat délétère entre les communautés juives et musulmanes ?

Sophie Ferhadjian : En tant que professeur et que membre du Haut Conseil à l’intégration, ce que j‘ai vu et les dire de mes collègues font clairement apparaître que d’importantes tensions existent entre ces communautés. Depuis dix ans, depuis la publication de Les territoires perdus de la République, il me semble clair que ces tensions ont nettement augmenté.

Il y a une parole antisémite ainsi que des propos racistes de plus en plus libérés, les jeunes ont de moins en moins l’impression que c’est grave. De plus, on constate une crispation communautaire, une façon de se recentrer sur les siens plutôt que de s’ouvrir. A l’intérieur même de chaque communauté on sent un repli vers le religieux et donc une réaffirmation dans la sphère publique de toute la dimension religieuse.

Cela prend parfois des formes anodines mais quand nous auditionnons par exemple l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), on note ce repli identitaire et communautaire au sein de l’Université et pas uniquement dans  le secondaire. Ce phénomène s'est généralisé car lorsque nous avons publiés Les territoires perdus de la République, l’augmentation des actes antisémites et la difficulté à évoquer la religion se concentraient dans l'enseignement secondaire.

Diriez-vous que les élèves juifs, qu’ils reçoivent une éducation religieuse ou qu’ils fréquentent des établissements privés, subissent une pression particulière ? De quelle ampleur est-elle ?

Ma fonction et mon expérience ne me permettent pas de livrer d’informations sur l’enseignement juif privé, mais seulement sur le cas de l'enseignement public. Dans le public, nous avons noté une fuite des élèves de confession juive vers l’enseignement privé à cause, surtout dans le secondaire, d’insultes antisémites et de violences particulières mais aussi à cause d’un retour à la foi. On pourrait penser que ce retour à la foi est en bonne partie dû à ces actes de violence mais si on regarde le phénomène de manière plus global ce n’est pas évident.

Ces persécutions se constatent dans le public, dans les quartiers sensibles que les journalistes aiment à appeler « populaires ». Les actes et les propos antisémites émanent dans ces quartiers davantage de gens issus de la communauté musulmane. Sans vouloir excuser quoi que ce soit, les musulmans sont surreprésentés dans ces quartiers ce qui provoque un effet mathématique.

Quelle est la position, même officieuse, de l’Education nationale sur le sujet ? Certains établissements et inspecteurs procèdent-ils à des arrangements de faits, toutes communautés confondues, pour apaiser ces tensions ?

Il n’y a aucune information officielle à ce sujet et s’il y en a cela ne remonte pas jusqu’à nous. Pour ma part, j’ai surveillé des examens et dans les établissements où j’ai travaillé, le principe de laïcité et la loi Debré ont toujours été respectés. Pour être honnête, nous n’avons jamais été confrontés à un élève qui aurait souhaité porter un signe distinctif religieux au brevet des collèges. Il faut savoir cependant que le Bac ne pose pas le même problème puisqu’il s’agit du premier examen de l’enseignement supérieur. On peut donc aisément imaginer un ou une élève qui serait venu tout l’année sans voile ou sans kippa venir avec le jour du Bac.

Qu’auriez-vous honnêtement fait si vous aviez été dans un tel cas ?

C’est une question complexe. Sur le plan personnel, en tant que femme, que professeure et que transmetteur de savoir, cela m’affecte toujours qu’un individu préfère se soumettre à la loi de Dieu qu’à celle du savoir qui selon moi est émancipateur. Bien sûr, chacun est libre de ne pas partager cet avis à la condition que sa croyance ne soit pas imposée aux autres.

Il ne faut pas non plus se tromper sur le sens du message politique que représente le port du voile. Comme l’a notamment écrit Abdelwahab Meddeb, il représente un positionnement de la femme qui est bien particulier et affirmé. De plus, nous sommes dans un établissement public où la laïcité doit s’appliquer surtout quand c’est pour un petit arrangement.

La France est une République laïque, indivisible et sociale, c’est dans la constitution. A partir du moment où l’on commence à déroger, on met le droit dans un engrenage dont on ne sait pas où il s’arrêtera. Prenons un exemple plus neutre mais très parlant : les cantines scolaires. Toute mon enfance, j’ai déjeuné à la cantine puis j’ai continué en tant que professeur. Il y a toujours eu un plat sans porc et cela n’a jamais posé problème. Mais à présent, il faut que les légumes ne soient pas en contact avec la viande. Puis les plats végétariens ne suffisent pas, il faut des plats de viandes hallal ou casher. Puis, il faudrait des assiettes compartimentées pour que les aliments ne se touchent pas entre eux ou encore la garantie que les couverts n’ont pas été en contact avec telle ou telle chose et ainsi de suite. Au départ, nous avons donc un accommodement : le plat sans porc, tout simple, et on arrive à une situation délirante dans laquelle sont revendiquées des choses toujours plus nombreuses. Ensuite, on arrive à la remise en cause du poisson le vendredi alors "le poisson tourne" pour éviter que l’on reproche l’influence de l’héritage catholique de la France.

Est-il désormais presque devenu impossible de mettre dans une même salle d’examen des élèves juifs et musulmans ?

Je pense qu’il y a des tensions mais que cela dépend du message que l’on veut faire passer. J’entends par là qu’il faut choisir une règle respectée sans transiger. Tout le monde doit pouvoir passer un examen ensemble sans se préoccuper de questions religieuses pour quelques heures. Nous sommes dans un endroit laïc où tout le monde doit être traité de la même façon. 

Au niveau de la gestion d’une salle des examens, on comprend que parfois on veuille faire des aménagements pour apaiser les tensions car s’il y a un problème, cela remonte à la hiérarchie qui ne soutient pas toujours ses troupes.

Il y a dans certaines zones un niveau de tension tel que des problèmes pourraient subvenir à cause de la mixité religieuse et culturelle. Mais cela posera d’autant plus de problèmes que l’institution se montrera trop souple. C’est le manque d’intransigeance qui mène aux tensions puisqu’il laisse exister le problème. J’ai toujours enseigné en ZEP et c’est la même chose lorsque l’on veut tenir une classe. Il faut fixer des règles et ne jamais transiger.

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