Téléréalité ou vie quotidienne, même combat : sommes-nous tous des manipulateurs (et d'ailleurs est-ce si grave) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les relations humaines sont par nature teintées de manipulation...
Les relations humaines sont par nature teintées de manipulation...
©Reuters

La confiance règne

Bernard Tapie, par ses effets de manche et sa logorrhée, a amusé sinon séduit les téléspectateurs lors de ses passages à la télé ces derniers jours. Entre le talent de communicant et celui de manipulateur, la frontière est bien trouble. Mais les relations humaines sont par nature teintées de manipulation...

Michel Bénézech

Michel Bénézech

Michel Bénézech est psychiatre, légiste et criminologue. Il est chargé du service médico-psychologique régional des prisons, à Bordeaux.

Il a co-écrit avec Christiane de Beaurepaire et Christian Kottler, en 2007, Les dangerosités : De la criminologie à la psychopathologie, entre justice et psychiatrie (John Libbey Eurotext).

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Sur Atlantico éditions : Petit guide anti-manipulateurs Partie 1 : comment les reconnaître

Atlantico : Bernard Tapie a frappé les esprits au cours de ses récentes interventions télévisées, usant de son talent de tribun et de son charisme pour convaincre. De bon communicant à manipulateur, n'y a-t-il qu’un pas ? Qu’est-ce qu’un manipulateur ?

Michel Benezech : Pour savoir s’il est un manipulateur il faudrait pouvoir comparer ce qu’il dit avec la réalité exacte des faits. Or, nous n’avons aucun moyen de comparaison. Pour manipuler, il faut séduire. Sans porter de jugement de valeur, Bernard Tapie fait preuve d’une présence étonnante. C’est un communicateur de qualité qui dépasse de loin la moyenne.

Quant au profil du manipulateur, il n’y en a pas qu’un seul. Tout dépend de qui on désigne ainsi, car nous le sommes tous plus ou moins : les conjoints se manipulent mutuellement pour se séduire et "garder" l’autre, les enfants manipulent les parents et inversement, les patrons, les employés… La manipulation, au sens général, est l’interaction entre les individus, chacun essayant au mieux de tirer son épingle du jeu.

Ensuite, s’agit-il de manipulation dans les interactions normales, ou malhonnête pour obtenir des avantages indus ? Sur les très rares études portant sur les escrocs, on trouve de tout : personnes confrontées à des problématiques psychopathologiques, narcissiques, histrioniques… Tous les types de personnalités, normales ou pathologiques, sont capables de manipulation. Il n’y a rien de spécifique au manipulateur malhonnête, sinon qu’il est malhonnête. On pourrait dire que ce qui le caractérise, c’est un système organisé de filouterie qui a pour but de lui faire obtenir certains avantages sans que cela relève de la pathologie mentale grave ou sévère. Ce sont souvent des personnes immatures qui ont eu des problèmes d’identification, et qui se font passer pour ce qu’elles ne sont pas.

Des théories parlent de double personnalité : l’une, originelle, est cachée par un double. Ce dernier se veut au-dessus de l’autre, et a pour but d’alimenter les tendances narcissiques de l’individu.

Même si le manipulateur ne franchit pas la barrière de la légalité, sur le fond le problème reste le même. Alors où placer la limite entre le manipulateur et le « non manipulateur » ?

J’ai connu des gens qui s’intéressaient beaucoup aux personnes âgées qui n’avaient plus de famille, et les manipulaient en les aidant, de façon à obtenir des avantages en nature considérables, ou bien des promesses de ventes très intéressantes… Pour que ces pratiques tombent sous le coup de la loi, il faut que plainte soit déposée. De la plus simple à la plus élaborée à la Madoff, la diversité des manipulations est extrême.

Nous sommes tous plus ou moins dans une situation de représentation, et donc de manipulation. Où placer alors la limite morale de la manipulation ?

Dans les affaires, certains grands hommes d’affaires dits honnêtes utilisent des manipulations qui relèvent de l’escroquerie. A certains niveaux économiques et commerciaux, la manipulation fait partie intégrante du système. Les Américains doivent manipuler pour vendre des Boeing, et de notre côté nous devons en faire de même pour écouler nos Airbus...

Qu’est-ce qui nous retient de devenir des manipulateurs « cliniques » ?

En des termes psychanalytiques, c’est notre surmoi, c’est-à-dire notre capacité de culpabiliser, qui nous retient. Culturellement, on est censé acquérir un certain niveau de jugement moral qui recoupe les règles légales, mais en principe le dépasse. A l’inverse, on peut faire des choses moralement inacceptables, mais autorisées par la loi. Dans certains domaines, on peut voler les gens par des mécanismes qui échappent à la répression pénale.

Ceux qui n’ont pas atteint ce niveau de jugement moral sont capables du pire si les circonstances y sont propices. Ces problèmes sont d’ordre éducationnel ; ils ont eu des carences affectives, n’ont pas pu s’identifier à la loi morale représentée principalement par le père. Le premier modèle de société que nous avons est celui de la famille, et si à ce niveau-là l’enfant n’a pas acquis les règles élémentaires de la vie sociale (honnêteté, liberté, altruisme), il ne les appliquera pas à l’âge adulte. Il est certaines choses que nous ne faisons pas dans un contexte social normal, mais dont nous sommes capables dans un contexte déstructuré. En temps de guerre, on a souvent vu des gens honnêtes dénoncer leur voisin par pur intérêt concurrentiel.

Quels procédés le manipulateur emploie-t-il pour arriver à ses fins ?

Le manipulateur s’attaque de préférence à des personnes fragiles et isolées. Le "bon manipulateur" malhonnête a des techniques très sûres pour tromper des professionnels, par nature aguerris et méfiants, ou bien adopte des procédés plus simples pour abuser le commun des mortels en profitant de sa crédulité et de son inexpérience. Les retardés mentaux légers sont de bonnes cibles. Le génie du manipulateur réside dans sa capacité à identifier les personnes à qui il s’adresse  et à instaurer le contexte pour les abuser.

Les personnes normalement constituées sont moins exposées, à condition qu’elles maîtrisent le  domaine en question. On ne peut pas être méfiant sur tout ; les manipulations viennent de tous bords : religion, politique… C’est le propre de ce dernier : manipuler la population pour obtenir des votes. La manipulation n’est pas toujours malhonnête, puisque la "marchandise" proposée peut être de bonne qualité.

Peut-on ainsi conclure que la manipulation n’est pas moralement mauvaise ?

Il existe des manipulations utiles et éclairées. Votre médecin fait alors partie des manipulateurs : il sait comment vous orienter, pour votre bien. La délivrance d’une information étant toujours subjective, il y a nécessairement manipulation. L’acte de vente est aussi une manipulation en soi. Les médias nous manipulent eux aussi, etc. Tout ce qui est relationnel est affaire de manipulation.

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