Accord de libre échange UE-US : ceux qui y gagneraient, ceux qui y perdraient <!-- --> | Atlantico.fr
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Les négociations sur le traité de libre-échange transatlantique commencent ce lundi malgré les révélations des opérations à grande échelle d’espionnage menées par la NSA.
Les négociations sur le traité de libre-échange transatlantique commencent ce lundi malgré les révélations des opérations à grande échelle d’espionnage menées par la NSA.
©Reuters

Négociations

Les négociations sur le futur traité de libre-échange entre la France et les États-Unis commencent lundi et vont durer au moins un an et demi. Les débats s'annoncent complexes, et l'accord qui en résultera promet de rebattre les cartes du commerce international des deux côtés de l'Atlantique.

Michel  Fouquin, Jacques Sapir et Jean-Pierre Corniou

Michel Fouquin, Jacques Sapir et Jean-Pierre Corniou

Michel Fouquin est conseiller au Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) et professeur d'économie du développement à la faculté de sciences sociales et économiques (FASSE).

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011). Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).
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Atlantico : Les négociations concernant le traité de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne commencent ce lundi en dépit des couacs provoqués par l'affaire d'espionnage par les Américains. Alors que la France souhaitait un arrêt des discussions suite à cette affaire, Angela Merkel s'est prononcée en faveur de la poursuite de celles-ci. Dans quel état l'Europe aborde-t-elle ces discussions ? Et avec quelles conséquences potentielles ? Comment les États-Unis pourraient-ils en tirer parti ?

Michel Fouquin : Les négociations sur le traité de libre-échange transatlantique commencent ce lundi malgré les révélations des opérations à grande échelle d’espionnage menées par la NSA contre notamment les Institutions européennes et de certaines ambassades européennes aux États-Unis. La Commission a obtenu en compensation la tenue en parallèle d’un groupe d’experts transatlantique pour discuter des pratiques américaines (notamment en matière de protection et de partage des données privées). C’est une concession faite par les Américains. Madame Merkel, la Commission et la plupart des pays membres voulaient absolument maintenir la date d’ouverture des négociations, les Français ne le voulaient pas, mais ils étaient isolés sur ce sujet et ont donc choisi d’accepter ce compromis. Sur le contenu des travaux de ce groupe d’experts on ne sait rien pour l’instant, mais il est clair que cela pourrait être un moyen de pression de l’Europe sur les États-Unis. Les Européens ont en vain essayé depuis deux ans d’obtenir l’accès aux données privées récoltées par les agences américaines et la réciprocité sur, par exemple, les informations sur les passagers utilisant les transports aériens.

Jacques Sapir : Dans la négociation qui commence les intérêts des uns et des autres sont très différents. Compte tenu de l’effondrement du marché dans la zone euro, l’Allemagne a besoin de s’ouvrir le marché des États-Unis. Par ailleurs, elle anticipe la probabilité d’une réévaluation de l’euro par rapport au dollar US. Les grandes entreprises allemandes, dont certaines produisent déjà aux État-Unis vont développer leur production locale. Pour toutes ces raisons l’accord de libre-échange transatlantique est une nécessité pour les entreprises allemandes. Même s’il détruit des emplois en Allemagne, la baisse de la population active que l’on connaît et qui va s’amplifier dans les dix ans à venir compensera cela. De ce point de vue Mme Merkel suit une politique parfaitement cohérente avec les intérêts des entreprises allemandes mais nullement avec ceux des travailleurs européens. Il est plus que regrettable, il est en fait condamnable, que la France n’ait pas bloqué la négociation.

Jean-Pierre Corniou : La division de l’Europe est une plaie structurelle qui pèse sur notre position mondiale dans tous les domaines qui impliquent des négociations. Face aux grands ensembles continentaux politiquement homogènes que sont les États-Unis, la Chine, le Brésil ou la Russie nous sommes certes un géant, qui constitue la première économie mondiale, mais composé de 28 entités distinctes et soucieuses de ne pas perdre leur souveraineté. De fait il y a une double négociation. Entre les 28 états membres d’abord, avec des jeux d’influence et d’alliances, puis avec l’extérieur. Les États-Unis sont mieux préparés, mieux organisés et beaucoup plus clairs que les Européens sur leurs objectifs. La dissymétrie tient au fait que l’Union européenne n’est pas un État, ses dirigeants ne sont pas responsables devant le suffrage universel, alors que Etats-Unis et pays européens ont chacun des leaders soucieux de leur électorat. Si une telle négociation implique une minutieuse préparation par les experts qui vont passer au crible les tarifs douaniers et ce qu’on appelle les obstacles non tarifaires, secteur par secteur, l’accord final se fera au niveau politique ce qui implique une solide capacité d’engagement. Evidemment les États-Unis exploiteront les moindres failles des positions européennes qui résulteront de compromis internes plus ou moins robustes.

Que contient cet accord ? Quels sont les points les plus sensibles d'un côte comme de l'autre ?

Michel Fouquin : Par définition – à moins d’être destinataire des mandats des négociateurs – on ne sait rien de précis. Le commissaire Barroso souhaitait avoir le mandat de négociation de la part des pays membres le plus large possible, la France s’y est opposée obtenant d’exclure l’industrie culturelle de la négociation. C’est la seule exception connue qui avait d’ailleurs mis en rage José Manuel Barroso. Le mandat est donc très large.

Pour l’Europe un des points importants de la négociation sera certainement la question de l’accès aux marchés publics : du coté européen on considère que 80% des marchés publics sont ouverts à la concurrence internationale contre un tiers seulement du coté américain. Les États américains sont particulièrement arc-boutés sur la défense de ces marchés qui ont sans doute une grande valeur électorale et industrielle pour défendre les PME américaines.

Sur les droits de douane, les gains attendus sont assez faibles – en moyenne ceux-ci sont inférieurs à 3% – mais il existe des secteurs sensibles du coté européens : les viandes notamment. Mais dans ce domaine les questions les plus importantes concernent les OGM et les certifications des contenus des conserves alimentaires. Autre sujet est celui des appellations d’origine dont les Américains ne veulent pas. D’une manière générale la question des normes sera centrale que ce soit en matière de sécurité des produits, de qualité sanitaire etc. La question n’est pas toujours source de conflits et permettrait au contraire aux occidentaux d’imposer leurs normes au reste du monde, c’est un des intérêts d stratégiques de ces négociations.


Enfin se pose la question des multinationales. Les États-Unis ont obtenu des Canadiens et des Mexicains, dans le cadre de l’accord de libre-échange entre pays de l’Amérique du Nord ALENA, que les multinationales puissent attaquer directement les réglementations des États partenaires si elles pensent qu’elles leur sont désavantageuses. Les Européens n’en veulent absolument pas. Les questions fiscales pourraient être abordées et un accord sur la lutte contre l’optimisation fiscale qui prive tous les Trésors publics nationaux de recettes importantes en ces temps de déficits abyssaux.

Jacques Sapir : Cet accord va porter essentiellement sur les obstacles dits "non-tarifaires", soit les normes de sécurité et les normes environnementales. On sait que les États-Unis appliquent des normes bien moins sévères que l’Union européenne dans un grand nombre de cas. L’accord risque donc fort d’aboutir à un alignement des normes européennes sur les normes étasuniennes. Une autre dimension de cet accord porte sur les services. Ici aussi, on est en présence de normes très différentes entre les États-Unis et l’UE, en particulier sur les conditions de travail. Là aussi il faut craindre un alignement sur le "moins disant/moins coûtant" qui soit très défavorable aux travailleurs européens. De ce point de vue il convient de regarder ce que représente dans le revenu national américain la part des 1% les plus riches : 23% ! On atteint en réalité 8% à 9% pour la France. On voit bien que derrière des discussions techniques c’est en réalité au démantèlement complet du « modèle social » de l’Europe continentale que l’on va assister.

Jean-Pierre Corniou : Quelques rappels... Depuis le XVIIIe siècle l’idée du libre-échange s’est développée contre son antithèse le protectionnisme, plus facilement pratiqué, car les dirigeants ont de tous temps cherché à protéger par des taxes leur industrie et leur commerce contre la pénétration de produits étrangers. Par le libre-échange, chacun est potentiellement gagnant en ouvrant ses frontières aux biens et services de l’autre. C’est la doctrine de fond retenue aujourd’hui par la communauté mondiale dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, crée en 1995 à la suite des négociations du cycle d’Uruguay entre 1986 et 1994. L’OMC veille au respect des traités entre États sur les conditions de liberté du commerce et sur la transparence et la stabilité des règles. C’est aussi une instance de gestion des différends.

Mais ce qui constitue une fois encore le cœur des débats entre Europe et États-Unis, dans un contexte de crise, c’est le degré d’adhésion à l’idée que le libre commerce entre territoires est un facteur d’enrichissement mutuel, de développement économique et de création d’emploi. Or ouvrir plus largement le commerce international signifie d’abord plus de concurrence, et donc la fragilisation des entreprises les moins bien préparées.

Or si les économies européennes et américaines, également matures, sont interdépendantes, nous sommes à la fois rivaux et partenaires comme l’industrie aéronautique le démontre. Or Europe et États-Unis représentent 31% du commerce mondial et 49% du PNB mondial. Les flux quotidiens s’élèvent à 2 milliards d'euros de biens et services. Les investissements mutuels représentent un stock de 2,8 trillion d'euros. Ce sont plus de 800 millions de citoyens qui sont concernés par cette négociation.

Les relations économiques sont aujourd’hui définies par l’accord-cadre de 2007 sur le "nouveau partenariat économique transatlantique" qui a déjà comme objectif de s’attaquer aux obstacles non-tarifaires. L’enjeu de cette nouvelle négociation avec les États-Unis, défini en juin 2012 par le Groupe de travail conjoint sur l’emploi et la croissance, est de progresser dans la réduction des obstacles résiduels au commerce mutuel, dont 80% sont non-tarifaires et concernent les normes et les procédures qui coûtent chers aux entreprises et, complexifiant les échanges, les ralentissent. Un mandat de négociation a été donné le 14 juin 2013 par les États membres à la Commission.

L'UE pourrait gagner 0,5 point de croissance supplémentaire par an contre 0,4 pour les États-Unis si l'on se fie aux estimations de la Commission européenne. Qu'en est-il réellement ? Où se situent les intérêts des uns et des autres ?

Michel Fouquin : La négociation n’ayant pas commencé, on ne sait donc pas quel en sera l’impact. Les estimations citées sont de l’ordre de la mystification sophistiquée, le seul résultat sensible concerne les effets sectoriels de telle ou telle mesure et dans ce cas on montre en général que les gains du consommateur sont plus importants que les pertes potentielles des producteurs et donc que tout le monde est gagnant-gagnant comme le veut la vulgate libérale.

Plus sérieusement, n’oublions pas que l’Europe dégage des excédents commerciaux importants, et que le marché américain leur est fondamentalement favorable depuis 1945. Les conflits du passé ont montré que l’organisme de règlement des différents de l’OMC avait donné des résultats somme toute assez équilibrés. Cela dit certains secteurs, et donc certains pays, seront négativement affectés (viandes) tandis que d’autres y gagneront (automobile par exemple).

La difficulté de l’Europe c’est qu’elle est constituée de 28 pays qui n’ont pas des intérêts identiques et que les États-Unis peuvent être tentés d’en profiter pour obtenir plus qu’ils ne céderont. C’est à la Commission – rappelons que c’est elle qui négocie – et que par définition elle doit trouver le moyen de  satisfaire ses mandants. Il y aura forcement des psychodrames (on se souvient peut être de Balladur et de l’accord de Blair House qui avait permis de conclure le cycle de l’Uruguay). Cependant rappelons aussi que les États-Unis et l’Union européenne avaient trouvé un terrain d’entente au cours du cycle de négociations de Doha et que c’étaient les Indiens, soutenus par la Chine et le Brésil, qui ont fait échouer ce cycle.

Enfin on remarquera que le Parlement européen aura son mot à dire et que dans ce domaine il est sensible à la défense des intérêts européens (voir sa position sur les panneaux solaires ou sur l’espionnage américain).

Jacques Sapir : Les estimations de croissance faites ici et là sont parfaitement fantaisistes et reposent sur des modèles qui ont été construits justement pour valider le libre-échange. Si l’on regarde vers le passé, on constatera que l’extension du libre-échange ne s’est pas accompagné de gains de croissance. Si l’on regarde le taux de croissance sur longue période de la France, on voit qu’il est passé de 2,6% par an de 1980 à 1989, dans une période de libéralisation régulée des marchés à 1,8% par an de 1990 à 2007, dans une période de libéralisation déréglementée. De ce point de vue tant la France que l’Union européenne ne seront pas tant les "idiots utiles" du libre-échange que les otages et les victimes des grandes entreprises allemandes et américaines. De ce point de vue, il ne faut jamais oublier qu’aux États-Unis on peut toujours invoquer des réglementations de sécurité nationale pour suspendre les effets d’un accord de libre-échange. Or, il n’existe pas de disposition de ce type en Europe. Nous négocions tout nu alors que les Américains gardent leurs habits et leur colt.

Jean-Pierre Corniou : La Commission estime que l’ouverture additionnelle aux échanges avec les États-Unis représente un enjeu de 187 milliards d'euros par an de nouveaux débouchés pour les entreprises européennes. Le chiffre de deux millions de création de nouveaux emplois est évoqué. Nul ne peut contester ces chiffres, ni en avancer raisonnablement d’autre, car nous n’avons pas de vision du résultat auquel les négociations aboutiront, ténu ou ambitieux. Il faut aussi mesurer l’impact d’un accroissement des flux d’échanges transatlantiques sur les autres courant économiques avec ces deux zones. La Chine, comme la plupart des pays émergents, pourraient en souffrir ce qui entrainerait de leur part des réactions. Car si en France on mesure, comme d’habitude, les risques pour notre seul pays, on sous-estime le caractère offensif qu’un tel accord, en imposant des "normes atlantiques", pourrait représenter envers toutes les autres nations du monde. On commence d’ailleurs à parler d’un "accord OTAN".

Les sujets d’intérêt mutuel comme de frictions, voire de conflits, sont légion de part et d’autre. Les négociations constitueront donc un test sur la capacité de ces deux ensembles à faire émerger un intérêt commun en dépit des difficultés qui engagent la responsabilité politique des États. Chaque partie va chercher à améliorer sa situation concurrentielle relative, et ceci dans un jeu complexe où où les cartes sont rebattues avec les BRICS en général, mais aussi avec les pays producteurs d’énergie parmi lesquels les États-Unis font un surprenant come-back.

Agriculture, agroalimentaire, électronique, textiles, chimie, énergie, produits manufacturés, produits pharmaceutiques, accès aux marchés publics, sont autant de sujets complexes pour lesquels les intérêts européens ne sont pas toujours convergents au sein même de l’Europe, et divergent avec ceux des États-Unis. Quand on aborde l’épineux dossier agricole, entre la Politique agricole commune d’un côté et le Farm Act de l’autre, qui rencontrent de multiples difficultés, on sait bien que les discussions techniques sur l’environnement, la production et les prix agricoles se placent sous la menaçante épée de Damoclès des influentes populations rurales. Quand les produits de la chimie américaine bénéficient de la baisse du prix du gaz de l’ordre de 30% apportée par l’exploitation du gaz de schiste, les industriels européens estiment qu’ils ne sont pas dans des conditions de concurrence loyale tant que la fracturation hydraulique est interdite. Les conceptions européennes et américaines en matière d’environnement qui impriment leur marque sur un grand nombre de normes sont suffisamment divergentes pour des raisons de fond qu’on ne voit pas comment ces discussions pourront les faire rapidement évoluer. Les OGM, la propriété intellectuelle, la sécurité alimentaire et la santé sont autant de sujets complexes qui ralentiront une avancée sereine des négociations. Quant à la protection de la culture, c’est un infini sujet de débats internes dont on voit mal comment les négociateurs viendront à bout. Il faut également intégrer le problème de la parité » euro/dollar dont la volatilité peut miner tout accord soigneusement équilibré.

On s’engage donc dans une longue et laborieuse discussion, sous l’oeil des parlements et de l’opinion publique, émaillée de succès partiels, de crises et de coups de théâtre. Il est peu vraisemblable qu’un accord soit conclu avant la date officiellement prévue, fin 2014.

Au delà des droits de douanes, quel est le risque en terme d’homogénéisation des normes que ce soit en matière agricole, financière ou encore... culturelle ?

Michel Fouquin : En période de crise il est tentant de faire des étrangers les boucs émissaires de nos ennuis, la question du moment n’est pas seulement une question bilatérale elle engage aussi le reste du monde. A l’heure où les États-Unis ont fait de l’Asie le pivot de leur stratégie mondiale, et du "containment" de la Chine leur priorité, le renforcement des liens économiques transatlantiques peut être un bon moyen de maintenir notre relation privilégiée depuis le plan Marshall. Définir en commun les règles du jeu mondial tel est le cœur de la négociation et, sur le fond, on doit reconnaitre que les systèmes économiques européens ne sont pas si différents que cela les uns des autres pour que l’on ne puisse trouver un terrain d’entente.

L’arrogance américaine que révèle leurs écoutes tous azimuts – et qui sont sans doute beaucoup moins sensibles qu’on ne pourrait le croire (certains faisant remarquer qu’avec 28 membres élaborant le mandat de négociation européen il n’y a pas grand-chose à cacher de ce coté-ci de l’Atlantique) de même l’arrogance chinoise apparue lors du conflit sur les panneaux solaires démontrent que les positions fermes sont payantes pourvues qu’elles soient bien fondées.

Jacques Sapir : Les problèmes vont se focaliser essentiellement sur l’agriculture, où les normes environnementales et le principe de précaution en théorie si cher aux Européens seront les premières victimes de ce futur accord et dans le domaine financier ; où l’on va s’aligner toujours plus sur les normes financières mais surtout sur les normes comptables des États-Unis. On peut en voir l’intérêt pour les sociétés financières européennes, mais cela rendra toujours plus difficile l’établissement de contrôles étatiques sur la finance. En fait, on peut se demander s’il n’y a pas une opposition fondamentale entre les intérêts de certaines grandes entreprises qui sont déjà parfaitement mondialisées et qui veulent s’émanciper de toute possibilité de contrôle public et les intérêts des populations, que l’on considère les producteurs (et les salariés) ou les consommateurs. Ce sont donc des perspectives très sombres pour les peuples européens qui s’annoncent avec cet accord qui sera, dans les faits, négocié dans leur dos.

Jean-Pierre Corniou :  Les deux économies européennes et américaines ont été également frappées par la crise de 2008 qui a accéléré leur désindustrialisation, accru leur endettement, et dégradé l’emploi avec de lourdes conséquences au niveau des territoires. Si leur économie traditionnelle est également fragilisée, les États-Unis ont une longueur d’avance dans tout ce qui produit et embarque des contenus numériques.

Tous les arguments continueront à être échangés entre souverainistes, partisans d’un protectionnisme intelligent, et libéraux au cours des longs mois que vont durer cette négociation. Mais s’il est certain que l’enfermement durable derrière ses frontières est rarement porteur de progrès, il faudra certainement préparer de façon pédagogique les opinions publiques à cette nouvelle transformation, plus aujourd’hui synonyme de menaces que d’opportunités. Pour créer la confiance,  il faudra également que les négociateurs ne fassent preuve ni de naïveté ni d’angélisme pour ne pas céder facilement sur les valeurs profondes du modèle européen en les échangeant contre de potentiels emplois. L’économie mondiale est entrée en résonance durable et il faut s’y mouvoir avec circonspection.

Toutefois, si la mondialisation fait son oeuvre pour uniformiser de nombreuses pratiques, notamment tout ce qui touche à cette industrie neuve qu’est le numérique avec 6 milliards d’utilisateurs de téléphone mobile et 2,5 d’accédants au web, elle ne change pas les pratiques sociales aussi facilement. Les particularismes des marchés sont tenaces, et salutaires car liés aux cultures nationales, et ce ne sont pas les négociations qui vont faire évoluer instantanément les goûts des consommateurs en matière alimentaire, d’électro-ménager, d’automobiles...

Le développement des échanges au sein de cette zone transatlantique, coeur historique aujourd’hui contestée dans sa suprématie politique, économique et militaire par l’Asie constitue donc un événement majeur pour l’économie mondiale et va marquer les prochaines années.

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