La Belgique peut-elle survivre à un nouveau roi au charisme d’une moule (frites) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi des Belges, Albert II, a annoncé ce mercredi 3 juillet qu'il abdiquera le 21 juillet, jour de la fête nationale de la Belgique.
Le roi des Belges, Albert II, a annoncé ce mercredi 3 juillet qu'il abdiquera le 21 juillet, jour de la fête nationale de la Belgique.
©Flickr

Abdication

Dans une allocution radiotélévisée, le roi des Belges, Albert II, a annoncé ce mercredi 3 juillet qu'il abdiquera le 21 juillet, jour de la fête nationale de la Belgique. Une décision qui intervient après qu'il ait joué un rôle majeur dans la crise politique de 2010-2011 et à la veille d'une potentielle remise en cause de la royauté par la Flandre.

Alain  Destexhe

Alain Destexhe

Alain Destexhe est député belge,  ex sénateur, initiateur de la commission d'enquête du Sénat belge sur le génocide du Rwanda. Il a également été secrétaire général de Médecins Sans Frontières et est l'auteur de Le mouvement flamand expliqué aux francophones (ed. La Renaissance du livre).

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Atlantico : Le roi des Belges, Albert II, a annoncé ce mercredi 3 juillet qu'il abdiquera le 21 juillet, jour de la fête nationale de la Belgique. Le roi avait joué un rôle central de médiateur durant la longue crise politique de 2010-2011 en incarnant l'unité nationale. Aujourd'hui, la cohésion du pays est-elle toujours menacée ?

Alain Destexhe :Il n'y a plus que deux grands ciments nationaux en Belgique : Bruxelles et la famille royale. Albert II a joué un rôle de modérateur et de pacificateur durant la crise, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'à long terme l'avenir de l'institution royale est assurée, ni que la cohésion de la  Belgique sera maintenue. Au Nord du pays, il existe un fort courant d'opinion qui conteste à la fois la Belgique en tant qu' Etat et le système politique basé sur la monarchie.

Notre système institutionnel proportionnel ressemble à celui de IVe République française avec une dizaine de partis représentés au parlement avec pour chaque parti une aile francophone et une aile néerlandophone : deux partis socialistes, deux partis libéraux, deux partis écologistes, etc. Cela fait beaucoup pour un pays de onze millions d'habitants. Après les élections, dégager une majorité et constituer un gouvernement est très difficile.

Le roi a alors une importance capitale car il choisi "l'informateur" qui est une sorte de démineur chargé d'analyser les différentes combinaisons politiques possibles. Le roi choisi enfin un formateur qui est le Premier ministre. La crise de 2010 a duré 541 jours avant la constitution d'un nouveau gouvernement. Personne ne veut revivre cela en 2014 et pourtant l'équation politique est plus compliquée que jamais avec une N-VA (parti nationaliste flamand) entre 35 et 40% dans les sondages en Flandre. Il est probable que Albert II préférait assurer sa succession avant les élections 2014 qui pourraient déboucher sur une remise en question de la royauté en Flandre.

Au-delà de la question institutionnelle, quels sont les principaux problèmes qui divisent le pays ? La Belgique existe-t-elle toujours en tant qu'État-nation ?

Les forces centrifuges sont extrêmement fortes en Belgique avec un écart économique important entre les régions. La Flandre se situe globalement dans l'ensemble Europe du Nord : Allemagne, Pays-Bas, Autriche, pays scandinaves. La Wallonie est beaucoup plus pauvre avec un modèle économique plus proche de la France et un taux de chômage plus important. Les Belges n'ont plus les mêmes intérêts selon qu'ils habitent au Nord ou au Sud du pays.

Au fil du temps, l'identité nationale s'est donc dissolue. Les Belges n'ont plus les mêmes héros, les mêmes modèles positifs. Ils n'écoutent plus les mêmes chanteurs et ne regardent même plus les mêmes émissions de télé. Par exemple, il y a deux versions de la "Nouvelle Star" belge. Du côté francophone, cette émission s'appelle "la Belgique a du talent" et du côté néerlandophone, elle s'appelle "la Flandre a du talent". La Flandre, y compris dans les émissions de télévision, s'assume déjà comme un pays à part entière. Il y a une opinion publique au Nord du pays et une opinion publique au Sud du pays.

Les forces politiques sont également opposées. Le parti nationaliste flamand est aujourd'hui le parti le plus puissant de Belgique. La Flandre est à 81% à droite ou au centre-droit alors que la Wallonie est au deux tiers de gauche. Dans ces conditions, il est de plus en plus difficile de composer un gouvernement fédéral. Le gouvernement actuel allie des libéraux, proches de l'UMP, et des socialistes, proches du PS français. C'est un cocktail explosif. En France, lorsqu'il faut faire des restrictions budgétaires, c'est le gouvernement qui prend la décision et qui l'assume. En Belgique, six partis, au départ d'accord sur rien, doivent se mettre autour de la table. Ils négocient et font des compromis. De compromis en compromis, la politique n'est plus lisible et la Belgique devient très difficilement gouvernable.

Malgré les forces centrifuges, il reste cependant un sentiment d'unité nationale qui s'exprime lors des grands événements sportifs (football, tennis) ou les grandes tragédies comme l'affaire Dutroux. Bruxelles, qui est essentiellement une ville internationale et francophone, mais qui est aussi la capitale de la Belgique et de la Flandre, est également un vecteur d'unité pour des raisons économiques et d'image à l'étranger. Sans Bruxelles, il n'y aurait plus de Belgique depuis longtemps. La famille royale n'intervient qu'en second lieu.

L'absence de charisme du prince héritier Philippe peut-elle encore fragiliser le pays ?

Il y a beaucoup d'interrogations sur la personnalité du prince qui contraste très fort avec les familles royales néerlandaises ou anglaises beaucoup plus populaires et charismatiques. Il est régulièrement critiqué dans la presse surtout dans le Nord du pays. Le prince Philippe est extrêmement réservé et donne le sentiment d'être mal à l'aise en public. Il y a beaucoup d'interrogations dans la population et plus encore dans le monde politique sur sa capacité à exercer la fonction et à jouer le rôle de ciment entre le Nord et le Sud du pays. Mais il faut préciser que ces interrogations étaient identiques au moment auquel Albert II a pris ses fonctions à la mort du roi Baudoin. Il a longtemps eu la réputation d'un bon vivant assez sportif peu préoccupé par les affaires de l’État.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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