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Le terme "Sex" est la requête la plus fréquente sur le moteur de recherche Google.
Le terme "Sex" est la requête la plus fréquente sur le moteur de recherche Google.
©Reuters

Série : Nouvelles addictions

La pornographie est accessible très facilement sur Internet et les addicts sont toujours plus nombreux. Le terme "Sex" est la requête la plus fréquente sur le moteur de recherche Google. Le cerveau est-il accro à la dopamine libérée pendant le visionnage ? Premier épisode de notre diptyque. Demain : "Comment s’en sortir".

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : La pornographie est accessible très facilement sur Internet, on la trouve sous toutes les formes. Le terme "Sex" est la requête la plus fréquente sur le moteur de recherche Google. Comment devient-on accro à la pornographie ? Est-ce une véritable addiction, comment se caractérise-t-elle ? Le cerveau est-il accro à la dopamine libérée pendant le visionnage comme il peut l'être à la nicotine ?

Michelle Boiron : La pornographie joue sur l'excitation. Le mode d'entrée dans l'excitation de chaque personne diffère selon les premières scènes vécues qui ont été enregistrées dans le cerveau. Elles sont souvent très archaïques et stockées dans l'inconscient comme endormies. Dans le visionnage d’un porno, le réveil est brutal quand il effracte et dépasse l'entendement de ce que le corps est prêt à ressentir et de ce que le regard est prêt à voir. Quand le sujet se fait "choper" par l'effet "tornade jouissante" du film porno, comment ne pas y retourner, juste une fois, pour voir si on a bien vu ? L'effet puissant se reproduit, l'excitation est à son comble, et surtout non dépendante d'un autre avec qui il faudrait rentrer en relation.

Cette jouissance va désormais devenir autonome et réclamer son "dû". L'intervalle entre deux "prises de vue" se raccourcit. Sur cela se greffe l'obsession, l'organisation du «plan cul», sa réalisation, ce qui va prendre un temps considérable dans la vie du sujet. Le produit, qu'il soit objet ou sujet, n'est pas domestiqué ; il vous prend, il vous pénètre, il ne vous lâchera pas. Il ira jusqu'à l'envahissement de votre être, il créera un besoin impérieux, cette fois dépourvu de bénéfice secondaire : shunter le circuit de la récompense ! L'acte perdra petit à petit sa fonction d'apaisement et laissera le sujet dans une détresse abyssale.

Les scientifiques hésitent à entériner ce mouvement et à qualifier d'addiction ces nouveaux comportements d’addicts sexuels. Les toxicomanies sans drogue ou addictions comportementales sont encore l'objet de controverses et l'on retrouve dans les débats l'opposition classique entre les tenants d'approches biomédicales et les défenseurs d'approches psychosociales. Néanmoins la perte de la liberté de s’abstenir de consommer est bien là chez ces personnes c’est pourquoi on peut dire qu’elles sont addicts à la sexualité. Pour ce qui est du cerveau, pour que l’addiction s’installe, il doit exister un excès d’activation du cerveau émotionnel et en même temps une inhibition comportementale.

Regarder du "Hard-porno" - qui met en scène viols, incestes - est-il synonyme de troubles psychologiques ? L'addiction à la pornographie s'accompagne-t-elle fréquemment d'une addiction au sexe ?

De manière générale l’addiction est un révélateur de troubles psychologiques. L’addict sexuel développe souvent d’autres addictions en parallèle et présente des comorbidités telles que la dépression, des états anxieux, un stress intense.

Certains «êtres» fragiles, angoissés risquent de se laisser entraîner de manière insidieuse vers la pronographie car elle n’implique pas une rencontre avec un «autre». Le film porno va agir comme une solution, un médicament : soulager une angoisse, procurer une excitation et en plus donner du plaisir. Hélas l'excitation qu'il en re"tire" va le faire glisser vers une répétition incontrôlable.

Insidieusement la dépendance s'inscrit. Comme dans toute dépendance il y a une accélération, une spirale. Ce qui lui procurait un effet au début va progressivement le désintéresser, et cette désensibilisation le conduira insidieusement vers des images de plus en plus « hard » pour obtenir le même effet. Il est pris dans un processus de fuite. La maladie addictive va jusqu'à occulter les causes, le sens profond de la conduite. Le sujet est pris par un phénomène de répétitions, voire d'accélérations difficiles à réguler, jusqu'à la perte de liberté. Il est face à un leurre et retrouve le malaise initial, le vide affectif auquel il a à faire face depuis bien longtemps.

La seule différence entre les addictions "classiques" et les addictions comportementales réside non pas dans le truchement du produit, mais dans son mode de consommation. La drogue est ingérée, introduite dans le corps par la bouche ou par les veines. Alors que le produit que "consomme" l'addict sexuel reste étranger à son corps. La racine de l’addiction est la même, les comportements diffèrent ou se conjuguent. L’addict sexuel peut à la fois consommer du porno, être addict au sexe avec de multiple partenaires et aussi de multiple masturbations journalières. On parle d’addiction sexuelle quand on ne maitrise plus la consommation et qu’il est impossible de s’arrêter.

Quelles sont les répercutions de l'addiction au porno dans la vie sexuelle, sociale, amoureuse ?

Une désocialisation progressive, un isolement, le temps passé pour satisfaire ses «plans cul» qui va s’étendre dans tous les domaines de la vie au détriment des autres activités. Cette conduite addictive qui au début est cachée, secrète va se donner à voir, l’addict va se faire prendre par son ou sa partenaire qui jusque là n’avait pas vu ou pas voulu voir.  Acte manqué ? Probablement. A partir de cette découverte suit un long processus qui va du déni à la prise de conscience et de soin dans le meilleur des cas.

Ce qui permet de prendre conscience, c'est la souffrance qui devient intenable. Elle se substitue petit à petit à la récompense à la jouissance. Le médicament «sexe» ne fait plus son effet malgré l ‘augmentation des doses. Il est parfois complété par d’autres produits addicts comme l’alcool ou la drogue

Quelles sont les personnalités les plus sujettes aux addictions sexuelle et pornographique? Est-il vrai que les garçons sont plus attirés par la pornographie que les filles ? En quoi l'éducation sexuelle des garçons et des filles est-elle différente ?

A l'évidence tous ceux qui ont regardé des films pornographiques ne deviennent pas des addicts sexuels ! Seuls certains êtres fragiles risquent d'être entrainés vers cet état de dépendance qui caractérise l'addiction. Ils ont une angoisse à apaiser, un vide existentiel à combler. On décèle dans leur personnalité de façon sous-jacente des troubles anxieux, des troubles de l'humeur, parfois un abus de substance, et une manière particulière de gérer leur stress. On retrouve souvent une dépression larvée et une faible estime de soi. 

Si les garçons sont plus à risques c’est en partie parce qu’ils sont plus visuels que les filles. L’excitation masculines passent  par ce qu’ils voient d’où la consommation de film. Alors que les filles sont plus d’avantage dans l’émotion.

L'addiction au sexe et au porno a-t-elle toujours existé ? Qu'est-ce qui a évolué ces dernières années ? Cette nouvelle addiction est-elle le symptôme d'une société frustrée sexuellement ? Pourquoi ?

Il existe en l'homme un besoin violent et indéracinable de stimulants et d'excès. Dans la vie courante et jusqu'à l'apparition de la pornographie sur Internet, il y a avait quelques endroits "spécialisés" où il fallait se rendre pour assouvir ses pulsions. Cela exigeait une démarche, du temps, de prendre le risque de s'y faire voir. Il y avait aussi quelques magazines comme Lui et Play Boy, magazines honteux à l'époque qui aujourd'hui trouvent leur équivalent dans le magazine Elle, lu par toute la famille et qui trône sur la table du salon.

L'accès était volontaire ; la recherche active, risquée et pas si simple. Aujourd'hui, en deux clics et à tout moment on peut rentrer dans un monde pornographique "hard", sans avoir eu le temps de s'y préparer vraiment.  D'où le virus qui déferle sur une certaine population, regroupant des personnes de tous âges et qui va contaminer les plus vulnérables, notamment les enfants qui y sont exposés de plus en plus tôt. Leur première rencontre avec le produit «sexe» va créer chez eux une effraction qu’ils auront du mal à assimiler sans conséquences négatives sur leur conduites sexuelles à l’âge adulte.

L’initiation à la sexualité par ce biais là est un désastre pour de jeunes enfants. A cela s’ajoute la passivité face à l'image pornographique et/ou violente et l'absence de maturité qui ne permet pas une médiation langagière et symbolique, et fait courir au jeune, à l'adolescent, un danger certain, aggravé par le manque de distance face à ces images effractantes. L'abolition de l'écart spectateur/image met celui qui regarde en situation «d'impuissance» : il perd la capacité de symboliser c'est à dire de penser, de juger et de comprendre que la réalité ne se résume pas à ce qui est montré.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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