Maillon faible : la zone euro sort (timidement) de la récession pendant que la France continue de s'y enfoncer<!-- --> | Atlantico.fr
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La France, maillon faible de la zone euro ?
La France, maillon faible de la zone euro ?
©DR

Mauvaise posture

L'OCDE constate une "inflexion positive" de la croissance en Allemagne et en Italie. Mais aucune en ce qui concerne la France. L'Hexagone décrocherait-il ?

Philippe Waechter et Jacques Sapir

Philippe Waechter et Jacques Sapir

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

 

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également sonCarnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Source : PIB de la zone euro, Now-Casting.com

Atlantico : En visant essentiellement l'Allemagne et l'Italie, l'OCDE a constaté une "inflexion positive" de la croissance en zone euro lundi 10 juin, estimant même que ces deux économies rejoignent leur "rythme tendanciel" de croissance. L'institution du château de la Muette ne constate cependant "aucune inflexion significative" en ce qui concerne la France. Qu'est-ce que ces chiffres révèlent ou dissimulent de l'état réel de la zone euro ? L'évolution de la situation dans certains pays préfigure-t-elle un début de reprise ?

Philippe Waechter : Le graphique est intéressant suggérant que la situation s'améliore au sein de la zone euro après un point bas constaté en mai. Le risque de rupture de l'activité semble ainsi plus réduit et c'est de ce point de vue plutôt rassurant. Le point préoccupant néanmoins est que cette amélioration s'observe alors que les enquêtes menées notamment dans le secteur manufacturier en dehors de l'Europe sont nettement moins bien orientées. Il ne faudrait pas que les velléités de reprise soient contraintes par un environnement dégradé.

Il est amusant de constater que l'OCDE perçoit une amélioration en Italie lorsque celle-ci n'est plus aussi agressive sur sa politique économique, politique qui était recommandée par l'OCDE elle-même. Les indicateurs avancés que publiait l'OCDE en début de semaine montrent effectivement une situation qui s'améliore dans les deux pays que vous citez. L'interprétation que l'on doit faire est d'observer que le point bas du cycle de court terme est passé selon ces indicateurs. Et que ce n'est pas encore le cas en France. Je n'irai pas plus loin dans l'interprétation.

Les données sur d'autres indicateurs conjoncturels comme les enquêtes menées auprès des chefs d'entreprise ne donnent pas nécessairement des signaux aussi positifs. Ce que nous disent l'ensemble de ces enquêtes et ces indicateurs de l'OCDE est que la situation de la zone euro était très fragile il y a quelques mois mais que l'on peut trouver des signes de stabilisation à un bas niveau notamment dans le secteur manufacturier.

Jacques SapirIl n’y a pas de fondements à l’affirmation d’une "inflexion positive", hors du cas de l’Allemagne, et même sur ce point cela reste très discutable. L’effondrement de l’investissement que l’on constate au sein de la zone euro (ou depuis 2007 les investissements à prix constant ont baissé de 21%), et plus particulièrement dans les pays dits du "sud" contredit complètement ce diagnostic.

Le graphique joue sur un effet d'échelle. En réalité, le sentiment d'une "reprise" veint d'un passage de -0,3 à +0,1. Or, les chiffres sont l'addition de ceux de la zone Euro (et l'on sait que l'allemagne se porte mieux que les autres). De même, il ne semble pas que l'on soit en présence d'un glissement annuel. Donc, l'effet saisonnier n'est pas effacè de ces données.


La France se trouve-t-elle quant à elle dans une situation particulièrement délicate ? 

Philippe Waechter : La France a un vrai problème pour retrouver une trajectoire de croissance. Depuis le premier trimestre 2011 le niveau d'activité mesuré par le PIB s'est légèrement infléchi. En d'autres termes l'économie française ne semble pas capable de retrouver une trajectoire de croissance robuste capable de créer des emplois dans la durée.

Il est là le vrai challenge de l'économie française : sur quels éléments s'appuyer pour pouvoir observer un redémarrage durable de son économie et pour améliorer à terme la situation de l'emploi. Par rapport à la période d'avant crise la France ne peut plus s'appuyer autant sur sa demande interne. Les ménages sont prudents et attentifs à leurs dépenses. C'était le message d'une publication récente de l'INSEE sur la consommation en 2012. D'un autre côté les entreprises investissent peu.

Face à une demande interne manquant de souffle il faut trouver des solutions afin de changer rapidement le profil de l'économie française. Si cela n'est pas fait la France pourrait effectivement être l'homme malade de l'Europe. La solution passe par l'investissement. Mais encore faut-il que les entreprises aient le sentiment qu'elles puissent prendre des engagements dans la durée. En d'autres termes, il faut réduire l'instabilité sociale, fiscale et économique des entreprises pour qu'elles se remettent à investir. Il faut que les entreprises aient le sentiment que le cadre qui doit se définir rapidement sera stable pour un bon moment. De ce point de vue les négociations sur la question des retraites va être intéressante. Il faut que chacun ait le sentiment que la solution trouvée sera pérenne. Si ce n'est pas le cas, la perception ne sera pas positive et restera plutôt négative pour l'investissement.

Bref l'économie française a besoin de recréer les conditions de sa propre croissance. Elle n'a plus la capacité de croitre de façon autonome c'est ce que montre la période récente durant laquelle le commerce mondial progressait peu et n'agissait pas comme le catalyseur qu'il était souvent et dont la France bénéficiait. Cela traduit aussi sa compétitivité plus réduite qui se reflète dans un déficit extérieur chronique depuis 2008.

Le challenge est de modifier en profondeur le mode de fonctionnement de l'économie française afin qu'elle retrouve de l'allant et soit elle aussi capable de rebondir avec les autres quand l'environnement s'améliore. Cela n'a pas été forcément le cas ces derniers mois et c'est un vrai handicap.

Jacques Sapir : La situation de la France reste intermédiaire. L’investissement en volume (à prix constant) ne décroche pas rapport à l’Allemagne pour l’instant. Mais, la baisse de la consommation que l’on constate depuis plusieurs mois pourrait se traduire d’ici à la fin de l’année par une forte montée du chôme et une baisse des investissements. De ce point de vue la situation est bien plus mauvaise pour les pays du "sud" qui sont confrontés à un véritable effondrement de l’investissement, ce qui signifie que leur appareil productif va rapidement se détériorer.

En fait, la situation des dettes publiques est loin d’être réglée. La part des dettes en pourcentage du PIB continue d’augmenter et la situation fiscale des pays de se détériorer.

Les marchés financiers vont réaliser que la BCE n’est pas en mesure de régler ce problème, et nous allons connaître, sans doute cet automne, une nouvelle tempête financière.

Dans le même temps, le gouvernement espagnol souhaite renforcer le MES (Mécanisme européen de stabilité, un des plans de sauvetages européens qui succède au FESF, ndlr) pour qu'il dispose d'une force de frappe supérieur à 500 milliards d'euros. Comment interpréter cette demande ? Annonce-t-elle un crash futur ? Avec quelles conséquences ?

Philippe Waechter : Cela peut traduire une inquiétude effectivement, suggérant comme l'a évoqué le ministre des Affaires étrangères espagnol la nécessité de pouvoir intervenir sur une échelle qui effraie un peu les marchés. Si le montant des interventions est limité a priori alors les investisseurs peuvent s'interroger sur l'ampleur et la capacité d'intervention des autorités. Dans ce cas il peut exister des comportements spéculatifs capables de tester leur détermination. C'est une question classique et l'évoquer n'indique pas forcément la nécessité immédiate pour l'Espagne d'une aide de grande ampleur. 

On peut aussi voir le souhait de maintenir des moyens de grande ampleur aux autorités européennes alors que ces sujets sont discutés actuellement à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. En d'autres termes, l'Espagne se place directement derrière ceux qui souhaitent une capacité d'intervention forte des autorités européennes pour limiter au maximum des risques de contagions

Cette question est majeure dans la détermination institutionnelle de la zone euro et c'est ce qui se discute actuellement en Allemagne où la Bundesbank, la banque centrale allemande, s'interroge sur la validité d'un certain nombre d'opérations initiées par la BCE notamment.

Jacques Sapir : Tout le monde sait qu’avec l’approfondissement de la crise la situation des banques espagnoles empire. Le taux des prêts qui ne seront pas remboursés est actuellement de 12% de l’actif des banques. Ce chiffre est une moyenne. Certains établissements sont dans une situation plus critique encore. Il faudra donc recapitaliser massivement non seulement les banques espagnoles, mais aussi les banques qui ont prêté aux banques espagnoles.

Quels sont les autres maillons faibles (et les potentiels risques futurs) ?

Jacques Sapir : Dans l’immédiat, la Grèce est toujours un problème majeur. L’effondrement des ressources fiscales dans ce pays, combiné à la brutale explosion du chômage implique qu’il faudra de nouveau beaucoup d’argent pour aider la Grèce, ou se résoudre à la voir quitter la zone euro, ce qu’elle fera de toute manière.


La situation de l’Espagne et de l’Italie constitue aussi un risque important, en Espagne du fait de l’effondrement des ressources fiscales et de l’investissement, en Italie parce que l’on est en présence d’un risque d’insolvabilité pour environ 15% à 20% des entreprises. Le Portugal sera quant à lui entraîné par la dégradation de la situation espagnole.

Pour le cas de la France, nous allons vivre une dégradation de notre situation économique au moins jusqu’au printemps 2014, avec une montée du chômage.

La sortie de crise est-elle en train de dessiner durablement une Europe à deux vitesses ?

Philippe Waechter : La situation de la zone euro est encore difficile. La BCE prévoit encore une contraction de -0.6% de l'activité en 2013. La situation reste fragile. Pourtant des signaux intéressants sont apparus dans les dernières enquêtes dites PMI/Markit. Le premier signal est celui de l'ajustement des stocks. Au regard des commandes les stocks ont eu tendance à se réduire. Une telle situation est généralement cohérente avec une amélioration significative de la production manufacturière. Ce premier signal est favorable et pourrait être le premier élément d'une conjoncture plus soutenue.

Le second signal est celui de l'évolution des commandes à l'exportation en zone euro. Les pays de la zone commercent beaucoup entre eux. Dès lors que l'on constate une hausse des flux de commandes à l'exportation au sein des pays de la zone cela signifie que la situation est en train d'évoluer positivement. Par le passé la hausse de ces indicateurs était généralement un bon signal pour une trajectoire plus robuste de l'activité industrielle. Ce que nous avons observé en mai dans ces enquêtes doit être confirmé car malgré tout l'économie globale reste peu dynamique et il ne faudrait pas que cela vienne contraindre trop fortement les signaux de reprise observés en zone Euro.

Jacques Sapir : Il n’y a pas d’Europe à deux vitesses. Il y a d’un côté l’Allemagne et de l’autre quasiment tous les pays. Même la situation des Pays-Bas et de la Finlande se détériore, avec un décalage de 18 mois par rapport à la France et de 4 ans par rapport aux Pays du "sud".

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