3000 milliards d'euros de "hors bilan" : peut-on prendre la véritable mesure de la dette française sans les comptabiliser ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L'ensemble de la dette française représenterait en réalité 240% du PIB selon la Cour des comptes.
L'ensemble de la dette française représenterait en réalité 240% du PIB selon la Cour des comptes.
©Reuters

L'arbre qui cache la forêt

La dette française officiellement comptabilisée par l'Insee ne refléterait pas l'intégralité des emprunts français. Selon la Cour des comptes, la véritable dette, tenant compte entre autres des 3090 milliards d'euros de hors bilan, dépasserait les 240% du PIB.

Michel Volle

Michel Volle

Michel Volle est économiste français.

Diplômé de l'École Polytechnique et de l'École Nationale de la Statistique et de l'Administration Économique, il est l'auteur d'un blog dédié à l'actualité économique.

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Une partie de cet article a précédemment été publié sur le blog de Michel Volle


La dette de la France telle que nous la mesurons couramment ne dit rien sur les risques non comptabilisés que court notre économie sur ses engagements hors bilan : faillite d'une banque ou d'une très grande entreprise française "too big to fail", défaut d'un pays étranger... Pour les évaluer il faudrait connaître les contrats qui mentionnent les garanties que la France risque d'être obligée d'honorer : une telle analyse suppose une enquête que seule l'inspection générale des Finances pourrait peut-être effectuer. Il est en tout cas certain que ces engagements hors bilan existent, et que les risques qu'ils comportent s'ajoutent à ceux que provoque, déjà, le creusement progressif de la véritable dette de la France

On dit "la dette de la France" (ou "de l'Espagne", "de la Grèce" etc.) alors qu'il s'agit de la dette de l'État français, espagnol, grec. Or la dette d'un État et celle d'un pays sont deux choses différentes : outre l’État, un pays comprend des ménages et des entreprises, et sa dette est la somme de celle de ces trois acteurs.

On évalue par ailleurs le niveau d'endettement d'un État par le ratio "dette brute / PIB", choisi lors des accords de Maastricht. Ce ratio est un leurre conceptuel car il compare un stock d'un acteur (le niveau de la dette brute d'un État) à un flux d'un autre acteur (la valeur de la production annuelle du pays, mesurée par le PIB). La "dette nette", écart entre la valeur des dettes d'un acteur et celle des créances qu'il détient sur d'autres acteurs, est d'ailleurs plus significative que sa dette brute.

Le ratio qui permettrait d'évaluer sa crédibilité serait "dette nette / valeur des actifs" car celui qui possède un actif important peut, s'il le faut, vendre pour rembourser. Il faudrait fouiller les comptes nationaux pour évaluer les actifs de la France et ni le citoyen, ni les économistes ne possèdent la technicité requise car certaines données essentielles manquent : comment évaluer, par exemple, cette part de l'actif d'un État qu'est sa capacité à lever de nouveaux impôts ?

Nous allons donc focaliser notre attention sur la dette nette de la France. Dans la dette nette d'un pays les dettes internes s'annulent, puisque à une dette d'un acteur correspond une créance d'un autre : seules comptent les dettes et créances avec d'autres pays.

On connaît la dette nette de la France : la Banque de France publie chaque année un "compte des transactions courantes" qui décrit les échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants avec l'extérieur. Le solde de ce compte représente l'écart entre ce que la France a emprunté et prêté chaque année. Regardons l'évolution de ce solde (comme toujours quand on parle de dette il faut considérer les valeurs nominales : l'image des dettes anciennes est donc comprimée par l'inflation qui a suivi) :


Graphique 1 : solde des transactions courantes 1949-2012 (milliards d'euros)

Jusqu'au début des années 1990 la courbe est accidentée et il faudrait une analyse historique pour l'interpréter. L'évolution à partir de 1990 est par contre lisible et fortement contrastée : négatif en 1990 (- 8 milliards d'euros), le solde s'améliore ensuite. Il devient positif en 1992 (3 milliards) et augmente continuellement pour atteindre un maximum en 1999 (43 milliards). Puis il décroît rapidement et devient négatif en 2005 (- 8 milliards). Il est à partir de 2009 de l'ordre de - 40 milliards, soit un endettement annuel de 2 % du PIB.

Les années 1990 ont donc été de bonnes années pour la crédibilité de la France mais cet avantage s'est réduit après 2000. À partir de 2005 la France s'est endettée chaque année un peu plus : elle a, et de plus en plus, consommé plus qu'elle ne produit. Assurément une telle situation n'est pas saine car un pays ne peut pas vivre indéfiniment au dessus de ses moyens. Mais ceci concerne le flux de l'endettement annuel ; qu'en est-il du niveau de la dette ?

Pour l'évaluer, il suffit de cumuler le solde des transactions courantes. L'endettement de la France n'était certainement pas nul en 1949 mais sa valeur était faible en regard du flux nominal plus récent. Faisons donc comme si elle avait été nulle : l'évolution de la dette nette de la France sera alors représentée par le cumul des transactions courantes depuis 1949. On obtient un graphique éloquent :


Graphique 2 : créance nette de la France (milliards d'euros)

La dette de la France se creuse dans les années 1980 et atteint un maximum de 42 milliards d'euros en 1991. Ensuite les créances s'accumulent : la dette s'annule en 1996 puis la France devient de plus en plus créancière, un maximum de 198 milliards étant atteint en 2004. Ensuite le flux d'endettement réduit rapidement la créance et la France est en 2012 débitrice de 39 milliards.

On peut tirer deux leçons de cet exercice :

  • grâce au stock accumulé durant les années 1990 la France était encore créancière de 47 milliards d'euros vis-à-vis du reste du monde en 2010 ; elle est en 2012 débitrice de 39 milliards

  • elle s'endette à la vitesse d'une quarantaine de milliards par an. Cela ne pourra pas se prolonger indéfiniment.

Le choix d'un indicateur n'est jamais neutre. Le ratio "dette brute de l’État / PIB", que les petits technocrates de Bruxelles commentent avec gravité, n'est pas un bon indicateur de la crédibilité d'un pays. La limite de 3 % qu'ils imposent au ratio "déficit du budget de l’État / PIB", et qui contraint tant la politique économique, ne concerne pas l'endettement du pays envers le reste du monde.

Si l'on considère ce dernier on voit clairement que le déficit tendanciel des échanges creuse la dette de la France envers le reste du monde. Le redressement du système productif apparaît alors comme bien plus prioritaire que la compression du budget de l’État : il permettrait d'ailleurs, incidemment, d'augmenter la collecte fiscale et d'améliorer d'autant les comptes de l’État.

Une partie de cet article a précédemment été publié sur le blog de Michel Volle

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