Dans quelles proportions la hausse du prix des cigarettes encourage-t-elle la contrebande ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement prépare une double hausse du prix du paquet de cigarettes.
Le gouvernement prépare une double hausse du prix du paquet de cigarettes.
©Reuters

Effet collatéral

Le gouvernement prépare une double hausse du prix du paquet de cigarettes, pour un résultat de 40 centimes supplémentaires en octobre. Faut-il croire la rhétorique selon laquelle ces augmentations viendraient alimenter la contrebande, et de qui ce discours vient-il ?

Gérard Dubois

Gérard Dubois

Gérard Dubois est membre de l’Académie nationale de médecine, où il occupe la fonction de président de la Commission Addictions. Il est le co-auteur du rapport des "Cinq sages" au ministre des Affaires sociales sur la Santé Publique à l'origine de la loi Evin.

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Atlantico : La ministre de la santé Marisol Touraine plaide pour que le prix des paquets de cigarettes  soit graduellement augmenté de 20 centimes au 1er juillet, et du même montant début octobre. A chaque annonce de hausse, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer des mesures qui encouragent la contrebande. Qu'en est-il réellement ? Dans quelles proportions la contrebande augmente-t-elle dans ces cas-là ? 

Gérard Dubois : Ce discours s'entend dans la bouche soit les fabricants eux-mêmes, soit leur porte-voix en France, qui est la Confédération des buralistes. Les reportages télévisés sont quant à eux systématiquement tournés à deux endroits : Barbès et certains sites marseillais. L'information est donc extrêmement orientée, et provient de manière prépondérante de ceux qui ont un intérêt à maintenir leur marché.

On constate aussi une grande confusion dans les termes utilisés. Les achats en dehors des bureaux de tabac correspondent à l'ensemble de ce qui ne passe pas par le système national et légal. A l'intérieur de l'Union européenne, on est autorisé à rapporter chez soi des cigarettes pour sa propre consommation. Si on les revend, on tombe dans un cas de contrebande. Mais il existe deux types de contrebandes. L'une est individuelle ou menée par des petites bandes locales, l'autre est organisée par des mafias internationales, et se fait pas conteneurs entiers qui transitent par le Havre, Marseille ou Rotterdam. Il s'agit là d'achats passés directement auprès des cigarettiers, sans taxes, via des circuits organisés, et qui servent éventuellement à financer des réseaux terroristes internationaux. Le lien entre industrie et mafia est donc direct, pour une activité qui représente environ 80% de la contrebande. Un dernier terme qui doit être pris en compte est celui de la contrefaçon : dans ce cas-là les contenus en goudron et en nicotine sont généralement plus élevés.

En France, environ 20% des cigarettes ne passent pas par les buralistes. La contrebande à proprement parler (contrefaçon incluse) ne représente pas plus de 5%. D'où l'importance des termes employés.

Les personnes qui achètent à l'étranger le font soit lors d'un voyage ponctuel, soit parce qu'elles sont frontalières avec un autre pays. En général, la distance parcourue n'est pas très importante, au risque de rendre la démarche inutile sur le plan économique. C'est dans ces zones-là que le chiffre d'affaires des buralistes peut baisser.

On pourrait penser que si les ventes baissent, les buralistes gagnent moins. Cela est faux. L'Etat et les buralistes n'ont jamais gagné autant d'argent qu'aujourd'hui grâce au tabac, avec une consommation deux fois moindre que celle de 1991, avant le passage de la loi Evin. Pour l'expliquer, l’équation est simple : si l'on augmente les prix de 10%, (effet dissuasif), les ventes baissent de 4%, ce qui fait gagner 5,6% de plus. Dans ces conditions, on gagne plus en vendant moins.

Si le cigarettier augmente son prix industriel, les taxes en font passivement de même. Peu importe la taxe, il gagne plus sur la vente, tout comme le buraliste. L'objectif du cigarettier étant de maintenir le marché, celui-ci opère de petites augmentations, avec la complicité du ministère du budget et des douanes (qui ont une tutelle directe sur les buralistes et ont la maîtrise de la filière tabac). Ces petites augmentations se sont échelonnées entre 1997 et 2002, et de 2004 à aujourd'hui. Entre 2004 et 2007, il n'y a pas eu d'augmentation du tout.

La réticence du ministre du budget Bernard Cazeneuve, qui craint de voir diminuer les rentrées fiscales liées à la vente de tabac, peut-elle s'expliquer par ce biais ? Ou vient-elle à l’appui de la thèse selon laquelle la consommation des Français pourrait chuter de manière significative ?

A de très rares exceptions, toute augmentation des prix entraîne une augmentation des revenus liés au tabac. Même si le rajout de taxes est dissuasif, l'Etat et les buralistes gagnent plus. Le seul qui ne gagne pas plus en cas de baisse du marché et de maintien du prix industriel, c'est le fabricant. Cela s'est produit avec le plan cancer de Jacques Chirac en 2003-2004, sans pour autant vraiment affecter les cigarettiers, qui génèrent des bénéfices considérables.

Lorsque le ministère du budget reprend les arguments de l'industrie du tabac, il est en dehors de la réalité, et de fait, il se met dans le camp de l'industrie du tabac. Marisol Touraine, lors de la Journée mondiale sans tabac vendredi dernier, n'a annoncé que l'augmentation votée l'année dernière (celle du 1er juillet), dont l'impact était suffisamment faible pour que l'industrie décide de gommer cette augmentation et ainsi garder constant le prix client. British-American Tobacco a donné un dîner auquel ont participé des parlementaires et un ou deux fonctionnaires des douanes, sans parler de la loge à Roland Garros. Ces liens intimes entre les douanes et l'industrie ne sont plus acceptables.

Le ministère de la santé a pu revenir à la charge grâce au fait que l’industrie gommait l'augmentation des taxes. Temporairement affaibli, le ministère du budget a dû revoir sa copie. Tout vient de l’Élysée, semble-t-il, où le conseiller santé a travaillé avec l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, cofinancé par Philip Morris...

La Commission européenne, appuyée par dix pays dont la France, a porté plainte au début des années 2000 contre Philip Morris et Japan Tobacco pour organisation de la contrebande, blanchiment d'argent et financement du terrorisme international. La plainte étant au civil, la chose s'est réglée à l'amiable, via versement de sommes considérables. En 2006 aux États Unis, un juge fédéral, sur plainte du ministre de la Justice, a condamné les cigarettiers américains sur la base de leur comportement, qualifié de mafieux. Les accointances entre Bercy et les cigarettiers sont d'autant moins acceptables que la France a ratifié un traité international, la Convention cadre de lutte antitabac, dont l'article 5.3 dispose qu'il faut empêcher l'industrie du tabac de nuire aux décisions de santé publique.

Si l'on obtient deux augmentations, c'est mieux que rien, mais l'impact n'est pas si important. L'augmentation des prix de 6% par l'industrie en 2007 n'a pas entraîné de baisse des ventes, car ce n'est pas dissuasif. Si l'industrie le fait, c'est parce que cela n’a pas d’impact sur les ventes. Les bénéfices sont ainsi maximisés. Le président de la République de l'époque était favorable à l'industrie du tabac, de l’alcool et du jeu. En 2012, l’augmentation d'octobre a provoqué un début de baisse, qui s'accélère en 2013. L'accumulation de ces 6% finit par nuire à l'industrie du tabac elle-même. La crise et les impôts n'y sont pas étrangers non plus. La lutte pour la santé publique passe donc par la volonté de l'Etat d’imposer des taxes conséquentes.

Si l’on compare la hausse supposée des activités de contrebande avec la baisse de la consommation qui pourrait s’ensuivre, qu’est-ce qui est préférable ? Les retombées positives en termes de santé publique pourraient-elles être telles qu’une certaine recrudescence de la contrebande serait un moindre mal ?

Les saisies des douanes ont baissé, sur une activité qui ne compte que pour quelques pourcent des ventes totales. La réponse n'est certainement pas dans le prix, mais dans les scanners dans les ports. La Grande-Bretagne a ainsi réglé ce problème. Tout dépend de la volonté de l'Etat. L'équation simpliste selon laquelle l'augmentation des prix encourage la contrebande n'est que partielle. La baisse des ventes liée au prix final correspond pour moitié à des gens qui arrêtent définitivement, et pour l'autre moitié à des fumeurs qui limitent leur consommation.

Les informations concernant la contrebande ne viennent pas des douanes mais des buralistes ; l'industrie est toujours à la marge de la légalité : en tant que président du CNCT, j'ai plus d'une fois fait condamner pénalement tous les responsables cigarettiers du territoire français. L'industrie du tabac est une industrie de type mafieux dirigée par des délinquants en col blanc multi récidivistes. Comment peut-elle être considérée comme un partenaire par quiconque et encore moins considérée comme une source fiable d’informations?

Propos recueillis par Gilles Boutin

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