Repenser la discipline : jouez avec votre enfant plutôt que de le gronder <!-- --> | Atlantico.fr
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"Dans notre hâte à punir, nous oublions que la discipline ne vaut que dans la mesure où l’enfant en tire des leçons."
"Dans notre hâte à punir, nous oublions que la discipline ne vaut que dans la mesure où l’enfant en tire des leçons."
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Bonnes feuilles

Vous ne savez plus comment faire pour obtenir de votre enfant ce que vous lui demandez ? Le Dr Lawrence Cohen vous propose une approche originale : le jeu. Extrait de "Qui veut jouer avec moi ? " (2/2).

Lawrence Cohen

Lawrence Cohen

Le Dr. Lawrence Cohen est un psychologue américain, spécialiste du jeu des enfants et des thérapies par le jeu. Il tient une chronique dans le Boston Globe et anime des ateliers de parentage ludique pour parents, enseignants et professionnels de l’enfance.

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Beaucoup de parents ne considèrent pas l’humour comme une facette de la discipline, qui doit selon eux rester d’un sérieux mortel. C’est un tort : il est toujours bon de jouer ! Mon ami Roger m’a raconté qu’il visitait un site historique avec ses enfants, quand survint une averse. Sa famille et quelques autres se retrouvèrent dans une vieille grange, sans rien à faire. Quelques enfants, commençant à s’ennuyer, arrachèrent le plâtre des murs. Leurs parents les disputèrent, furieux, et les menacèrent. Roger se rendit compte que sans télé ni jouets, ces enfants n’étaient capables que de se plaindre et de faire des bêtises ; et leurs parents, de leur crier dessus, les menacer et les punir. Roger proposa un jeu à ses enfants : deviner le nom d’un animal à l’aide d’une vingtaine de questions. Bientôt, tout le monde y participa dans la joie et la bonne humeur. Les enfants avaient simplement besoin de jouer.

Vos enfants engagent avec vous un bras de fer à propos de l’heure du coucher ? Pourquoi ne pas en faire un jeu ! Le dessert devient l’objet d’une dispute ? Pourquoi ne pas jouer au dîner ! Peu importe que vous campiez une marâtre qui prive son enfant de dessert ou une maman trop gentille qui présente de la glace en tant que plat principal. Tant que cela provoque le rire ! Votre enfant vous tient tête ? Et si vous animiez deux poupées, dont l’une ne laisse jamais le dernier mot à l’autre ? Cela vous amusera de mimer son comportement agaçant et d’imaginer des reparties bien senties. Pour sa part, il en raffolera et en redemandera. Au cas où vous peineriez à imposer des règles, il suffira d’en inventer une qui vous importe peu et de jouer à la transgresser et punir. Au lieu de répéter pour la énième fois : « Il faut que tu t’habilles, maintenant », pourquoi ne pas lancer : « Il n’y a qu’une seule chose que je t’impose : interdiction de porter une chaussure rouge avec une noire ! » Je vous garantis que vous n’inciterez pas votre enfant à bafouer les règles auxquelles vous tenez, mais à se montrer au contraire plus coopératif.

Souvent, les enfants n’ont pas besoin d’un jeu spécifique, seulement de jouer plus. Un grand nombre de ce qu’on qualifie de problèmes de comportement se résoudraient du jour au lendemain si tous les enfants disposaient d’un endroit où s’ébattre à l’abri du danger jusqu’à ce qu’ils tombent de fatigue. Je ne comprends pas qu’à l’école, on prive de récréation certains élèves, surtout des garçons, en guise de punition. S’ils ne parviennent déjà pas à se tenir tranquilles avec une récré, je ne vois pas comment ils y arriveraient, sans ce qui reste leur seule occasion de relâcher la soupape.

Un ton empreint d’humour aide à éviter à la discipline de tomber dans le travers de la sévérité. La remarque vaut surtout pour les garçons, plus susceptibles d’écoper de punitions particulièrement dures 3. L’autre jour, j’ai été témoin d’un échange entre un père et son fils au supermarché. Le garçon furetait partout, ce qui agaçait son père. Au moment de passer à la caisse, il fit mine de déposer sur le tapis une sucrerie. « Remets-la où tu l’as prise. Tu n’en auras pas », lui asséna son père. Le garçon baissa la tête et obéit, dépité. Son père se radoucit : « Bien joué, cela dit. » Un sourire radieux éclaira le visage du petit. « Hé ! Ça te dirait que je te confie ma monnaie ? » lui proposa son père. À ces mots, l’enfant se mit à rayonner.

Non content de revenir sur sa première impulsion – disputer son fils – le père redoubla d’efficacité en se rapprochant de lui avec humour : en le félicitant de sa tentative de le berner, lui. Il comprit ensuite ce qu’il fallait au garçon et qu’il désirait d’ailleurs : de l’autonomie, quelque chose auquel il pourrait se raccrocher. Il lui confia donc la mission de veiller sur son porte-monnaie, ce qui lui donna un sentiment flatteur d’importance : il sortit du supermarché la tête haute, fier de lui. S’il avait écopé d’une réprimande, il se serait en revanche senti humilié, incompris, coupable de désirer ce qu’il ne pouvait pas avoir, ou frustré de ne pas l’obtenir.

L’incident m’a rappelé mon approche ludique favorite de la discipline. J’aime lancer ce qui ressemble à des menaces mais n’a pas vraiment de sens : « Si tu recommences, je vais chanter l’hymne national. » Une autre stratégie visant à relâcher la tension consiste à feindre la colère : nous évacuons ainsi une partie de notre contrariété, sans que l’enfant en souffre. À vrai dire, vous constaterez que les principes du parentage ludique – se mettre à la portée de l’enfant, établir un lien avec lui, jouer à la bagarre, lui laisser l’initiative, rester à l’écoute et s’amuser – permettent à la fois d’éviter et de gérer les conflits familiaux. Il est bon d’opter pour une réaction différente de celle qui vous vient d’habitude : « Tu as encore renversé le lait ? Il va falloir que j’exécute ma danse du lait renversé. »

Dans notre hâte à punir, nous oublions que la discipline ne vaut que dans la mesure où l’enfant en tire des leçons. Vous rappelez-vous que laisser tomber de la nourriture du haut de sa chaise est un moyen pour un nourrisson de découvrir le principe de la gravité ? Nous n’avons aucune raison de réprimander ses premières expériences scientifiques. Un peu plus âgés, les enfants aiment explorer la différence entre renverser quelque chose (ou heurter quelqu’un) déli- bérément ou par accident. Ils ne se doutent même pas qu’ils se comportent en philosophes ou en scienti- fiques réfléchissant au libre arbitre et au détermi- nisme, aux causes et aux effets. Ce qui arrive survient-il par hasard ou parce que j’ai fait ce qu’il fallait pour ? Si je pousse Murray sur Carole, c’est moi qui ai fait mal à Carole ou Murray ? Comme pour tout le reste, les enfants apprennent par le jeu. J’aime les y aider en prenant leur main pour gifler (genti- ment) quelqu’un tout en disant : « Ne le frappe pas ! Ce n’est pas gentil. » À ces mots, un enfant qui commence à peine à manier ces concepts complexes éclatera de rire. Punir un enfant en considérant qu’il a délibérément mal agi, alors qu’il ne maîtrise pas encore la notion de volonté propre, ne l’aidera pas à comprendre. J’ai vu de nombreux enfants répéter « Je ne l’ai pas fait exprès, c’était un accident, je suis désolé » comme une formule magique à même de leur éviter les punitions. Il faut dire que les adultes leur donnent le mauvais exemple. Malgré tout, un enfant qui en bouscule sans arrêt d’autres par mala- dresse pose un problème. Qu’est-ce qui est pire ? Faire quelque chose exprès, s’en vouloir et présenter des excuses ou agir par mégarde et s’en ficher ?

À mon sens, les parents renoncent à l’humour et au jeu dans les situations critiques, de crainte d’encourager une mauvaise attitude. Je dois rester sévère et glacial pour qu’il comprenne qu’il a mal agi. Mais l’humour ne constitue pas une récompense. Il restaure en revanche l’élément manquant : le lien dont la rupture a justement causé le problème. Cela vaut la peine de courir le risque d’user d’un peu d’humour : vos valeurs seront mieux retenues et vous obtiendrez bien davantage de coopération et de respect des règles qu’en étant sévère.

 Extrait de "Qui veut jouer avec moi" (JC Lattès éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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