Que retenir de l’histoire française pour apprécier la réalité du pouvoir de nuisance politique de la Manif pour tous ?<!-- --> | Atlantico.fr
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80 % des opposants au mariage gay estiment qu'il faut poursuivre le mouvement contestataire.
80 % des opposants au mariage gay estiment qu'il faut poursuivre le mouvement contestataire.
©Reuters

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Alors qu'une nouvelle manifestation est prévue dimanche, les militants de la Manif pour tous entendent peser sur la primaire UMP à Paris en écartant NKM de la course aux municipales. D'après un sondage Ifop/Atlantico du 26 avril, 79% des opposants au mariage homosexuel souhaitaient que la mobilisation se poursuive. Quel avenir politique pour le mouvement ?

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Sondage : Après l’adoption de cette loi par le Parlement, si des mobilisations et des manifestations contre cette loi se poursuivent, approuverez-vous ces mobilisations et manifestations ?

(Cliquez sur le tableau pour agrandir )

Atlantico : D'après ce sondage réalisé entre le 23 et le 25 avril, environ 80 % des opposants estimaient qu'il fallait poursuivre le mouvement contestataire. Alors qu'une nouvelle manifestation des militants de la Manif pour tous est prévue dimanche 26 mai, certains militants reconnaissent vouloir peser sur le primaire UMP pour les élections municipales à Paris. Si les militants de la Manif pour tous parvenaient à peser sur la primaire en écartant NKM, faudrait-il y voir la preuve de leur mutation en véritable mouvement politique ?

Guillaume Bernard : Il s’agit déjà d’un mouvement politique. C’est une simplification de croire que la politique se résume à la concurrence électorale entre les partis ; la politique, c’est aussi (et peut-être surtout) ce qui précède et ce qui suit les élections, en particulier le lobbying. Le mouvement de « La manif pour tous » est né de la conjonction de plusieurs organisations aux sensibilités diverses qui avaient, bien entendu, en leur sein des militants, mais finalement assez peu nombreux. La nouveauté de ce mouvement, c’est que des militants sont nés à cette occasion : des jeunes (étudiants pour la plupart) ont commencé leur apprentissage politique, des pères et mères de famille, dans la force de l’âge, qui étaient jusqu’à présent très dociles, se sont mis à manifester. Le débat sur le mariage homo a politisé des personnes (essentiellement issues des classes moyennes) pour qui le militantisme était étranger. Cela n’aura peut-être pas d’impact immédiat, mais cela laissera des traces : une « conscience politique » est en train de naître au sein de la « France silencieuse ».

Quels sont les autres exemples similaires dans l'histoire ? D'autres mouvements citoyens nés autour de questions de société, de la défense d'un monde conservateur, qui se soient mués en mouvements politiques ?

Des précédents, idéologiquement plus ou moins proches, peuvent effectivement être relevés : le boulangisme à la fin du XIXe siècle, la résistance lors des inventaires à la suite de la loi de 1905 dite de séparation des Eglises et de l’Etat, le mouvement des contribuables entre les deux guerres mondiales. Cependant, comparaison n’est pas raison… car les circonstances historiques n’étaient pas les mêmes et leurs échecs eurent diverses raisons (encore qu’il y ait généralement eu toujours l’impact du « modérantisme ») qu’il serait trop long d’analyser ici. Mais, de manière générale, tous ces exemples ont un point commun : ils se sont déroulés à l’époque du triomphe du « mouvement sinistrogyre » (Albert Thibaudet), c’est-à-dire que les idées nouvelles venaient de la gauche et colonisaient peu à peu la droite. Ainsi, bien des mouvements populaires « conservateurs » étaient-ils, d’abord (même s’ils n’étaient pas seulement cela), des « réactions » contre des scandales ou des dérives. Or, les hommes politiques, de gauche bien entendu, mais aussi de droite (quand ils déclarent ne pas avoir l’intention de revenir sur les dispositions récemment votées alors même qu’ils s’y sont opposés) ne comprennent pas la réalité du mouvement de fond actuel dont « La manif pour tous » est l’un des symptômes : ils interprètent l’opposition au mariage homo comme une émotion réactionnaire (quelque peu épidermique) qui s’émoussera avec le temps. Dans le fonds, ils sont soit prisonniers soit persuadés de la légitimité du « sinistrisme » qui a fonctionné pendant deux siècles. Ils analysent donc ce mouvement populaire comme une simple droitisation, une radicalisation d’une partie de la droite sous la pression encore conquérante des idées de gauche. Or, quand les militants anti-mariage homo disent « On ne lâche rien ! » (qu’ils en aient ou non aujourd’hui les moyens est une autre question), cela signifie qu’ils ne sont pas seulement en opposition ou sur la défensive, mais qu’ils opposent un modèle de société à un autre, qu’ils entendent reconquérir le terrain perdu. Ce mouvement semble relever de ce que j’ai appelé le « dextrogysme », c’est-à-dire que (grosso modo depuis la chute du mur de Berlin et les attentats du 11-Septembre) les nouvelles tendances politiques apparaissent par la droite de l’échiquier politique, indépendamment des partis classés à droite. Si l’idée du « mouvement dextrogyre » se révèle exacte, ce qui est apparu au grand jour avec « La manif pour tous » n’est pas prêt de disparaître et continuera d’exister sous une forme ou une autre.

Tant du point de vue de ses thèmes conservateurs que de son pouvoir de nuisance politique au sein de la droite, ce genre de mouvement poujadiste peut-il être comparé au Tea Party américain ?

Il y a effectivement des points de convergence : d’une part, c’est un mouvement qui est parti de la base (sans véritable structuration globale préétablie) et, d’autre part, c’est une tendance qui revendique un engagement dans les débats doctrinaux (et assume la réalité de la « guerre culturelle »). Mais il existe également des limites à l’identification des deux mouvements. Aux Etats-Unis, le Tea party est apparu dans le cadre d’un système bipartisan, c’est-à-dire que chacun des deux partis politiques nationaux d’envergure (les Républicains et les Démocrates) sont des organisations qui abritent en leur sein des tendances différentes couvrant toute l’étendue de leur « camp » politique (depuis les modérés jusqu’aux extrêmes). Il est consubstantiel à ces partis qu’il y ait un débat interne et des confrontations d’idées, les minoritaires quels qu’ils soient n’étant jamais considérés (même s’ils n’obtiennent généralement pas d’être dans le ticket pour la Maison blanche) comme des crétins. Ce n’est pas vraiment le cas en France : d’un côté, les tendances internes aux partis sont plus des écuries présidentielles (pouvant ressembler, d’un point de vue idéologique, à des auberges espagnoles) que des courants doctrinaux cohérents et, de l’autre, le mouvement de « La manif pour tous » (au sens large) s’est fait en dehors des partis politiques et, plus particulièrement, en dépit, malgré les obstacles et même contre les « tièdes » de ces partis. Il est donc possible de penser que plus qu’une « tea-partisation » de la droite, le mouvement anti-mariage homo relève tout simplement du populisme (même si le mot peut heurter certains) dans ses trois caractéristiques couramment admises : le peuple réel contre les élites déracinées, la démocratie directe contre la démocratie représentative, l’identité commune du corps social contre la juxtaposition d’identités parcellaires.

Le mouvement de la Manif pour tous s'est au départ fédéré autour de positions concernant la politique familiale. La manifestation de dimanche prochain entend faire passer le mouvement à la vitesse supérieur. Frigide Barjot envisage de présenter des listes aux municipales. Pourrait-elle y parvenir ? Ce mouvement citoyen est-il susceptible de se muer en mouvement politique de plus grande ampleur ?

Bien entendu, l’opposition au mariage homo est, aujourd’hui, d’un point de vue numérique, principalement incarnée par « La manif pour tous » ; mais, ce mouvement est pluriel et présente diverses stratégies : il y  notamment « Civitas » (qui, même s’il en a été écarté, est aussi à l’origine de ce mouvement) ou encore le « Printemps français » (qui en a été, quelque peu de force, séparé). L’histoire dira qui sera le plus pérenne. En tout cas, que penser de l’idée de faire muter « La manif pour tous » vers une structure partisane ?  A première vue, la chose peut paraître attrayante, en particulier si les politiques de droite « trahissent » si rapidement la « cause ». Il existe cependant un certain nombre d’obstacles et de risques devant être inventoriés. Les obstacles sont, au moins, au nombre de deux : premièrement, le coût élevé pour se présenter à des élections (or le financement public des partis se fait principalement sur la base des résultats au premier tour des législatives qui n’auront normalement lieu qu’en 2017) et, deuxièmement, les ressources humaines, c’est-à-dire la capacité à présenter des candidats crédibles (ne serait-ce que d’un point de vue technique). Quant aux risques, ils concernent la cohésion sociale et doctrinale du mouvement. Un parti politique ne peut généralement pas durer en restant monothématique. Il faudra donc déterminer une ligne et un programme. D’où seront-ils tirés ? L’écrasante majorité des manifestants est, peu ou prou, d’obédience catholique. Mais, outre qu’il y a toujours le risque de l’augustinisme politique (qui peut d’ailleurs être aussi bien « progressiste » que « traditionnaliste »), il y a peut-être surtout celui de la division : car, si les catholiques s’accordent sur les vérités de foi, il existe des querelles sur toutes les questions de société non-dogmatiques. Et elles sont nombreuses. C’est d’ailleurs ce qui, en grande partie, explique qu’un parti chrétien n’a, en France, jamais été consistant. En elle-même et dans l’état actuel des choses, « La manif pour tous » ne paraît, a priori, pas vraiment armée pour devenir un parti politique. En revanche, dans sa globalité, ce mouvement a théoriquement la capacité de devenir un lobby (dans le domaine des mœurs et de la bioéthique) pour faire battre ou élire un candidat, pour faire avancer dans l’opinion et dans les assemblées ses positions et propositions. Cet objectif là paraît atteignable. Si les catholiques veulent peser en politique, ils doivent, d’une part, ne pas se sanctuariser eux-mêmes (en cautionnant d’ailleurs le communautarisme) et, d’autre part, cesser d’être un électorat captif pour devenir un électorat flottant (mais ceci nécessiterait d’autres développements).

Méthodologie : 

Ce document présente les résultats d’une étude réalisée par l’Ifop. Elle respecte fidèlement les principes scientifiques et déontologiques de l’enquête par sondage. Les enseignements qu’elle indique reflètent un état de l’opinion à l’instant de sa réalisation et non pas une prédiction.


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