Yahoo! rachète Tumblr : faut-il craindre les conséquences d’une concentration des acteurs du web ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
High-tech
Yahoo! rachète Tumblr : faut-il craindre les conséquences d’une concentration des acteurs du web ?
©

Gros poissons 2.0

Le géant du web Yahoo !vient de racheter le service de blogging Tumblr pour la coquette somme de plus d’un milliard de dollars. Conçu sur la base d’un réseau égalitaire entre pairs, valorisant la collaboration et la gratuité, que reste-t-il de l’esprit du web à l’heure de tels mouvements d’acquisitions et de concentrations ?

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France, encore en exercice.

Il est un des pionniers d'Internet en France.

 

Voir la bio »

Atlantico : Internet, puis le web, furent conçus comme l’antithèse du réseau pyramidal : dépourvu de centre, consacrant chaque maillon comme égal et porté sur l’intérêt de tous. L’idéal de contribution désintéressée à l’origine du réseau n’est-il pas en danger à l’heure où quelques acteurs dominants tendent à imposer leur présence à coups de gros sous?

Benjamin Bayart : Tout est question d'équilibre des pouvoirs. La présence de grands acteurs n'est pas en soi un problème. La question est de savoir le pouvoir qu'ont ces grands groupes sur le réseau.

Si Internet est uniquement structuré par le rapport de force entre des grands groupes, alors on peut être certain de deux choses. D'abord le réseau va profondément changer, ce qui se traduira par une perte des libertés. Ensuite, il n'y aura plus ni innovation ni croissance en lien avec le réseau.

Sur la perte des libertés, c'est assez simple. Ça passera par les atteintes à la neutralité du réseau, et donc à la liberté d'expression, ça passera par la perte de contrôle des utilisateurs sur leur vie privée, ça passera par l'approche habituelle d'Apple: c'est la machine qui contrôle l'utilisateur et pas le contraire.

Sur la perte de l'innovation c'est un problème classique d'économie. Quand il y a concentration dans un secteur au point que les acteurs restant soient trop puissants, ils sont en mesure d'empêcher les nouveaux entrants, et donc d'empêcher les modèles disruptifs ou innovants. La réponse classique des États, comme ce qu'a fait la Commission Européenne avec Microsoft, est bien trop lente par rapport à l'évolution d'Internet.

Ces deux risques existent, mais ils ne sont pas nouveaux, ils sont liés à l'existence de grands services centralisés sur Internet et à la prédominance qu'on veut bien leur accorder. La première fois que j'en ai donné une description c'était dans la conférence "Internet libre ou Minitel 2.0", en juillet 2007, et je n'étais pas spécialement en avance dans cette analyse.

Il ne faut pas croire non-plus que l'histoire d'Internet soit déjà terminée. Les batailles politiques qui se livrent autour du réseau depuis presque 20 ans se poursuivent. Les grands acteurs économiques font pression pour prendre le pouvoir, la société civile fait pression pour le conserver. En ce sens, la concentration des acteurs économiques pour devenir toujours plus puissants est plutôt une mauvaise nouvelle, elle crée des adversaires plus puissants.

Quelles semblent être les valeurs dominantes sur le web aujourd’hui ? Où peut-on encore retrouver l’éthos de ses fondateurs ?

C'est très curieux comme formulation. Où peut-on encore retrouver l'éthos des fondateurs de telle ou telle ville ? Internet est un peu comme un lieu, comme une ville. Les gens qui fréquentent l'opéra et les terrasses chics du centre-ville n'ont pas la même éthique de la ville que les gens qui fréquentent les squats, ni que les gens qui dorment sous les ponts.

Pour le moment, on retrouve encore facilement des lieux d'échange libre des connaissances sur Internet. On retrouve cet esprit dans beaucoup d'endroits et dans beaucoup de comportement. Sans même aller chercher dans les choses compliquées, la simple entre-aide qui existe sur un forum relève de l'esprit des origines du réseau, apporter ses connaissances et s'en servir pour aider quelqu'un qui se pose des questions.

On retrouve même ces lieux dans ce que les gens font avec les grands services centralisés. Quand un soutier de la vie politique, par exemple un assistant parlementaire, publie sur son Tumblr des explications et commentaires, sous forme graphique, il vulgarise le fonctionnement réel de nos institutions, il partage sa connaissance du système.

Ce qui fait l'éthos des fondateurs, ce n'est pas tellement la structure capitalistique, c'est ce que les gens font avec le réseau. Et il se trouve que cet usage continue à aller croissant.

Bien entendu, cet usage ne génère pas forcément de chiffre d'affaire, et donc les économistes ont un peu de mal à le mesurer. Ils ont tendance à le ranger dans la case "externalités positives", tout comme ils rangent l'environnement et sa dégradation dans "externalités négatives". Moyen pudique de dire qu'ils n'y comprennent pas grande chose.

Quel avenir pour le non-lucratif sur Internet ? Peut-on être non-marchand et crédible ?

C'est une question piège. D'abord, il faut faire très attention à ne pas mélanger le non-lucratif, ou le non-marchand, avec le gratuit. Le gratuit est toujours associé au fait qu'il faut produire par ailleurs des revenus pour faire tourner la machine.

TF1 et Facebook sont gratuits pour les gens qui s'en servent, mais ce sont des mécanismes marchands, où les utilisateurs sont les marchandises, et où les publicitaires sont les clients. Ces systèmes ne sont gratuits que pour les marchandises que nous sommes.

Le non-lucratif est, par bien des aspects, bien plus crédible que le secteur marchand. Par exemple sur la confiance. Les utilisateurs ont plus confiance, et à juste raison, dans une structure qui n'a pas pour but l'enrichissement qu'en une structure qui a comme seule vocation de rémunérer ses actionnaires.

Bien entendu, si on entend par "crédible" le fait d'être capable de lever 100 milliards de placements, le non-lucratif ne l'est pas. Ce qui n'est pas surprenant: ce n'est pas son but. La réussite pour le secteur marchand, c'est d'augmenter la valorisation de l'entreprise pour satisfaire l'actionnaire. La réussite pour le secteur non-marchand c'est l'atteinte de son but statutaire, par exemple de protéger la vie privée de ses utilisateurs. Les deux types de structures sont efficaces quand elles atteignent leur objectif, ce qui est souvent le cas.

Le non-lucratif gagne sa crédibilité à chaque fois que les utilisateurs veulent certaines garanties éthiques que le monde actuel de l'entreprise est totalement incapable de fournir. Et c'est une des raisons pour lesquelles on voit se développer une autre forme d'économie partout où les questions éthiques se mettent à prendre de la place.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !