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A quel moment ne rien faire au sujet de la situation en Syrie finira-t-il par devenir plus dangereux que d'intervenir ?
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Poudrière

Alors que la rébellion syrienne s'enlise et que les massacres de populations civiles continuent, peu de pays occidentaux semblent enthousiastes à l'idée d'une intervention armée. Quels seraient les avantages et les inconvénients d'une telle décision ?

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Les récentes révélations concernant l'utilisation d'armes chimiques de Bachar el-Assad contre son propre peuple suscitent de très nombreuses réactions au sein de la communauté internationale. Pourraient-elles convaincre les États-Unis d'intervenir ?

Fabrice Balanche : Il semblerait que les troupes de Bachar el Assad aient utilisées des armes chimiques à Homs en décembre 2012, sur une échelle limitée, pour venir à bout d’un bastion tenu par les rebelles. Peut-être y a-t-il eu d’autres utilisations ? Mais jamais sur une grande échelle, comme le fit Saddam Hussein à Halabja, en 1988, où des milliers de civils Kurdes furent assassinés. C’est surtout contre ce type d’opération que les Occidentaux ont menacé Bachar el-Assad. Il est clair que dans ce cas, il perdrait les soutiens russes et chinois à l’ONU, ce qui ouvrirait la porte à une intervention étrangère devant l’émotion internationale, ce qui n’avait pas été le cas pour Halabja. Saddam Hussein était à l’époque l’allié des pays Occidentaux contre l’Iran.

Bachar el Assad connait parfaitement les avantages et les inconvénients des armes chimiques. Jamais il n’a nié posséder des armes chimiques bien au contraire. Il a affirmé dès le début de l’affaire qu’elles étaient destinées à protéger la Syrie d’une agression étrangère. En utilisant à petite dose ses armes chimiques, contre des rebelles considérés par le régime comme la main de l’étranger, il envoie un message à la communauté internationale, en lui indiquant les risques que ses troupes encourraient, si d’aventure elle décidait d’intervenir en Syrie. A l’égard de sa propre population, il s’agit de la dissuader d’accueillir les rebelles par la menace d’utilisation d’armes chimiques. Dans une stratégie de contre-insurrection certaines rumeurs sont plus efficaces que le déploiement de troupes.

Les États-Unis ne souhaitent pas intervenir dans le conflit syrien. Ils se sont retirés d’Irak, ils essaient de sortir du bourbier afghan, ce n’est pas pour replonger tête baissée dans les conflits du Moyen-Orient. Tant que les deux piliers de leur politique au Moyen-Orient ne sont pas menacés - la sécurité d’Israël et les hydrocarbures du Golfe - ils préfèrent se tenir à l’écart. Pour l’instant les armes chimiques syriennes ne menacent pas directement Israël. Mais une force américaine en Jordanie se tient prête à intervenir au cas où les stocks d’armes chimiques tombaient entre les mains du Hezbollah ou d’Al Qaïda. Le raid militaire israélien de janvier dernier, sur un centre militaire proche de Damas, avait pour but d’empêcher le transfert d’armes stratégiques au Hezbollah (armes chimiques, missiles sol air, balistiques et antinavires). Il s’agissait d’une frappe préventive pour faire comprendre au régime syrien qu’Israël ne plaisantait pas avec sa sécurité. La Syrie n’a pas réagi militairement et la Russie n’est pas montée au créneau pour défendre son allié. Les fameuses lignes rouges de Barak Obama sont plutôt situées à ce niveau.

Quel type d'action pourrait avoir le plus de succès ? Sous quelle forme ? Avec quels alliés ? 

L’intervention qui aurait le plus de succès serait d’intervenir à la fois par les airs et au sol dans une guerre conventionnelle contre l’armée syrienne, comme les États-Unis en Irak. Cela causerait sans doute beaucoup plus de pertes que dans le cas irakien, cependant c’est la seule façon de venir à bout du régime de Bachar el-Assad. Mais les pays qui s’engageraient dans une telle opération devraient ensuite rester en Syrie, pour assurer la sécurité des populations civiles et la transition politique.

Une intervention des États-Unis, en imaginant qu’ils le souhaitent et qu’ils s’affranchissent de l’opposition russe, devrait associer les pays de l’OTAN, dont la Turquie, et des pays arabes tels que l’Arabie saoudite et le Qatar. L’idéal serait une force de la Ligue arabe composée des différents pays qui la composent. Cependant les pays européens ne sont pas prêts à une telle intervention. La France est investie au Mali et nous savons que nos soldats au Sud-Liban pourraient être victimes d’attentats menés par les groupes pro-syriens au Liban. Lorsque la France et la Grande Bretagne ont fait pression sur l’Union européenne pour qu’elle lève l’embargo sur les armes à destination des rebelles syriens, l’Autriche a vivement protesté en menaçant de retirer son contingent du Golan qui pourrait être pris pour cible, laissant ainsi la zone démilitarisée entre Israël et la Syrie depuis 1974 sans protection. La Turquie est tenue par ses relations économiques avec la Russie et l’Iran, alliés de Damas ; par ailleurs moins de 20% de la population turque soutient la politique d’Erdogan vis-à-vis de la Syrie. Son soutien aux rebelles syriens réveille des clivages ethnico-confessionnels en Turquie qui seraient accentués par une intervention militaire. Quant à la Ligue arabe, elle n’est pas assez unie et motivée pour constituer une force militaire indépendante. Les Qataris et les Saoudiens pourraient accompagner modestement les États-Unis dans une aventure militaire mais ils ne seront pas à l’avant-garde.

Si aucun pays n’est disponible pour envoyer des troupes au sol, il pourrait se trouver quelques candidats pour instaurer une zone d’exclusion aérienne à partir de la Turquie et de la Jordanie. Mais cette mesure réclame une résolution du conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, je doute que cela soit véritablement efficace dans le cadre d’une guerre civile. Cela n’empêchera pas des massacres de civils comme dans le village sunnite d’Al Bayda (près de Banias) vendredi dernier, cela ne sauvera pas la population chiite de Nubul (au nord d’Alep) encerclée par des djihadistes depuis un an et qui cherchent à les réduire par la faim. La marge de manœuvre des Occidentaux est par conséquent extrêmement étroite.

Quels seraient les principaux risques à cette intervention ?

Le régime syrien se sentant acculé, il pourrait être tenté d’utiliser ses armes chimiques à une grande échelle contre les agresseurs. Quelques missiles sol-sol pourraient s’abattre sur Israël en provenance de Syrie ou du Sud-Liban ce qui embraserait toute la région. L’envoi de troupes occidentales au sol ne sera pas aussi aisé qu’au Mali, il faudra s’attendre à beaucoup plus de victimes. Il n’est pas exclu également que les djihadistes s’en prennent à nos forces.

Quelle sera la réaction de la Russie ? Après l’affaire libyenne, Vladimir Poutine était ulcéré. Il est bien décidé à ne rien céder en Syrie. Si les occidentaux décidaient d’une intervention unilatérale, des feux pourraient s’allumer dans la périphérie de la Russie, au Caucase et en Asie centrale. Quant à l’Iran, il pourrait réagir aussi vivement, à travers le Hezbollah vis-à-vis d’Israël, en provoquant des incidents dans le Golfe arabo-persique, et surtout en appuyant plus fermement le régime de Nouri el-Maliki dans sa campagne contre les sunnites en Irak. La crise syrienne n’est pas étrangère au réveil de la guerre confessionnelle en Irak.

Quels seraient les risques au contraire à ne pas intervenir ou à retarder encore l'intervention ? La communauté internationale ne va-t-elle pas se heurter à une poussée de la radicalisation ?

Le risque de ne pas intervenir est que Bachar el Assad réussisse à vaincre l’insurrection avec l’aide de ses alliés. Le Hezbollah est de plus en plus présent, des volontaires chiites irakiens commencent à arriver en Syrie et l’Iran finira par envoyer officiellement des "Gardiens de la révolution" si le régime est vraiment menacé. La Syrie est trop importante dans le dispositif stratégique iranien pour que Téhéran se permette de perdre cet allié.

L’autre risque est que le nord de la Syrie, tenu par les rebelles, ne devienne un sanctuaire des djihadistes, tout comme l’Afghanistan dans le passé. Plus le conflit s’enlise et plus les islamistes radicaux s’implantent dans la population et recrute des combattants. Leur idéologie est beaucoup plus mobilisatrice que celle des "laïcs" de l’Armée syrienne libre. La radicalisation augmente dans les deux camps, avec une internationalisation par le bas qui s’apparente désormais à une guerre de religion : les djihadistes sunnites et chiites viennent s’affronter en Syrie.

                                                        Propos recueillis par Juliette Mickiewicz

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