Connaissons-nous vraiment les causes de l'obésité? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Nos connaissances actuelles de l'obésité reposeraient sur des croyances sociétales.
Nos connaissances actuelles de l'obésité reposeraient sur des croyances sociétales.
©Reuters

Et dire qu'on croyait tout savoir...

Gary Taubes, journaliste scientifique américain vient de lancer outre-Manche une polémique en affirmant dans un article que nos connaissances actuelles de l'obésité reposeraient davantage sur des croyances sociétales plutôt que de véritables données scientifiques. Le débat est ouvert.

Patrick Tounian

Patrick Tounian

Patrick Tounian est professeur de pédiatrie, chef du service de nutrition et gastroentérologie pédiatrique de l'hôpital Trousseau à Paris.

Il dirige le diplôme universitaire " Nutrition et Obésité de l'enfant et de l'adolescent " à Sorbonne Université et intervient comme expert reconnu en nutrition pédiatrique dans de nombreuses conférences.

Ancien secrétaire général de la Société française de pédiatrie et président de la Société francophone de gastroentérologie et nutrition pédiatriques, il est actuellement président de l’Association des pédiatres de langue française. Il est l’auteur de nombreux livres et publications scientifiques sur la nutrition et l'obésité de l'enfant et de l'adolescent.

Voir la bio »

Atlantico : Gary Taubes, co-fondateur de la Nutrition Science Initiative, vient de publier un article selon lequel nos connaissances sur l'obésité ne sont pas issues de recherches scientifiques mais reposent sur des croyances sociétales. A titre personnel, qu'en pensez-vous ? Ne connaissons-nous vraiment pas les causes scientifiques de l'obésité ? 

Patrick Tounian : Je suis tout à fait d'accord avec l'auteur de cet article. Cela fait 25 ans que je travaille sur l'obésité, et pourtant je ne connais toujours pas toutes les causes de l'obésité. Ceux qui affirment le contraire n'ont aucune preuve scientifique. Aujourd'hui, nous possédons bien évidemment des pistes sur les causes de l’obésité, mais il est mensonger d’affirmer que l’on connaît toutes les causes de l’obésité.  

Les causes habituellement avancées - peu de dépenses physiques, régime alimentaire déséquilibré - ne sont que des facteurs révélateurs de la prédisposition génétique de chacun à devenir obèse. Le fait de se trouver dans un environnement propice va permettre d'exprimer cette prédisposition, mais n’en est en aucun cas la cause. Ce sont nos modes de vie qui permettent d'exprimer notre obésité potentielle. Mais si nous ne sommes pas prédisposés génétiquement, on peut manger de manière très déséquilibrée sans devenir obèse.

Le plus frappant est qu'aujourd'hui, tout le monde a un avis sur l'obésité, même ceux qui n'ont jamais travaillé sur le sujet. Les hommes sont inégaux devant l'obésité, c'est une réalité et il faut l'accepter : ils sont égaux en droits mais pas égaux en poids.Dans certaines idéologies, on cherche l'égalitarisme à tous les plans, et il est difficile d’accepter que tous ne soient pas égaux devant la nature. Certains évoquent une relation entre obésité et pauvreté, mais c'est davantage l'obésité qui rend pauvre que la pauvreté qui rend obèse.

Selon Taubes, ce sont les glucides, et non les calories qui sont à l'origine de l'obésité. Est-ce une affirmation exacte ? Dans quelles proportions? 

Cette affirmation est totalement fausse. Si nous ne consommions que des glucides, il n'y aurait pas d'obèses. L'obésité est problème calorique, relevant de la génétique. D'après mes recherches, je n'ai rien trouvé de scientifique à ces affirmations.

Quels sont les différents paramètres qui entrent en compte dans l'obésité ? Qu'est-ce qui nous rend vraiment obèse ? 

On sait aujourd'hui que l'obésité est une maladie liée à l’activité du cerveau et qui relève de trois facteursTout d’abord, la génétique, qui est capitale dans l’explication de l’obésité. Il est également possible de mettre en cause le facteur utéro - avec différents phénomènes comme la dénutrition, le tabagisme, le diabète gestationnel etc - qui pourrait programmer le cerveau en développement pour rendre l'enfant obèse.  Le troisième facteur est le facteur acquis : le choc émotionnel intense, certains médicaments (hormones ou psychotropes), la radiothérapie cérébrale, les traumatismes crâniens sévères ou bien encore l'insuffisance prolongée de sommeil. 

Les solutions traditionnellement proposées pour lutter contre l'obésité sont-elles efficaces ? 

La prévention actuelle est d'une totale inefficacité. Je démontre dans mes travaux que les résultats des études sont d'une mauvaise foi intellectuelle incroyable. Toutes les mesures actuelles sont inefficaces, mais pire encore, elles ont des effets délétères en participant à la multiplication des troubles du comportement alimentaire. On voit  dans certaines familles des enfants mis au régime par leurs parents de peur de les voir devenir obèses.  D'autre part, cela contribue à augmenter la souffrance des obèses en favorisant leur stigmatisation et leur discrimination. 

Quand nous, spécialistes, entendons des propositions telles que la suppression de la publicité pour diminuer l’obésité, nous ne pouvons que constater qu'elles sont d'une stupidité profonde. Certains députés proposent de supprimer les normes alimentaires dans les cantines, mais il est bien évident que ce n'est pas la modification des menus de la cantine qui aura une influence sur le risque ou le traitement de l'obésité.

Réinterroger les causes de l'obésité ne pourrait-il pas permettre de mieux cibler les réponses à apporter à cette maladie ?

Effectivement, j'encourage d'ailleurs toujours mes étudiants à venir travailler en laboratoire afin de faire avancer les recherches sur l'obésité. Il faut en trouver les causes afin de mettre en place des traitements préventifs et curatifs efficaces. Les traitements actuellement proposés sont néfastes pour les patients : pour maigrir, c'est mathématique : il faut manger moins et se dépenser plus. Mais lutter contre sa propre nature n'est pas possible. Ainsi, un obèse prédisposé aura la plus grande difficulté à lutter toute sa vie contre ce qui est sa nature profonde. Et plutôt que de perdre de l'argent à mettre en place des politiques inefficaces, il faudrait encourager davantage la recherche sur cette pathologie. Et accepter l’inégalité naturelle des hommes devant ce fléau. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !