2,7 millions d'enfants pauvres en France : une bombe à retardement ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en France.
Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en France.
©Flick / dkshots

Oliver Twist

Selon une étude de l'Insee publiée mercredi, 40 000 Français supplémentaires sont tombés sous le seuil de pauvreté en 2010 par rapport à 2009. Les enfants sont particulièrement touchés, avec 2,7 millions d'enfants pauvres et un taux de pauvreté des moins de 18 ans atteignant 19,6%.

Julien Damon et Nina Schmidt

Julien Damon et Nina Schmidt

Julien Damon est ancien sous-directeur de la Caisse nationale des Allocations familiales et professeur associé à Sciences Po (Cycle d'aménagement et d'urbanisme). 

Il est l'auteur de Eliminer la pauvreté (PUF, 2010)

Nina Schmidt est sociologue de formation, elle est responsable de l'antenne Ile-de-France de l'Observatoire des inégalités et plus spécifiquement en charge du développement d'un projet de sensibilisation des jeunes aux inégalités et aux discriminations.

Voir la bio »

Atlantico : Selon les chiffres révélés par une enquête de l’Insee ce mercredi (voir l'enquête), un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en France, soit près de 3 millions d’enfants. Qui sont concrètement ces enfants, quel est leur profil sociologique ?

Julien Damon :Je tiens d’abord à préciser qu’il ne s’agit pas d’une information exceptionnelle. Cela doit bien faire une dizaine d’années que l’on reporte des chiffres de cet ordre. Le phénomène n’est pas neuf et n'a pas explosé. Environ 20 % des enfants sont, en effet, sous le seuil de pauvreté.

Pour ce qui est du profil de ces enfants, trois grands facteurs peuvent contribuer à la pauvreté. D’abord le taux d’activité. Nombre de ces enfants vivent dans des familles dont le taux d’emploi est extrêmement faible. 

Ensuite, on assiste à une "monoparentalisation" de la pauvreté. Auparavant les enfants pauvres vivaient surtout dans des familles nombreuses, aujourd’hui ils sont plutôt dans des familles monoparentales. Cela s’explique aisément car le potentiel de ressources est plus faible et, surtout, car les familles nombreuses sont de mojns en moins nombreuses, et les familles monoparentales de plus en plus nombreuses.

Le troisième facteur de pauvreté, qui est le plus sensible, c’est l’immigration. Le taux de pauvreté des enfants vivant dans une famille dont la personne de référence est immigrée, est de plus de deux enfants sur cinq !  

Par ailleurs, on constate une spécificité géographique. Si au niveau national un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, c’est le cas de la moitié des enfants vivant dans les zones urbaines sensibles (qui concentrent bien souvent les facteurs de pauvreté évoqués ci-dessus). C’est extrêmement problématique, même si, je tiens à le souligner, ce n’est pas nouveau. 

Si ces indicateurs ont évolué, avec une augmentation de la pauvreté entre 2009 et 2010, la période 2000/2009, a quant elle été marquée par une baisse de la pauvreté. Mais comme la démographie en France est dynamique, le nombre d'enfants pauvres augmente pour atteindre 2,7 millions précisément.

Nina Schmidt :Ces enfants sont pauvres parce que leurs parents le sont, c’est-à-dire qu’ils disposent de revenus insuffisants, notamment du fait du chômage, des bas salaires et du morcellement des temps de travail (temps partiel, intérim, CDD, etc.). Les femmes à la tête d’une famille monoparentale sont particulièrement touchées par la pauvreté, et donc les enfants de ces foyers aussi. Le taux de pauvreté des immigrés et des étrangers est aussi supérieur à la moyenne, notamment parce qu’ils sont plus souvent exclus du marché de l’emploi en France. Bref, un enfant pauvre est un enfant vivant dans une famille pauvre, dont la catégorie socioprofessionnelle des parents et les revenus qui vont avec sont peu élevés.

Doit-on craindre les conséquences d’une telle situation ? Sommes-nous face à une bombe à retardement ?

Julien Damon : Oui, mais comme la mèche est allumée depuis longtemps, il n’y a pas à voir cela de façon catastrophique. Je pense que plutôt que le sujet même de la pauvreté comme instrument de mesure, ce sont les trois autres phénomènes qui devraient nous inquiéter. A savoir, les enfants grandissant dans des foyers sans activité et où les revenus du ménage sont intégralement composés de prestations sociales, qui ne savent pas ce qu’est le travail et dont les parents sont effondrés. Ou encore, les enfants victimes de divorces et de séparation qui n’ont généralement pas les mêmes succès en matière éducative que les autres enfants. Sur le troisième phénomène qu’est l’immigration, les enfants peuvent connaître des difficultés liées à l’intégration. Les conséquences de ces trois facteurs sont graves car ils mènent à une ghettoïsation d’une partie de la jeunesse. Les enfants qui cumulent ces trois facteurs seraient environ un demi million. La situation d'un demi million d'enfants est donc extrêmement préoccupante. Et les conséquences sont en partie que les banlieues s’enflamment et qu'il existe une coupure de plus en plus nette entre les centres villes qui sont des attractions pour bobo et des quartiers pourris. Plus qu’un problème hexagonal de pauvreté, il faut s’inquiéter des problèmes de chômage, de monoparentalité et de ghettoïsation d’un partie de la jeunesse.

Nina Schmidt : Ce qui est inquiétant c’est l’installation durable dans la pauvreté de ces catégories de parents. Et l’exclusion de ces personnes et de leurs enfants de certains standards de vie dont est dotée une société développée comme la nôtre. Cette exclusion nous heurte davantage quand il s’agit des enfants. D’ailleurs, selon l’enquête "Standards de vie" de l’Insee menée en janvier 2006 auprès de 5 900 personnes, 90 % d’entre elles jugeaient inacceptable de " ne pas pouvoir payer à ses enfants des vêtements et des chaussures à leur taille ", 89 % de " ne pas pouvoir payer des appareils dentaires à ses enfants " et 86 % de " ne pas avoir assez de rechange pour envoyer ses enfants à l’école avec des vêtements toujours propres ".

L’avenir de ces enfants est-il forcément compromis par rapport à leurs camarades plus chanceux ? Le seuil de pauvreté est-il un bon indicateur pour juger de l'avenir d'un enfant ? 

Julien Damon : Il existe des enfants vivant dans des familles dont les revenus par unité de consommation sont inférieurs au seuil de pauvreté et qui n’ont pourtant pas le sentiment de se situer à la limite de l’indigence. Même s’ils ont conscience de vivre avec des revenus modestes. Certaines familles nombreuses, en divisant leurs revenus par le nombre de bouches à nourrir, se retrouvent facilement sous le seuil de pauvreté mais ne connaissent pas de problèmes particuliers et ne suscitent pas d’inquiétudes quant à l’avenir. Ce qui est grave c’est la ghettoïsation d’une partie de la jeunesse et le défaut d’intégration, en termes de travail notamment. Voilà ce que masquent les chiffres de la pauvreté.

Il faut, techniquement, se demander ce que l’on définit par le seuil de pauvreté. Pour une personne seule, le seuil de pauvreté est à peu près équivalent à 1000 euros net par mois (précisément 60% de la médiane des revenus). Quoiqu’on en dise c’est relativement élevé (il s’agit, en gros, du SMIC) Si vous êtes dans une famille où deux actifs travaillent et arrivent avec 3000 euros par mois dans leurs poches et qu’ils ont entre 4 et 5 enfants, cette famille est sous le seuil de pauvreté. Ces ressources sont certes modestes, mais, surtout si le ménage est propriétaire de son logement, cela ne pèsera pas sur l’avenir de ces enfants.

Nina Schmidt :Bien sûr, le niveau de vie d’un enfant, le milieu social dans lequel il grandit, a un impact sur son avenir, plus précisément sur sa réussite à l’école et dans les études. La France est un des pays où le milieu social pèse le plus sur les résultats scolaires. Et il est évident que les enfants issus de milieux défavorisés vont avoir moins de chances de réussir à l’école, de faire des études longues et prestigieuses et d’accéder aux emplois auxquels ils mènent. Cela dit, il y a des leviers à ce déterminisme social… Paradoxalement, l’école en est un.Mais surtout qui pourrait prédire à un enfant qu’il sera pauvre comme papa et/ou maman ? On ne peut pas parier de l’avenir d’un enfant sur le seuil de pauvreté de ses parents…

Cette situation ne risque-t-elle pas de créer de la frustration et de la colère au sein de toute une génération ?

Julien Damon : Le Royaume-Uni est confronté à des taux de pauvreté juvénile plus élevés, aux alentours de 25% de sa jeunesse. Ce n’est pas pour cela que la jeunesses britannique est plus désespérée ou plus ghettoïsée que la jeunesse française. La jeunesse française connait un désespoir et une hargne plus prononcée. Au Royaume-Uni, la pauvreté est, si j’ose dire, mieux répartie. En France elle est concentrée dans les familles monoparentales et dans les populations immigrées dans les quartiers sensibles.

Nina Schmidt :Connaître la pauvreté dans son enfance ne va pas forcément développer de la frustration et de la colère d’abord parce que cela ne signifie pas que ces enfants seront pauvres à vie… (même si la pauvreté s’installe durablement pour certaines catégories de personnes). Et ensuite parce que lorsqu’on fait l’expérience de quelque chose, on n’est pas forcément en colère contre, on est davantage sensibilisé à cette réalité.  Il est frappant de constater à quel point les jeunes issus de milieux modestes ont conscience de toutes les difficultés qu’ils rencontreront plus encore que leurs camarades plus aisés, que leur environnement familial influe sur ce qu’ils deviennent, mais aussi qu’à la naissance, nous sommes tous égaux et quand on veut, on peut. Même s’ils savent aussi que c’est quand on peut qu’on veut…

Comment agir concrètement pour améliorer la situation de ces enfants ? 

Julien Damon Il y a bien une orientation originale qu’il faudrait avoir à l’esprit et qui fait toujours sourire. Il faudrait que les gens se séparent moins. Du point de vue des finances publiques, chaque couple qui se sépare, c’est un besoin de logements supplémentaires. C’est extrêmement coûteux, y compris du point de vue des prestations publiques. L’idée n’est pas d’interdire les séparations mais de ne pas les incite et, surtout, de les prévenir.

Dans les politiques publiques britanniques ou américaines vous avez cette orientation première qui est de valoriser la stabilité des unions et ce quelle que soit cette union (mariage, union libre). Aussi plus les familles monoparentales se recomposeront, plus les enfants seront dans un contexte favorable parce qu’il y aura deux apporteurs de ressources.

L’ensemble des dispositifs d’action sociale dont l’orientation première est, aujourd’hui, de vous accompagner dans vos séparations, devrait en fait essayer de prévenir ces séparations. Et si les gens ne sont plus ensemble, il faut inciter à ce qu’ils trouvent d’autres partenaires. Tous ces centres sociaux qui ne servent pas à grand chose, mieux vaudrait les remplacer par des bars et des boites de nuit. Je ne pense pas que ce soit une idée si étrange… quand on voit combien le taux de pauvreté des enfants est lié aux familles monoparentales.

Nina Schmidt :  Il faut réduire les inégalités, et par là-même l’exclusion de certains. L’école est un outil, peut-être pas telle qu’elle est actuellement, avec l’importance accordée aux notes, à l’évaluation, au classement et enfin au diplôme. Il faut que l’ensemble des enfants aient accès aux mêmes choses : que ce soit en termes de connaissances, mais aussi de soins et de loisirs, d’activités culturelles, de vacances… 

Propos recueillis par Carole Dieterich. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !