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Toutes ces discrètes stratégies que la Chine déploie pour devenir une super puissance
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Opération séduction

Xi Jinping, le nouveau leader de Pékin, veut donner à la Chine une image plus positive sur la scène internationale. Comment la deuxième puissance économique mondiale essaye-t-elle d'améliorer son image et d'étendre son influence dans le monde ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : La Chine a développé son propre réseau mondial de soft power, via la télé (CCTV), l'agence de presse Xinhua, les instituts Confucius etc. Y a-t-il des spécificités à cette approche chinoise, des points particuliers ? Y a-t-il un modèle chinois de soft power

Emmanuel Lincot : Rappelons que cette expression de soft power a été forgée par l’universitaire américain Joseph Nye à la fin des années quatre-vingt, en un contexte particulier : la fin de la Guerre froide. Nombre de spécialistes des relations internationales en récusent l’efficience. A commencer par les néo-réalistes. Pourtant, elle confère à la définition de la puissance des États d’autres moyens que ceux classiquement employés pour imposer leur politique : la culture ou une certaine vision du monde. En Asie orientale, Taïwan est un excellent exemple de mise en pratique du soft power. Bien que ne bénéficiant que d’une reconnaissance diplomatique des plus limitées, l’île sait se faire entendre par des moyens pacifiques, en promouvant une image de démocratie responsable. C’est un exemple certes marginal mais qui a son importance si on le compare à celui de la Chine dont les succès (2° puissance économique du monde) mais aussi les lourds handicaps (pollution, non-respect des droits de l’homme) entachent sérieusement la réputation internationale de Pékin et celle de ses dirigeants. La Chine fait peur. Sa diplomatie culturelle essaie d’endiguer ce phénomène.

Dès 2004, elle a créé son premier Institut Confucius et s’est, pour partie, inspirée de l’expérience des années croisées France / Chine en vue de préparer les deux événements marquants de la première décennie de ce siècle : les JO de Pékin (2008) puis l’exposition universelle de Shanghai (2010). Pour spectaculaires qu’ils soient, ces événements ont ravivé les craintes d’une Chine hégémonique et revancharde. Même avec les pays d’Afrique avec lesquels se sont noué, avant même Bandung (1955) et les premières indépendances, des relations parfois étroites sur fond d’empathie tiers-mondiste, l’image de la Chine a fini par se détériorer. La visite diplomatique du nouveau Président Xi Jinping en Tanzanie puis en Afrique du Sud, au mois de mars dernier,  n’aura pas suffi à rassurer les opinions. Accusée d’attitude prédatrice, la Chine parviendra réellement à séduire le monde dès lors où elle se sera engagée d’une manière plus responsable dans les affaires du monde.   

Malgré l'émergence de ces nouveaux outils, la Chine semble encore loin de concurrencer les pays occidentaux sur la question, et même d'autres pôles de communication comme Al-Jazeera. Pourquoi, malgré la puissance de la Chine, les outils chinois peinent à s'étendre rapidement ? 

Emmanuel Lincot : Cela tient à la nature même de son régime et de ses choix politiques. Comment ne pas être réservé à l’encontre des dirigeants chinois et du pays qu’ils représentent  lorsque ces derniers affirment leur soutien vis-à-vis de la Corée du Nord (même si des voix dissidentes commencent à se faire entendre en Chine même), de l’Iran ou de la Syrie ? Comment faire confiance à un pays où un tel degré de corruption peut entraîner des tragédies comme celle du trafic de la viande porcine récemment ou le développement de la grippe aviaire ? Fondamentalement, les questions d’éthique sont incontournables. L’impact d’une puissance est limité dès lors où sa crédibilité est en jeu.

Comment la Chine envisage-t-elle l'expansion internationale de sa politique culturelle ? Les barrières linguistiques ou les fossés culturels peuvent-ils empêcher la culture chinoise d'être un puissant outil d'influence hors du monde sinisé ? 

Emmanuel Lincot : la Chine dispose de tous les outils nécessaires y compris des chaînes de télévision et de radio diffusant leurs émissions en langue vernaculaire. Quantitativement, la Chine a un potentiel gigantesque. Mais les conditions politiques actuelles de son régime ne peuvent que la desservir. Le Consensus de Pékin, modèle autoritaire de croissance, a vécu. La Russie - qui en avait fait son crédo - est en pleine récession. Le monde arabe a fait tomber ses potentats. Les peuples aspirent-ils à un idéal axé sur la seule consommation ? De toute évidence, non ! Personnellement, un Chef d’État déguisé en VRP ne me fait pas rêver. La rigidité des dirigeants communistes me laisse pantois. Elle date d’un autre âge. Surtout si vous la comparez à cet extraordinaire communicant qu’est  Barack Obama…

Comment la Chine peut-elle enfin rattraper son retard dans la formation des élites mondiales ? Comment peut-elle, à terme, espérer rattraper le monde anglo-saxon dans ce domaine clé, où elle est très largement distancée ? 

Emmanuel Lincot :Elle offre des ponts d’or aux meilleurs chercheurs internationaux. En matière de R&D, elle a largement dépassé les États-Unis en ce qui concerne ses investissements. Historiquement parlant, l’on serait tenté de comparer la Chine d’aujourd’hui à celle des années d’après-guerre lorsque l’Union soviétique réussit ses exploits que l’on sait dans le domaine de l’aérospatiale, et ce bien avant les Américains. Pourtant, son régime s’est effondré. Qu’est-ce-à dire ? La pérennité d’une avancée scientifique est une question de contexte. Interrogeons-nous : pourquoi la France a-t-elle les meilleurs mathématiciens du monde ? Parce qu’en dépit de toutes ses imperfections et le manque criant de moyens financiers, il est vrai, la société française est l’une des propices au monde dans le domaine de la création. La Chine ouvre chaque semaine deux universités. C’est un fait unique dans l’histoire des hommes. Et s’il n’est pas canalisé, nous avons là tous les risques réunis pour que se forme un véritable prolétariat intellectuel dont les frustrations comporteront un degré d’instabilité socio-politique très réel. Le défi chinois résidera dans sa capacité à résorber son surcroît d’intellectuels et de donner du sens au nombre de formations que l’on jugera prioritaires.

Les grandes entreprises chinoises présentes à l'international, comme Huawei ou Lenovo exportent-elles également des pratiques de management, ou des stratégies d'entreprises qui peuvent se rapporter à une forme de Soft power économique au service de la Chine ? Si oui, quelles en seraient les spécificités par rapport à un modèle occidental ? 

Emmanuel Lincot :La capacité de ces grandes multinationales à casser les prix mais aussi à concentrer leur potentiel de ventes vers le monde rural chinois ou les pays émergents explique leur réussite. Mais nous ne sommes déjà plus dans le même registre. Les exemples que vous mentionnez sont intégrés à l’économie-monde dans une configuration qui est, elle, déterritorialisée et qui appartient aux pratiques du capitalisme globalisé. Les grandes marques se ringardisent dès lors où elles sont associées à l’image d’une souveraineté. Lenovo, que je sache, ne met nullement en avant ses origines chinoises. Ainsi le soft power des États est chose bien différente. Celui mis en œuvre par la Chine peine encore aujourd’hui à convaincre.

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