Immigration : ces non-dits qui font que le débat parlementaire n'a aucune chance d'aboutir à quelque chose <!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a beaucoup de non-dits concernant la question de l'immigration en France.
Il y a beaucoup de non-dits concernant la question de l'immigration en France.
©Reuters

Pipé

L'Assemblée nationale et le Sénat se pencheront les 16 et 24 avril sur la question de l'immigration professionnelle et étudiante en France. Les parlementaires se sont fait transmettre à cette occasion un imposant rapport gouvernemental sur le sujet, censé appuyer le débat. Le seul problème est que la plupart de ses chiffres sont faux....

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Le rapport du département des statistiques, des études et de la documentation (DSDE) de la Direction de l’immigration du ministère de l’Intérieur, visant à préparer le débat sur l’immigration professionnelle et étudiante des 16 et 24 avril, donne un sentiment mitigé. On y trouve des lieux communs pas toujours vérifiés, des données statistiques dont on aimerait savoir comment elle sont obtenues, mais aussi des données statistiques un peu plus fouillées que d’habitude dont on se félicite de les avoir enfin sous les yeux.

Dans une introduction sur la situation migratoire de la France on nous explique que l’immigration professionnelle et étudiante est la seule sur laquelle la politique française peut espérer avoir quelque influence, soit 39 % du nombre de premiers titres délivrés en 2012. Tout ce qui peut être fait pour améliorer la sélection et l’accueil au titre de salarié ou d’étudiant est le bienvenu, mais l’impact sera forcément mineur. Tout d’abord, tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut accueillir des étudiants en plus grand nombre pour peser dans la concurrence internationale visant à drainer l’intelligence chez soi. C’est près de 80 % de l’ensemble visé ici. En 2012, sur 76 000 étrangers auxquels on a délivré un premier titre de séjour (ou visa valant titre de séjour) pour études ou motif économique, 59 000 venaient étudier en France. Pour le reste, sur les 17 000 étrangers qui ont validé leur séjour en France pour un motif professionnel, dans un certain nombre de cas, la situation du marché du travail ne leur était pas opposable, pour un nombre varié de raisons, dont les listes de métiers dits sous tension et ouverts directement à des étrangers, dont certaines sont incluses dans des accords bilatéraux. En 2012, 9180 étrangers ont ainsi obtenu une autorisation de travail.  Autant dire que l’espace qui reste pour un gouvernement qui déciderait de réduire l’immigration étrangère en France est extrêmement ténu. Les autres flux sont soit liés à la libre circulation interne à l’UE soit à des considérations humanitaires (famille, asile, liens personnels en France…) et régulés par des engagements internationaux, la jurisprudence interne ou externe et des directives européennes. Sur ces flux, la France, en l’état, est impuissante.

Parmi les lieux communs qu’on aurait aimé ne pas lire dans ce rapport citons la reprise de l’antienne sur la stabilisation de la proportion d’immigrés en France depuis 1975. Le Monde avait déjà chanté cette chanson-là dans un article du 4 décembre 2009 dans lequel il annonçait une stabilisation de l’immigration. Il y annonçait que l’évolution de la population immigrée entre 1982 et 2006 reflétait une « stabilisation » C’est évidemment faux. La population immigrée (personnes nées à l’étranger, de nationalité étrangère ou française par acquisition) a augmenté à un rythme voisin de celui de l’ensemble de la population française entre 1975 et 1999. Ce qui revient effectivement à une stabilisation de la proportion d’immigrés sur cette période. Mais la France a, depuis, entamé un nouveau cycle migratoire qui a porté la proportion d’immigrés à son plus haut niveau (8,4 % en 2009). L’accroissement relatif de celle-ci sur la période 1999-2009 est d’intensité voisine à celui connu au cours des Trente Glorieuses, voire graphique ci-dessous.

On aimerait savoir comment le DSDE a évalué le solde migratoire global tous motifs d’entrée confondus - « 110 000 “entrée – sorties” » (p. 13) - ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu de l’absence des données nécessaires et des essais pour le moins peu conclusifs de l’Insee à destination d’Eurostat (Office des statistiques européennes). On aimerait aussi que le DESDE cesse d’utiliser, après bien d’autres, le solde migratoire global estimé par l’Insee pour donner une idée de l’intensité des flux migratoires (p. 14). Celui-ci est le résidu de l’équation démographique de l’année entre deux premiers janviers, une fois qu’on a déduit le solde naturel (naissances – décès). Il encaisse tous les défauts de collecte des enquêtes annuelles de recensement.  Serait-il correctement évalué qu’il ne renseignerait pas sur le solde migratoire des étrangers. En France, comme chez nombre de nos voisins, le solde migratoire global combine un solde migratoire positif pour les étrangers et un solde négatif pour les Français.

C’est vrai que la France a reçu moins d’étrangers que le Royaume-Uni ou que l’Espagne et l’Italie au cours des années 2000. Mais le Royaume-Uni a accueilli, dès l’élargissement de 2004, les nouveaux entrants sur son marché du travail. Il freine aujourd’hui des quatre fers pour limiter les flux de Roumains et de Bulgares qui devraient pouvoir travailler partout dans l’UE à partir de 2014. Et le gouvernement Cameron est bien décidé à ramener son solde migratoire aux quelques dizaines de milliers des années 1990. Quant à l’Italie et à l’Espagne, elles connaissent leur première vague migratoire, après avoir longtemps été des pays d’émigration. La France a beaucoup d’avance sur ces pays puisqu’elle a connu une immigration importante depuis la deuxième moitié du 19ème siècle alors que chez ses voisins européens on allait chercher fortune dans le nouveau monde. 

Le rapport souligne le relativement bon positionnement de la France dans l’accueil des étrangers qui viennent pour étudier. Leur nombre s’est considérablement accru et la sélection s’est professionnalisée. La France est donc aujourd’hui le cinquième pays de l’OCDE par le nombre de ses étudiants étrangers. En termes relatifs, elle en accueille relativement plus que l’Allemagne et que les Etats-Unis, mais moins que le Royaume-Uni.  De 2005 à 2010, la réussite des étudiants étrangers en licence et en master s’est améliorée et s’est un peu  rapprochée des performances des étudiants français. Cependant l’indicateur donné porte ceux qui sont arrivés en dernière année de licence et de master. On ne sait pas quel a été l’écrémage qui a précédé. On parle beaucoup de bogus foreign students au Royaume-Uni. Qu’en est-il en France de ces étudiants qui se servent de ce canal pour immigrer à d’autres fins ? le rapport n’en dit rien. Pour le savoir, il faudrait un suivi du parcours des étudiants dès leur entrée en France.

Dans la course aux cerveaux, le rapport suggère que la France fasse de l’accueil d’étudiants étrangers « un levier essentiel d’une politique migratoire intelligente et responsable » : mieux sélectionner, accueillir plus et, pour les âmes sensibles, mener une coopération universitaire avec les pays que l’on déleste de ses cerveaux afin de ne pas trop les démunir. Rationaliser et épousseter le maquis des réglementations qui se sont empilées, notamment en matière de migration économique, ne peut pas faire de mal. Mais, cela n’offre aucune possibilité d’agir sur l’immigration étrangère en général. Ce qui n’inquiète pas outre mesure le ministère de l’Intérieur qui, dans ce rapport, déclare que la France « n’est plus à proprement parler aujourd’hui un très grand pays d’immigration ». Si tel est le cas, nous ne l’étions pas non plus pendant les Trente Glorieuses.

Évolution de la proportion d’immigrés en France de 1911 à 2009 :

Source : Insee

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